Florence Rajan, directrice générale de Mca-Côte d’Ivoire : "Le don des États-Unis vise directement les populations ivoiriennes"

Florence Rajan, directrice générale de Mca-Côte d’Ivoire. (Ph: Dr)
Florence Rajan, directrice générale de Mca-Côte d’Ivoire. (Ph: Dr)
Florence Rajan, directrice générale de Mca-Côte d’Ivoire. (Ph: Dr)

Florence Rajan, directrice générale de Mca-Côte d’Ivoire : "Le don des États-Unis vise directement les populations ivoiriennes"

Après trois ans de mise en œuvre du programme Compact Côte d’Ivoire, Florence Rajan, directrice générale de Mca-Côte d’Ivoire, fait le point sur les acquis.
Le programme Compact Côte d’Ivoire est entré en vigueur depuis août 2019. Quel est le contenu de ce programme ?

Le programme Compact Côte d’Ivoire est entré en vigueur le 5 août 2019, au cours d’une cérémonie institutionnelle en présence du Président de la République de Côte d’Ivoire, Son Excellence Monsieur Alassane Ouattara et des membres du gouvernement. C’est un don du gouvernement américain à travers son agence, le Millennium challenge corporation (Mcc), au bénéfice des populations de Côte d’Ivoire pour réaliser deux projets dont le Projet Compétences pour l’employabilité et la productivité appelé « Skills ». De manière synthétique, il s’agira de construire, à travers ce projet structurant du secteur de l’éducation, environ 750 salles de classe sous forme de Collèges de proximité (Cdp) dans les régions de Gbêkê et de San Pedro ; construire 2 antennes de l’Ens à Bouaké et San Pedro et, enfin, construire 4 centres de formation technique et professionnelle dans le cadre du partenariat public-privé. En outre, le projet prévoit le renforcement de la politique genre et inclusion sociale dans le secteur de l’éducation, le renforcement des capacités des formateurs et, enfin, le renforcement des systèmes de qualité et de redevabilité (Accréditation). Le deuxième projet concerne le Transport routier à Abidjan (Atp) et vise l’amélioration de la fluidité dans le Grand Abidjan et la décongestion de la zone portuaire. Les axes suivants seront réhabilités : Boulevard Valéry Giscard d’Estaing (construire un fly-over au niveau du grand carrefour de Koumassi). Boulevard du Port / Boulevard de Vridi / Boulevard de Petit-Bassam - réhabiliter 8 km de voies (deux voies dans chaque direction) allant du pont Félix Houphouët-Boigny jusqu’au Tri Postal et à la zone industrielle de Vridi pour le boulevard du Port, du Tri Postal au terminus du Bus n°19 du Boulevard de Vridi, du rond-point adjacent du Boulevard de Petit-Bassam et le Pont de 100 mètres le long du Canal de Vridi. Sur le Boulevard de la Paix, il s’agit de réhabiliter 7 km de Boulevard de la Paix à six voies (avec deux voies dans chaque direction et deux voies supplémentaires réservées à la circulation restreinte). Sur l’autoroute de Yopougon, un tronçon de 8 km de l’autoroute de Yopougon à six voies du Pont Adjoint / Pont Ferrailles et se terminant au Carrefour Gesco. MCA-Côte d’Ivoire est l’entité responsable de la mise en œuvre du programme Compact pour le compte du gouvernement ivoirien.

Quel est l’objectif de ce programme ?

Le but du programme Compact est de réduire la pauvreté grâce à une croissance économique et inclusive. Pour rappel, ce programme a été conclu après que la Côte d’Ivoire a entrepris des réformes qui ont permis de répondre, de manière satisfaisante, aux indicateurs relatifs à la bonne gouvernance, à la liberté économique et l’investissement dans le capital humain.

Quel est le montant du don ?

Le Compact Côte d’Ivoire bénéficie d’une année d’extension supplémentaire pour lui permettre de faire face aux effets de la crise de la Covid. Avec cette extension, le montant final du don s’élève à cinq cent trente-six millions sept cent quarante mille (536 740 000) dollars US.

Comment les populations peuvent-elles bénéficier de ce don ?

