S.E. Madame Anne Lugon-Moulin, ambassadrice de la Confédération suisse en Côte d’Ivoire: ‘‘La coopération entre nos deux pays est au beau fixe’’

S.E. Madame Anne Lugon-Moulin, ambassadrice de la Confédération suisse en Côte d’Ivoire. (Ph: Honoré Bosson)
S.E. Madame Anne Lugon-Moulin, ambassadrice de la Confédération suisse en Côte d’Ivoire. (Ph: Honoré Bosson)
S.E. Madame Anne Lugon-Moulin, ambassadrice de la Confédération suisse en Côte d’Ivoire. (Ph: Honoré Bosson)

S.E. Madame Anne Lugon-Moulin, ambassadrice de la Confédération suisse en Côte d’Ivoire: ‘‘La coopération entre nos deux pays est au beau fixe’’

Le 05/08/22 à 09:41
modifié 05/08/22 à 09:41
A l'occasion de la fête nationale suisse, la diplomate partage l'expérience de son pays en matière de démocratie tout en faisant le bilan de la coopération ivoiro-suisse.
Excellence, à l’occasion de la célébration de la fête nationale de votre pays, quel message pourriez-vous adresser à vos compatriotes résidant en Côte d’Ivoire et aux Ivoiriens qui s’intéressent à la Suisse ?

La devise de la Suisse est « Un pour tous, tous pour un » : c’est un message de solidarité. C’est cela que je souhaite à mes compatriotes, aux Ivoiriens qui vivent en Suisse ou qui s’intéressent à la Suisse et à toute personne qui s’intéresse aux relations internationales harmonieuses.

Seulement six jours séparent les dates de célébration des fêtes nationales: l’indépendance de la Côte d’Ivoire et celle de la Suisse. Quel est, aujourd’hui, l’état des relations diplomatiques entre ces deux pays ?

La coopération entre nos deux pays se porte très bien. Nous avons signé il y a trois mois, un accord avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique par lequel nous avons remis un capital de 5 milliards de FCfa à ce ministère à destination du Fonds pour la science, la technologie et l’innovation (Fonsti). C’est un aboutissement de plusieurs années de travail. Nous avons eu la visite du ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, Vagondo Diomandé, à Berne, en fin d’année dernière, auprès de la ministre de la Justice et de la Police helvétique, Mme Karin Keller-Sutter. A cette occasion, plusieurs accords en matière migratoire et de soutien à la Côte d’Ivoire furent signés. Côté économie, plus de 35 entreprises sont présentes en Côte d’Ivoire : la Chambre de commerce SwissCham a été relancée avec un directoire complet et de nouveaux statuts. Cette présence économique suisse est forte, compétitive, investit constamment et crée des emplois dans le pays. Nous pouvons dire que la coopération est au beau fixe.

Votre pays apporte son soutien financier au Projet d’appui à la bonne gouvernance par le contrôle citoyen (Pagoc) à la Côte d’Ivoire. En quoi consiste ce dispositif de lutte contre la corruption ?

A travers cette initiative lancée avec le ministre de la Promotion de la Bonne gouvernance et de la Lutte contre la corruption, la Suisse cherche à promouvoir la gouvernance participative, la reddition des comptes et les mécanismes de contrôle-citoyen pour un développement inclusif. Cela s’articule autour de trois actions majeures, à savoir une campagne digitale de sensibilisation sur la bonne gouvernance et les différents instruments y afférents, une mise en place d’un réseau d’auditeurs citoyens des politiques publiques et des ateliers publics de renforcement des capacités des citoyens.

Dans une déclaration récente rapportée par Abidjan.net, vous affirmé que « La Suisse s’est construite de bas en haut,... avec un organe exécutif, législatif ou de contrôle citoyen qui contrôle ce que l’Exécutif fait ». Comment, au quotidien, ce contrôle s’exerce-t-il concrètement ?

Historiquement, la Suisse a débuté son histoire en 1291 par une alliance entre trois cantons seulement. Au fil des siècles, petit à petit, d’autres cantons ont rejoint l’alliance. L’État fédéral, lui, est véritablement né en 1848. Aujourd’hui, aux trois niveaux de l’État - soit communal, cantonal et fédéral -, vous avez un organe exécutif et un organe législatif. Dans les plus petites communes, l’organe législatif est composé de la totalité des citoyens qui approuvent ou non les propositions de l’exécutif. On nomme cet organe « l’assemblée communale ». Dans les grandes communes, le législatif est composé d’élus, qui ont le même rôle que les assemblées communales. Ce rôle de contrôle est extrêmement important, car, dans un pays décentralisé comme la Suisse, les communes et les cantons ont beaucoup de pouvoir et de ressources financières (à eux deux, ces deux niveaux perçoivent 80% des recettes fiscales de tout le pays). Il est donc primordial que le citoyen se sente concerné et ait les moyens de regarder ce que les élus font avec son argent.

