Rebecca Yao, présidente de l'Association Diabo ville émergente: "Nous voulons que les femmes prennent part aux décisions agricoles"

Rebecca Yao, présidente de l'Association Diabo ville émergente. (Ph: Dr)
Rebecca Yao, présidente de l'Association Diabo ville émergente. (Ph: Dr)
Rebecca Yao, présidente de l'Association Diabo ville émergente. (Ph: Dr)

Rebecca Yao, présidente de l'Association Diabo ville émergente: "Nous voulons que les femmes prennent part aux décisions agricoles"

Le 10/08/22 à 15:07
modifié 10/08/22 à 17:13
Autonomisation de la femme rurale, projets agricoles, militantisme politique… La présidente l’Association Dve s’est ouverte à Fraternité Matin sur le sens de son engagement aux côtés des populations dans le Gbêkê.
Vous êtes la promotrice de l’usine de transformation de riz ‘‘Usifem’’ de Diabo. Comment vous est venue l’idée ?

En 2019, J’ai réalisé une étude situationnelle après une vaste tournée d’échanges et de rencontres avec les femmes des 172 villages du département de Botro. Nous avons mis en place une faitière de 200 coopératives de femmes agricultrices, commerçantes, artisans, apprenantes. J’ai ensuite élaboré un projet d’autonomisation financière de la femme dans le département de Botro portant sur la relance de la filière riz. J’ai soumis une requête relative au projet à la ministre Ly-Ramata Bakayoko, qui avait en charge le portefeuille de la Femme, de la Famille et de l’Enfant. Je rappelle que dans le cadre de mes nombreuses tournées dans la zone, j’avais constaté l’énorme potentiel en riz de notre département. Notamment avec le barrage de Diabo et les bas-fonds de Botro. J’ai opté pour le riz, qui est un aliment de grande consommation et qui offre beaucoup de débouchés de vente. Je me suis dit qu’avec cette culture, je pouvais contribuer à l’autonomisation des femmes de l’association Diabo ville émergente. Grâce donc à madame Ly-Ramata Bakayoko, nous avons bénéficié d’une trieuse décortiqueuse de dernière génération dans le cadre du programme Usifem-CI. Programme qui a pour but de doter les associations d’unités de transformation semi-industrielles de produits agricoles. Alors, depuis 2020, avec le soutien de l’Agence pour le développement de la filière riz (Aderiz), de l’Agence nationale d’appui au développement rural (Anader), du Centre national de recherche agronomique (Cnra), de l’Office d’aide à la commercialisation des produits vivriers (Ocpv) et d’une Banque de la place, nous travaillons à mettre en œuvre ce projet d’autonomisation financière de la femme autour de la filière riz. Avec ce projet, nous ambitionnons aussi de maitriser tous les éléments de la chaine de valeur (production, stockage, transformation, commercialisation).

De 2020 à ce jour, quels sont les chiffres de la production de cette unité industrielle ?

Nous n’avons pas encore atteint notre vitesse de croisière, même si nous sommes sur une courbe ascendante. L’usine est entrée en production il y a juste 18 mois. Je ne vais donc pas m’avancer dans des chiffres. Mais nous produisons déjà quelques dizaines de tonnes de riz de très bonne qualité, le riz N’Zrama de Diabo. Les adhésions au projet sont croissantes. La production suivra certainement. Notre plus gros défi, c’est de relever notre production et la mettre à niveau. Puisque notre machine trie, décortique et blanchit 600 kilogrammes de riz par heure. Nous devons travailler à la fois à obtenir auprès de la chefferie traditionnelle des bas-fonds pour les femmes, à sensibiliser ces dernières à s’adonner à la riziculture et à obtenir des financements pour les accompagner.

Réussissez-vous à écouler le riz produit ?

