Pablo-U-Wa a à son actifs plusieurs scènes européens qui ont forgé son art et fait de lui l'une des valeurs sures du reggae africain.
Pablo-U-Wa (Artiste reggae ivoirien vivant en France): ‘‘Le bon reggae doit conscientiser et l’artiste assumer son choix’’

Pablo-U-Wa a à son actifs plusieurs scènes européens qui ont forgé son art et fait de lui l'une des valeurs sures du reggae africain.
Je ne cache rien (Rire). Il faut dire que depuis 2020, je reviens régulièrement au pays mais je me fais, en effet, discret. Vous savez, moi je pense que quand un artiste vient au pays, c’est pour réaliser des projets, donner un concert, faire la promotion d’une œuvre ou pour des raisons familiales. Quand je n’ai rien à proposer aux mélomanes, je me fais discret tout simplement. Je ne suis pas du genre à me pavaner dans les médias juste pour me faire voir. Chaque chose en son temps. Quand j’aurai quelque chose à proposer, en ce moment vous me verrez.
Cette interview arrive donc bien à propos pour me faire connaître un peu (Rire). Je suis parti très tôt en France, à l’âge de 15 ans. Du village, je me suis retrouvé en France après une escale d’une année à Abidjan quand j'étais en 6e puis une autre à Korhogo. Vous comprenez donc qu’à la différence d’autres artistes, je n’ai pas vraiment développé de fortes amitiés au pays. Aussi, quand j’ai commencé ma carrière, j’ai été happé par mes tournées en Europe qui m’offraient aussi, il faut l’avouer, des conditions de travail et d’expression plus adaptées à mes ambitions. Et puis, quand même, j’ai quelques chansons qui ont tout de même eu un franc succès au pays (Rire).
A mon jeune âge, je chantais l’Alloukou et la grande famille réunie aimait bien ça. Par la suite, mon père m’a imposé le reggae qu’il adorait et ne se lassait d’écouter. Un vrai fanatique. Quand je suis arrivé en France, il y avait les études, certes, mais la passion de la musique était très dévorante. De fil en aiguille, à l’insu de mes parents, j’ai rencontré des musiciens et cela a débouché sur mon premier album intitulé Sarayevo en 1995. Des chansons comme « Jah Creation », « I don’t know » et « Superficial Way » vont me faire connaître en France. Et c’est comme ça qu’a commencé ma carrière sous le pseudonyme de Pablo-U-Wa. Ensuite, en 1996, avec ma maison de disques, en collaboration avec une autre en Côte d’Ivoire Jat Music, sans oublier la Radio Nostalgie, avec Yves Zogbo Junior, je suis venu au pays pour deux mois de promotion. Pablo-U-Wa était donc devenu une réalité dans le paysage musical européen et ivoirien.
Après Sarajevo en 1995, j’ai sorti en 1999 chez la maison ‘’Show-biz’’ en Côte d’Ivoire, ‘’Ton image’’ dont le titre Wahi m’a révélé davantage au public ivoirien. Malheureusement, le coup d’État de cette année a mis un frein à la promo de l’album au pays. En 2004, je lance en France ‘’Prudence’’ puis ‘’Unité’’ en 2005 et ‘’Renaissance’’ en 2010, lui aussi fragilisé encore au pays par la crise post-électorale. Je me suis donc résolu à travailler en France parce que l’environnement au pays ne me permettait pas de travailler comme je le voulais et cela a abouti en 2012 sur l’album ‘’Indépendance’’, une œuvre très engagée sortie uniquement en France et non au pays. Cet album m’a permis de tourner en Europe pendant plusieurs années avant que je ne lance en 2019, toujours en France, mon tout dernier intitulé ‘’Résistance’’, comme une continuité de ‘’Indépendance’’, dans un d’état d’esprit de rassembleur, de liberté, d’amour et de paix. Pour ceux qui connaissent mes albums, ce sont ces thématiques que je développe.
Il y a déjà deux albums qui ne sont pas sortis en Côte d’Ivoire que les Ivoiriens doivent découvrir. Une sortie en coffret est donc en projet pour sortir en Côte d’Ivoire et en Afrique. Vous savez, quand on a soi-même un studio d’enregistrement, on travail tout le temps et aujourd’hui, au moment où on fait cette interview, il y un nouvel album, jamais sorti qui est déjà bouclé. Il est intitulé ‘’Caution time’’. Mais avant de lancer ce nouveau projet, je proposerai un Best off afin que les mélomanes ivoiriens se souviennent de mes chansons. C’est pour finaliser tout cela que je suis à Abidjan. Il faut aussi noter qu’au moment où la pandémie du coronavirus faisait ravage, j’ai lancé le projet ‘’’Expression Libre’’ à partir de mon studio. J’ai proposé une sonorité sur laquelle j’ai invité plusieurs artistes à venir s’exprimer selon leur ressenti à partir d’un thème que je leur ai proposé. Le Volume 1 est bouclé avec la participation des sommités européennes et africaines de la musique. C’est pour vous dire que le meilleur de Pablo-U-Wa est à venir pour le public ivoirien et africain.