Ce modèle peut-il s’appliquer aux pays africains ?

Je pense que chaque pays doit trouver la solution qui lui sied le mieux en matière de gouvernance, en fonction de son histoire, de sa mentalité et des impératifs auxquels il fait face dans l’époque où nous sommes. Cela dit, la coopération suisse au développement finance de gros programmes de décentralisation dans plusieurs pays africains, qui s’inspirent de ce qui se fait en Suisse. Mais tout ne peut pas être répliqué. Votre pays vient de signer, il y a quelques mois, un Mémorandum d’entente portant sur le transfert du capital Programme d’appui stratégique à la recherche scientifique (Pasres) vers le Fonds pour la science, la technologie et l’innovation (Fonsti), avec le ministère ivoirien de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

En quoi consiste-t-il ? Et qu’est-ce que cela peut apporter dans l’amélioration de l’enseignement supérieur et de la recherche en Côte d’Ivoire ?

Ce Mémorandum d’entente remet le capital du Pasres, géré et supervisé par une structure jusque-là, ivoiro-suisse, entièrement entre les mains ivoiriennes. La Suisse, en se retirant de cette structure, démontre que la Côte d’Ivoire est un partenaire parfaitement fiable. Nous lui faisons confiance. Les intérêts de ce capital serviront à financer des projets de recherches du Fonsti. Nous remarquons également une densification des coopérations bilatérales en matière de recherche scientifique. L’exemple le plus frappant est que le Fonds national suisse (l’organe de financement de la recherche en Suisse) et le Fonsti ivoirien ont gagné l’appel à candidatures pour co-organiser la prochaine rencontre annuelle du Global Research Council qui aura lieu en Suisse en 2024. Le Global Research Council regroupe les principaux organismes de financement de la recherche sur le plan mondial. Cela démontre que les milieux de la recherche helvétique voient en leurs homologues ivoiriens des partenaires de premier plan.

Ces derniers temps, nous observons un accroissement des activités de votre pays en Côte d’Ivoire. Pouvez-vous nous résumer brièvement les actions majeures que vous avez effectuées ?

Actuellement, toute une série de projets de coopération au développement sont lancés ou en cours de finalisation. Récemment, j’ai inauguré un projet sur l’emploi décent dans les secteurs de l’agriculture et du travail domestique avec le ministre de l’Emploi et de la Protection sociale. Il y a quelques semaines, le ministre des Ressources animales et Halieutiques et moi, avons lancé la campagne de vaccination des petits ruminants à Aboisso. Enfin, dans la semaine de la Journée africaine de lutte contre la corruption, le projet Pagoc dont il est question ci-dessus a débuté. Prochainement, nous lancerons un projet de lutte contre le travail des enfants dans le secteur du cacao. Tous ces projets démontrent que la Suisse prête une grande attention à la Côte d’Ivoire, qui est un partenaire fiable et un élément de stabilité dans la région, et que nous soutenons.

À ce jour, que représente le volume des échanges entre la Confédération suisse et la Côte d’Ivoire ?

Nous avons un volume légèrement supérieur à 1 milliard de dollars par an, dont le solde est largement en faveur de la Côte d’Ivoire. En réalité, le volume est bien supérieur à ce chiffre. Seulement, une bonne partie des marchandises importées par la Suisse passe par le port d’Anvers et n’est donc pas comptabilisée dans les statistiques du commerce Côte d’Ivoire-Suisse.

L’Europe est actuellement déchirée par la guerre qui oppose l’Ukraine à la Russie. Qu’est-ce que la Suisse fait pour stopper ce conflit qui impacte négativement l’Afrique ?

Au début du mois de juillet s’est tenue une grande conférence internationale à Lugano, dans la partie italophone de la Suisse, sur la reconstruction de l’Ukraine. La Suisse a reçu 40 délégations de pays partenaires et 20 délégations d’organisations internationales, qui ont cherché ensemble des solutions pour la reconstruction de l’Ukraine. De plus, nous avons mis à la disposition de l’Ukraine et de la Russie, nos capacités de médiation. Pour ce qui est de la sécurité alimentaire et l’Afrique, nous avons augmenté notre contribution au Programme alimentaire mondial de l’Onu pour essayer de mitiger la crise alimentaire qui a lieu au niveau mondial et sur l’Afrique. Enfin, nous accueillons des réfugiés ukrainiens en Suisse. Ils sont actuellement au nombre de 58 000.

La Suisse, un pays neutre. Est-ce que cela ne va pas porter un coup à son image ?

En tant que pays neutre, la Suisse est obligée de respecter le droit de la neutralité. Ce dernier prescrit notamment que la Suisse ne doit pas participer aux conflits armés internationaux et ne doit pas favoriser des parties belligérantes sur le plan militaire, que ce soit par la livraison d’armes ou l’envoi de troupes. La politique de neutralité, en revanche, laisse une plus grande marge de manœuvre. En l’occurrence, l’agression militaire menée par la Russie contre l’Ukraine est une violation grave du droit international, notamment l’interdiction du recours à la force inscrite dans le droit international ainsi que l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine. La Suisse est dans le camp des pays qui défendent les valeurs démocratiques et le droit international.