Le don du gouvernement des États-Unis d’Amérique vise directement les populations ivoiriennes. Il doit bénéficier à terme à plus de 11 millions d’Ivoiriens à travers la mise en œuvre de réformes et d’infrastructures structurantes pour l’économie ivoirienne. Par exemple, le choix des zones de construction de nos collèges de proximité s’est fait selon une démarche scientifique qui a permis de cibler les zones avec les besoins les plus forts, celles où les enfants marchent aujourd’hui plus de 5km pour se rendre au collège. C’est la raison pour laquelle nous ambitionnons de construire plus 700 salles de classe dans les régions de Gbêkê et de San Pedro. Notre motivation, c’est de rapprocher l’école des familles dans nos deux régions d’intervention que sont le Gbêkê et San Pedro. Autour de ces collèges, c’est toute une approche de proximité que nous développons avec les populations grâce à nos activités de mobilisation communautaire. Et sur ce point, nous avons déjà visité 588 villages et mené plus de 4000 séances avec les communautés. Notre stratégie consiste à impliquer les populations pendant tout le processus de mise en œuvre des collèges pour une bonne appropriation. Pour parler du projet Transport, des chantiers école seront développés lors des travaux de réhabilitation des quatre itinéraires routiers retenus par le Compact pour permettre aux jeunes d’acquérir des compétences techniques et professionnelles susceptibles de faciliter leur employabilité ou leur insertion socio-économique. En effet, le domaine des travaux publics est un grand pourvoyeur d’emplois. Il contribue ainsi à lutter contre le chômage des jeunes et la pauvreté. La prise en compte de la formation dans ce secteur fidélisera assurément la main d’œuvre qualifiée et permettra de garantir le capital humain comme vecteur de promotion du travail décent. En outre, la qualité des chaussées et les travaux vont permettre de diminuer les temps de parcours pour un grand nombre d’Abidjanais et réduire les coûts d’entretien des véhicules. Ce sont là quelques exemples de bénéfices directs du programme pour les populations.

Trois ans après, quels sont les projets réalisés ou en cours de réalisation ?

Dans le secteur de l’éducation, le Compact a permis de mettre en place un comité interministériel chargé de la veille stratégique et de la supervision des activités de recrutement, de formation initiale et continue, de déploiement et suivi pédagogique des enseignants du premier cycle du secondaire où siègent des représentants du ministère de l’Enseignement supérieur, du ministère de l’Éducation nationale, du ministère de l’Économie et des Finances, du ministère du Budget, du ministère de la Fonction publique, de la Task Force et du GLPE (Groupe Local des Partenaires pour l’Éducation) ; car construire des infrastructures scolaires ne suffit pas. Il faut pouvoir avoir des enseignants en place et bien formés au moment des rentrées scolaires. A ce jour, 21 réunions mensuelles du Groupe de travail et 4 réunions du Secrétariat exécutif ont eu lieu. L’objectif recherché est de permettre aux principaux acteurs et aux partenaires techniques et financiers d’arrêter les meilleures stratégies, d’impulser les réformes nécessaires et d’assurer la durabilité des investissements destinés au système éducatif ivoirien. MCA-Côte d’Ivoire travaille également à doter le ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation (Mena) d’un «Système d’Information et de Gestion de l’Éducation (Sige) intégré». L’objectif général de notre accompagnement est d’assurer la mise en place des systèmes de prise de décision sur base de données et d’un système d’évaluations nationales et internationales des acquis scolaires. Après l’état des lieux, le diagnostic, l’architecture détaillée du scénario final du Sige intégré a été validée et le processus d’opérationnalisation est en cours. Concernant l’évaluation, la Côte d’Ivoire participe à l’évaluation Trends in International Mathematics Science Study (Timss) pour la première fois. Elle concerne les mathématiques et les sciences. Seuls trois pays africains y ont déjà participé. A ce jour, une évaluation pilote a été faite dans 16 établissements du pays. C’est en tirant les leçons d’expériences réussies ailleurs que nous favoriserons l’amélioration continue de nos systèmes. Toujours dans le volet éducation, MCA-Côte d’Ivoire appuie le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique et le ministère de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation dans l’amélioration de la formation des enseignants bivalents à l’Ens ainsi que dans la révision des outils de supervision et d’inspection des enseignants.

Photo de la 13e session du Conseil d'administration de Mca-Côte d'Ivoire. (Ph: Dr)
Photo de la 13e session du Conseil d'administration de Mca-Côte d'Ivoire. (Ph: Dr)



De nouveaux programmes de formation annoncés...