La riziculture est une filière d’opportunités puisque la Côte d’Ivoire importe pour environ 300 milliards de FCfa (soit 450 millions d’euros) de riz chaque année. Cependant, la commercialisation du riz local n’est pas aisée. Ce type de riz ne fait plus vraiment partie des habitudes alimentaires des Ivoiriens. Convaincre les distributeurs est un véritable parcours du combattant. Pourtant, la démarche de l’autonomisation des femmes autour de la riziculture n’aura tout son sens que si elle rapporte des revenus conséquents aux productrices. Nous avons besoin d’un appui particulier pour engager une vaste campagne de communication autour du riz local, le riz de Diabo. Nous avons déjà des magasins à Diabo, Bouaké et Abidjan, et nous pouvons livrer partout en Côte d’Ivoire. Malgré les difficultés, nous réussissons à écouler tant bien que mal notre production actuelle.

Comment avez-vous réussi à fédérer les femmes de la zone autour de ce projet ?

Il est plus facile de fédérer les femmes quand on est une femme. Quand les femmes se reconnaissent en vous, elles épousent facilement votre vision. Ensuite, il y a la proximité. Les femmes se sont ouvertes à moi. Elles m’ont raconté leurs réalités quotidiennes. Nous avons identifié ensemble les défis communs à relever. Et, je leur ai suggéré des solutions possibles. Dans la confiance mutuelle, nous travaillons depuis bientôt quatre ans à les mettre en œuvre.

On peut donc dire que vous êtes une grande militante de la cause des femmes rurales...

Oui. Parce que je crois que la femme est une force de travail, qui peut impulser la croissance économique et aider à lutter contre la pauvreté. Le 15 juillet dernier, nous avons procédé au lancement de la campagne agricole des femmes 2022-2023, sur le thème : « De l’agriculture de subsistance à l’agriculture commerciale ». Nous parlons, aujourd‘hui, de sécurité alimentaire, de cherté de la vie. Savez-vous que 43% de la main-d’œuvre agricole est féminine ? Les femmes sont incontournables dans les activités de production, de transformation et de commercialisation des produits agricoles. Elles aspirent aussi à vivre de l’agriculture et à être de véritables entrepreneures agricoles. Il faut les encourager. Car, en réalité, ce sont elles les piliers de l’autosuffisance alimentaire que nous recherchons. A mon avis, il faut concevoir des programmes spécifiques et un répertoire de financements (prêts, subventions et services) pour les femmes agricultrices, en prenant en compte leurs besoins réels. Des décisions visant à lever les obstacles qui empêchent les femmes de pratiquer et de se maintenir dans l’agriculture doivent être prises. Il faut également des appuis matériels et financiers (labour, herbicide, intrants, semences, engrais, système d’irrigation, matériel agricole moderne). Outre la dimension économique, nous menons le projet avec une démarche sociale, qui prend en compte le développement personnel des femmes à travers l’alphabétisation, l’éducation financière, etc. Pour que les choses avancent, nous voulons que les femmes participent aux décisions agricoles, et soient représentées dans toutes les faîtières afin de défendre leurs intérêts. Pour résumer, je me bats au quotidien pour la promotion du genre, la valorisation des compétences féminines et la représentativité des femmes dans les instances de décision. Et je souhaite que les médias comme Fraternité Matin nous aident à communiquer et à sensibiliser pour que la société reconnaisse le statut particulier de la femme, surtout celle du monde rural.

Vous êtes aussi promotrice de plusieurs autres projets dans le département de Botro à travers l’Association Diabo ville émergente. Quels sont-ils ?

Au nombre de nos toutes premières initiatives, je peux citer la Fédération des producteurs d’anacarde de département de Botro. L’idée, pour nous était de résorber le fléau de la contrebande et de la mévente de l’anacarde dans le département. Nous avons donc décidé de promouvoir les ventes groupées. Nous avons réussi à faire venir des groupements d’achat, qui ont acheté les stocks en souffrance pour plus de 300 millions de FCfa. Nous avons également un projet pour les pêcheurs du lac Loka. Depuis 2018, nous travaillons aussi au développement des infrastructures, entre autres, le reprofilage des voies et pistes rurales, la réhabilitation de logements d’enseignants et autres bâtiments sociaux.

Vous êtes aussi femme politique. On pourrait dire que vous vous servez des fonds publics pour mener ces activités au profit du parti au pouvoir...