Ma musique reggae est tirée de la racine de l’Afrique, la terre mère. Nous sommes les repères de nos frères d’autres continents qui font le reggae avec nous. Moi, je suis parti de la musique traditionnelle de chez nous, l’alloukou, pour arriver au reggae. Je chante en anglais, en français mais aussi et surtout en bété. Quand on a l’amour de sa culture, on s’attache à cette culture-là. Je suis un enfant du village. J’ai vécu une seule année à Abidjan lorsque j'étais en classe de 6e avant d’aller à Korhogo et rejoindre les parents en France, à l’âge de 15 ans. Mais je suis né dans la tradition. J’ai eu la chance de vivre avec mes grands-parents, j'ai chanté au village et j’ai suffisamment écouté les anciens. C’est cette somme d’expériences qui fonde aujourd’hui les repères de ma musique et ceux de ma personnalité.
Le bon reggae pour moi est celui qui conscientise, car c’est cela même l’essence de cette musique. Il y a quelque fois les moyens qui limitent l’engagement de certains jeunes mais quand tu les écoutes, tu te rends compte qu’il y a de la valeur à partager. Moi je suis beaucoup dans la recherche car la musique est une science. Les Jamaïcains nous ont ouvert la voie du reggae mais n’ont pas créé le reggae. Ils font le reggae avec nous, avec nos connaissances, nos racines. Parce que quand tu écoutes le reggae, on trouve les sonorités de l’alloukou, le gbégbé, le goumé et bien d’autres rythmiques africaines. A la base, les Jamaïcains eux-mêmes parlent du calypso. Mais le calypso en réalité c’est du gbégbé accéléré. C’est pour vous dire que la source du reggae est africaine. Les Jamaïcains ont pris cette valeur ancestrale et l’ont améliorée selon leur sensibilité. C’est dans la vision donc que le reggae s’exprime mieux musicalement, le tout soutenu par un message fort et conscientisant. Je l’ai toujours dit, le reggae ne se danse pas mais s’écoute.
Il ne faut plus voir le concept de groupe comme cela se faisait par le passé. En effet, à une certaine époque, il y avait la vision de groupe de musiciens et lead vocal inséparables. Ma première expérience était avec le groupe les Blacks Lion’s. On était quatre. Mais dans une telle formule, avec le temps, interviennent la famille et plusieurs autres obligations d’ordre social. Aujourd’hui, il y a un nouveau concept. Les musiciens se côtoient, se connaissent et travaillent ensemble sur un projet de concert. Autour de moi, il y a mes frères ivoiriens, africains, jamaïcains, antillais et européens. Quand un est indisponible, il me trouve un remplaçant pour mes tournées. La tournée finie, chacun vaque à ses autres occupations. C’est un travail de famille et cela se passe très bien. Le principe est que si aujourd’hui je n’ai pas un concert, il ne faut pas que cela empêche le musicien d’aller jouer là où on lui propose quelque chose. Il faut bien qu’il vive et s’occupe de sa famille.
Il y a une grande évolution et je constate qu’il y a beaucoup de live et de grands talents. Il y a de très bons musiciens et de beaux chanteurs. Malheureusement, la musique évolue mais les structures, qui doivent faire avancer la machine, régressent. Pas de véritables maisons de disques, ni de tourneurs ou autres mécènes. Mais il ne faut pas désespérer. Il faut travailler à mettre en place une vraie maison de disques et à faire vivre les artistes de leur art. Pour moi, l’industrie de la musique est la plus grande au monde. Écoute bien la nature et tu te rendras compte qu’elle chante, la musique est présente partout, dans ton téléphone, ta voiture, ta maison, même le silence chante. On a donc à y gagner en mettant en place des structures de financement et de soutien à la créativité, de diffusion et de promotion de cette créativité et créer des espaces d’expression et faire découvrir par les autres, à travers des tournées, les valeurs artistiques des uns et des autres.
Je dis qu’il faut vite travailler à la faire vivre. Regardez, par exemple en Europe. Alors que tu ne t’attendais pas du tout à quelque chose, tu reçois un virement parce que ta chanson est passée quelque part. Un autre jour, tu reçois un courrier pour te dire que tel ou tel artiste qui a participé à une œuvre a des droits à récupérer. Toute chose qui concourt à rappeler à l’artiste que c’est son métier, fais le bien et tu pourras vivre de ton art. En plus, tu sors un disque, il faut bien une maison de disques pour la distribuer et la vendre. Je ne vis pas ici, je viens avec un produit, il faut bien qu’il y ait une structure sur place pour l’imposer, car moi, je ne peux pas vivre un an au pays parce que j’ai des engagements en Europe, là où je vis. Et pour boucler le tout, il faut bien que des promoteurs te mettent sur scène. C’est toute cette chaîne qui manque au système. Dans ces conditions, il est difficile pour ceux qui vivent en Europe de travailler sur le continent. Bien évidement, ceux qui vivent ici n’ont pas le choix. C’est pourquoi il faut saluer leur courage et leur abnégation. Mais il faut faire vite, sinon tous ces talents vont s’épuiser et ce sera un vrai gâchis.
Je reste ouvert aux propositions. Moi, je ne suis ni producteur ni promoteur de spectacles, ni un tourneur. Je suis un artiste chanteur, musicien, auteur, compositeur et interprète. J’aime la scène, dès qu’on me propose une scène, je réponds présent. Donc, j’attends les propositions et ce sera avec plaisir que viendrai jouer pour les mélomanes.