Les nouveaux programmes de formation, coconstruits par les experts du Mesrs et ceux du Mena, ont été adoptés par le conseil d’enseignement et de recherche de l’Ens le 22 février dernier. Une note circulaire a été prise par le ministère pour l’application des nouveaux programmes dès l’année académique 2022-2023. 175 enseignants de l’Ens et de l’Injs qui interviennent dans la formation des enseignants bivalents seront formés à l’application des nouveaux programmes. L’Ens et son centre d’application Jean Piaget bénéficieront d’équipement importants dans le cadre du Compact. Ces programmes seront implémentés dans nos collèges de proximité et les autres collèges pour favoriser le maintien des élèves à l’école et améliorer l’acquisition de compétences non techniques, le «savoir-être». Au titre de nos réalisations, nous avons aussi apporté un appui au Mena dans l’élaboration d’une politique genre. Cette politique a été adoptée en Conseil des ministres le 09 décembre 2020. Le Document de politique a été officiellement transmis à madame la ministre de l’Éducation nationale au cours d’une cérémonie institutionnelle à MCA-Côte d’Ivoire. Cette politique marque un succès important de l’activité relative au renforcement du dispositif de consolidation et de pérennisation des acquis dans le cadre de la promotion du genre dans le secteur de l’éducation à la suite de la création de la Direction de l’égalité, de l’Équité et du Genre (Deeg). Nous avons travaillé également avec le ministère de l’Enseignement Technique de la Formation Professionnelle et de l’Apprentissage (Metfpa) à l’élaboration d’un projet de texte qui a fait l’objet de revue et de validation par les experts et les parties prenantes du domaine. Ce texte a été soumis au Parlement. Cette loi permettra de valider un tout nouveau paradigme de l’Etfp en Côte d’Ivoire. L’objectif est de permettre au secteur privé de définir le profil de formation nécessaire pour son développement en étant lui-même acteur du cursus de formation. Ainsi cette loi valide et promeut l’émergence de centres de formation gérés par des consortia du secteur privé. Cela garantit l’employabilité des apprenants issus de ces centres mais également la compétitivité du secteur privé. En application de ce modèle, nous avons lancé un appel à partenaire au bout duquel 4 consortia ont été retenus pour finaliser des projets de centre de formation. Ce sera un pilote de ce nouveau modèle dont nous espérons que l’approche permettra, à l’avenir, la création de plus de centres.

Qu’est-ce qui est fait dans le secteur des transports ?

Dans le secteur des transports, MCA-Côte d’Ivoire a mis en place un groupe de travail sur la gestion du trafic à Abidjan. Ce groupe est composé des parties prenantes concernées pour élaborer, gérer, maintenir et actualiser un plan de gestion du trafic. A cet effet, un arrêté interministériel de création du Comité Technique de Coordination du Trafic Routier (CTCTR) a été signé le 3 août 2018. 24 réunions du groupe de travail se sont déjà tenues. Ce comité est inédit en Côte d’Ivoire de par son approche participative de large ouverture à travers laquelle toutes les entités intervenant dans le secteur des transports sont représentées. A cet effet, des sujets divers sont discutés comme l’assainissement, la circulation, l’accidentologie... Le CTCTR est également une plateforme qui facilite l’intégration des données des autres projets d’infrastructures des transports dans la ville d’Abidjan. Cela permet naturellement une meilleure prise en compte des questions de fluidité routière dans le grand Abidjan. Les entités membres du CTCTR bénéficient régulièrement, dans le cadre du Compact, de sessions de renforcement des capacités sur la gestion des infrastructures de transports. En outre, MCA-Côte d’Ivoire avec le financement du MCC a déjà mis à la disposition de ces structures des dotations en matériels et équipements de pointe d’une valeur de plus de 1 million USD. A la fin du Compact, les structures gouvernementales en charge des questions de transport et de mobilité urbaine auront bénéficié de formation adéquate pour le bonheur des usagers de la route. Nous avons aussi développé, dans le cadre de nos activités, un master professionnel conjoint INP-HB et ENSEA, en partenariat avec Polytechnique Montréal et Michigan State University. Le programme dit 3ES (Engineering, Economics, Environmental and Social) s’adresse, avant tout, aux professionnels en activité dans les entreprises, organisations publiques et parapubliques intervenant dans le secteur routier qui souhaitent se doter d’une vision globale de la gestion d’infrastructures y compris les questions environnementales et sociales et maitriser les outils utilisés dans les systèmes de gestion du patrimoine d’infrastructure dans le secteur routier. Les frais de scolarité sont pris en charge dans le cadre du Compact. Nous avons lancé la 3ème cohorte et le processus de recrutement est ouvert et transparent. Concernant les infrastructures, les premiers travaux de construction des collèges ont été lancés depuis fin mars 2022 à San-Pedro par la ministre de l’Éducation nationale et de l’Alphabétisation, le Professeur Mariatou Koné. Le programme Compact offre également des opportunités économiques de premier plan à travers nos appels d’offres qui sont diffusés sur des canaux publics. En ce moment même un processus de recrutement de firmes de travaux pour la réhabilitation des voies du projet ATP est en cours. Je voudrais inviter les entreprises du secteur des travaux publics à y soumissionner massivement.