Vous savez, on peut avoir accès à des fonds publics, mais sans vision, sans esprit communautaire, rien de pertinent et de durable ne peut être fait. Je suis plutôt guidée par l’amour de ma communauté. Ma mère vient de Diabo et mon père de Botro. Il est de mon devoir d’apporter le meilleur à mes parents. J’ai un mentor, le Président Alassane Ouattara. Je m’inspire naturellement du modèle qu’il est. « La Côte d’Ivoire solidaire », le programme cher à notre Président, prône le partage, la solidarité et des actions sociales au profit des populations. En bon soldat engagé, l’Association Diabo ville émergente travaille avec son réseau de partenaires publics et privés à améliorer les conditions de vie des populations du département de Botro et des femmes en particulier. Et ce, avec tous les moyens intellectuels, financiers, matériels, techniques dont elle dispose.

Envisagez-vous d’étendre les activités que vous menez, essentiellement au profit des femmes, à d’autres régions de Côte d’Ivoire ?

Oui. Parce qu’il est nécessaire de mobiliser un plus grand nombre de productrices agricoles pour créer un réseau solide qui portera les dossiers afférents à la réalisation des besoins et au respect des droits et de la femme. Nous avons déjà été sollicités par des coopératives et des associations de toutes les régions de la Cote d’Ivoire, qui veulent nous rejoindre et bénéficier de notre expérience. Nous réfléchissons à définir un cadre de travail avec elles. Nous devons tout faire pour que le métier d’agricultrice devienne suffisamment attractif et qu’il offre des perspectives de promotion économique et sociale aux femmes.

On vous accuse d’être un peu rebelle sur les bords et d’avoir des ambitions politiques démesurées. Qu’en dites-vous ?

En 2018, j’avais une ambition politique. Celle de faire basculer le département de Botro, avec ses deux sous-préfectures, Diabo et Languibonou dans le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (Rhdp). Il fallait effectivement avoir une certaine audace pour venir en 2018 parler du Président Alassane Ouattara au moment de la scission d’avec le Président Bédié du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci). De ma candidature aux municipales à Diabo à cette époque et deux ans avant que les instances ne soient mises en place, j’ai assuré la promotion du Rhdp dans la zone avec l’appui du ministre Amadou Koné, à travers des activités de sensibilisation et de nombreuses actions de développement. Mon combat a payé. A compter de 2020, beaucoup de cadres et non des moindres nous ont rejoint au Rhdp. La famille continue de s’agrandir. J’étais militante du Rassemblement des républicains (Rdr), et je suis aujourd‘hui très engagée pour la promotion de mon parti, le Rhdp. Mes actions s’orientent principalement sur le regroupement communautaire. C’est certainement cet engagement dans le milieu associatif, pour des coopératives de femmes, qui m’a valu d’être portée à la responsabilité de secrétaire nationale adjointe du Rhdp, chargée du monde associatif (Ong, mouvements de soutien). Je remercie le Président du parti, le président du directoire et le secrétaire exécutif, sans oublier la ministre d’État, Kandia Camara et le ministre Amadou Koné. Pour dire vrai, je suis peut-être un peu pugnace, mais je ne suis pas rebelle. Et mes ambitions ne sont pas démesurées. Elles le seraient d’ailleurs par rapport à quoi ? La plus jeune élue de Côte d’Ivoire a plus de dix ans de moins que moi. J’ai une vision qui est de faire du département de Botro, le deuxième pole économique de la région du Gbêkê après Bouaké, le chef-lieu de région. Pour cela, il faut créer de la richesse, exploiter les ressources naturelles. Les femmes ont un rôle important à jouer dans cette vision. Il faut les promouvoir. C’est mon crédo, et c’est ce qui guide mon combat. Je ne m’accommode plus des intrigues politiques. Malgré mes occupations professionnelles à Abidjan, je suis pratiquement tous les weekends aux cotés de mes parents. Parce que mon principal combat, c’est la lutte contre la pauvreté.


Le 10/08/22 à 15:07
modifié 10/08/22 à 17:13