Cela veut-il dire que la Suisse applique les sanctions internationales contre la Russie ?

Oui, bien sûr, nous avons repris et appliquons les sanctions occidentales contre la Russie.

Comment expliquez-vous cette volonté de la Confédération suisse d’établir un partenariat avec l’Otan ? Cela est-il compatible avec cette neutralité, comme le pensent certains hauts responsables suisses ?

Le droit international relatif à la neutralité prévoit certaines règles qui stipulent, entre autres qu’un État obéissant au droit de la neutralité ne peut pas adhérer à une alliance militaire telle que l’Otan. Il existe néanmoins une certaine marge de manœuvre en matière de coopération avec une telle organisation. Cette marge de manœuvre fait actuellement l’objet d’un débat en Suisse, ce qui est un signe de santé démocratique. Le Département fédéral des Affaires étrangères va prochainement remettre au Conseil fédéral (le gouvernement suisse), un rapport sur la neutralité qui donne différentes pistes de développement pour l’avenir. Pour le moment, rien n’est encore tranché. Il s’agit de propositions.

Pensez-vous qu’il est encore possible de demeurer un pays neutre, dans un monde de plus en plus incertain, avec certaines nations qui aspirent sans cesse à accroître leur puissance militaire et leur domination dans le monde ?

Oui, je pense que les pays neutres ont encore toute leur place dans le monde. Notre neutralité nous permet de mettre à disposition nos bons offices dans des situations de conflits. Nous représentons également les intérêts de pays qui n’ont pas ou presque pas de relations diplomatiques, dans le cadre de mandats de puissance protectrice. Actuellement, nous avons 7 mandats de cette nature. Il est nécessaire que le monde préserve encore ce type d’espaces.

Depuis le 9 juin 2022, la Suisse a été élue membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Onu. Qu’est-ce qui a motivé cette candidature ?

Nous avons été élus au Conseil de sécurité de l’Onu le 9 juin dernier et allons intégrer le Conseil au début de l’année 2023. Nous avons déposé notre candidature, il y a plus de 10 ans. Il y a seulement 20 ans que nous sommes membres à part entière de l’Onu. Au sein du Conseil de sécurité de l’Onu, la Suisse va pouvoir s’engager pour défendre la démocratie, le droit international, etc. C’est pour ces raisons que la Suisse va aller au Conseil de sécurité de l’Onu. En aucun cas, la neutralité n’empêche la Suisse de siéger au Conseil de sécurité de l’Onu. Notre neutralité, nous la voyons comme une neutralité solidaire. Nous sommes solidaires avec un certain nombre de valeurs et c’est avec ces idéaux que nous allons intégrer le Conseil de sécurité de l’Onu. Je remercie tous les 187 pays qui ont voté pour la Suisse le 9 juin dernier. La Côte d’Ivoire avait même reçu trois votes de plus que la Suisse lors de son élection audit Conseil en 2017.

Quel rôle va jouer la Suisse au sein du Conseil de sécurité de l’Onu ?

La première des choses qui me vient à l’esprit, ce sont tous nos efforts en matière de consolidation de la paix. Durant les dernières années, nous avons facilité une vingtaine de processus de paix dans le monde, dont à titre d’exemples, en Afrique, les accords de paix au Mozambique en 2018-2019 et l’opération de libération des Chibok girls au Nigeria. Nous avons une certaine expérience que nous mettons à la disposition de la communauté internationale et nous espérons en faire bon usage au Conseil de sécurité. Nous avons un certain nombre d’agences de l’Onu qui siègent à Genève. Nous voulons faire valoir l’expertise de ces acteurs basés à Genève, et contribuer à un ordre international fiable fondé sur des règles claires et des valeurs démocratiques. De plus, nous défendons l’Agenda 2030 pour le développement durable à travers notre aide au développement depuis des années, avec un montant substantiel. Sont également très importants l’égalité des genres, que nous promouvons, et enfin, notre soutien rigoureux à un multilatéralisme fort. Entrer au Conseil de sécurité est aussi une façon pour nous de contribuer à un multilatéralisme efficace.

Excellence, l’Union africaine vient de célébrer ses vingt ans d’existence ; quel regard portez-vous sur cette institution panafricaine ?

L’évolution de l’Union africaine durant les dernières décennies est impressionnante. L’organisation est non seulement un acteur majeur en politique de paix et de sécurité, mais également en matière migratoire, de développement et de droits humains. La Suisse travaille avec l’Ua dans tous ces domaines. Le continent africain est d’une grande diversité et immense ; le fait que l’Ua arrive à fédérer les pays autour d’enjeux et d’efforts conjoints est très remarquable.


Le 05/08/22 à 09:41
modifié 05/08/22 à 09:41