Quelle appréciation faites-vous de la mise en œuvre de ce programme ?

Nous avons une feuille de route précise qui nous a été assignée par notre Conseil d’Administration dirigé par le ministre, secrétaire général de la Présidence de la République, monsieur Abdourahmane Cissé conformément au traité du Compact. Nous sommes à pied d’œuvre afin de réaliser l’entièreté des activités prévues dans ce don. Comme tout projet, nous faisons face à nos difficultés que nous préférons aborder sous forme de défis et d’une recherche permanente de solutions. Je suis confiante dans nos capacités à relever tous les défis qui se poseront à nous dans le cadre de ce programme si important pour le développement de notre pays.

Y a-t-il des difficultés particulières que vous rencontrez dans l’exécution du programme ? Lesquelles ?

Oui nécessairement pour de tels projets, considérant la qualité d’ouvrages recherchée. Nous venons de démarrer les travaux dans la région de San Pedro par exemple. Les entreprises qui nous accompagnent à ce niveau doivent aussi se familiariser avec nos directives environnementales et sociales qui sont des standards de notre partenaire, le MCC. Ceci nécessite beaucoup de formations, donc beaucoup d’énergie pour que tout le monde comprenne bien tous les enjeux. Mais surtout ce qui est attendu en termes de qualité et standards dans ce programme. Nous pensons que nous allons dans la bonne direction parce que nos bases sont solides et que notre équipe MCA-Côte d’Ivoire est passionnée et engagée.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire mondiale Covid-19 sur l’exécution du programme ?

Un an après l’entrée en vigueur du Programme, nous avons dû faire face à ce défi de niveau international. Au moment où il nous fallait déployer les activités sur le terrain auprès des communautés, nous nous sommes heurtés à la mise en place de mesures barrières nécessaires pour contrôler la pandémie. Il a fallu revoir notre façon de travailler avec nos partenaires américains et développer d’autres outils de collaboration. Évidemment, nous ne pouvions plus recevoir des missions d’encadrement très utiles de Washington. Nous avons dû faire preuve d’agilité et trouver ensemble avec nos partenaires du MCC, que je tiens à remercier pour le niveau d’engagement des équipes, la façon de continuer à faire avancer le programme. Mais nous avons été impactés en termes de délai. Par conséquent, le Compact bénéficie d’une année d’extension supplémentaire que le Congrès Américain a bien voulu accorder à la Côte d’Ivoire pour lui permettre de faire face aux effets de la crise de la Covid-19.

Quelles sont les perspectives ?

Le Programme est entré dans une phase d’accélération. Nous avons, pour ce faire, tiré les leçons de nos trois premières années d’existence. Aujourd’hui, en vue d’améliorer la qualité de nos activités, nous croyons qu’il est important de mettre davantage l’accent sur l’engagement des parties prenantes. Nous allons bientôt réhabiliter des voies critiques qui sont au cœur d’Abidjan. Il nous faut donc mieux appréhender les défis en termes de visibilité de nos activités, afin de permettre aux populations de mieux s’approprier ce programme qui est le leur. Il en va de même pour les collèges dont nous avons démarré la construction. Ce projet doit être très inclusif afin de pouvoir impacter au maximum.

Interview réalisée par

GERMAINE BONI et

DAVID YA