Mamadi Doumbouya sur les traces de Moussa Dadis Camara ?

Mamadi Doumbouya
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Mamadi Doumbouya

Mamadi Doumbouya sur les traces de Moussa Dadis Camara ?

Le 08/07/22 à 15:15
modifié 08/07/22 à 15:15


Alors qu’il avait promis de ne pas s’éterniser au pouvoir, le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya ne semble plus pressé d’organiser des élections, et il tolère de moins en moins la critique. Au fil des mois, la junte qu’il dirige a posé des actes qui inquiètent les Guinéens et qui rappellent la dérive autoritaire des régimes précédents.

Lors de sa prise de pouvoir le 5 septembre 2021, le lieutenant-colonel Mamadi Doumbouya était applaudi pour avoir renversé le président Alpha Condé, élu pour un troisième mandat en octobre 2020 après des manipulations constitutionnelles, une répression sanglante et un scrutin à la crédibilité contestée. Le président du Comité national pour le rassemblement et le développement (CNRD), autoproclamé président de la transition, avait motivé son coup d’État par « l’instrumentalisation des institutions républicaines, de la justice, le piétinement des droits des citoyens [et] l’irrespect des principes démocratiques », et répétait à qui voulait l’entendre qu’il allait « rendre le pouvoir au peuple de Guinée ». Il semble aujourd’hui prendre la même voie que le président qu’il a renversé. Ou, pire, celle du capitaine Moussa Dadis Camara, le leader du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), la junte qui avait mené le pays au chaos en 2009 lors d’une précédente transition.

Après dix mois de transition, le CNRD ne semble pas pressé d’organiser les élections et de rendre le pouvoir aux civils. Il cherche plutôt à asseoir son contrôle sur les institutions du pays. Il a notamment placé des militaires aux postes de gouverneur et de préfet et nommé un gouvernement docile. En rebaptisant l’aéroport de Conakry au nom d’Ahmed Sékou Touré, la junte a humilié son Premier ministre, Mohamed Béavogui, dont l’oncle maternel, le célèbre diplomate Diallo Telli, est une victime emblématique du premier président de la Guinée. Béavogui a certes protesté – mollement – contre cette décision de la junte, mais il a refusé de démissionner. Et il semble marginalisé au sein de sa propre équipe face à l’omniprésent porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, et au puissant ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation, Mory Condé, qui est officiellement chargé d’organiser les élections depuis la dissolution de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni).

Le CNRD a même limogé, le 31 décembre 2021, la ministre de la Justice, Fatoumata Yarie Soumah. Sa relation était tendue avec les militaires, qui ne lui ont pas laissé les mains libres pour organiser le procès du massacre du 28 septembre 2009 – sous la junte du capitaine Moussa Dadis Camara, les forces de défense et de sécurité avaient ouvert le feu contre des manifestants réunis au stade du 28-Septembre, à Conakry. Elles avaient tué au moins 156 personnes, et en avaient blessé un millier d’autres, et avaient violé plus d’une centaine de femmes. Mme Soumah s’est en outre rendue « coupable » d’avoir protesté contre la décision du président de la transition de convoquer, sans l’en informer au préalable, le personnel de son ministère afin d’évoquer la politique pénale de la transition.

Des partis politiques marginalisés

Après cinq mois interminables, Doumbouya a lui-même nommé les membres du Conseil national de la transition (CNT), qui fait office de Parlement et dont la principale mission est de rédiger une nouvelle Constitution. Le CNRD y a marginalisé les partis politiques, qui ne disposent que de 15 sièges sur les 81 du CNT. Comme chaque parti n’a droit qu’à 1 siège, le principal parti d’opposition à Alpha Condé, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), de Cellou Dalein Diallo, qui avait recueilli 33 % des suffrages lors de la dernière élection présidentielle, a autant de poids que des partis qui ont obtenu moins de 1 % des voix ou qui n’y ont pas participé.

De plus, le président du CNT n’a pas été élu par ses pairs, mais a été nommé directement par Doumbouya. Celui-ci a choisi Dansa Kourouma, l’ancien président du Conseil national des organisations de la société civile (CNOSC), un regroupement d’organisations de la société civile qui n’a pas brillé par son opposition au troisième mandat d’Alpha Condé. Kourouma avait déclaré, après la réélection de Condé en 2020, se soumettre «  à la dictature  des institutions », et avait affirmé qu’«  aller à l’encontre de cela [serait] une rébellion contre la République ».

Sachant bien ce qu’ils doivent au CNRD, les « conseillers nationaux » ont voté à la quasi-unanimité en faveur d’une transition longue, prévue pour durer 36 mois – la junte en avait proposé 39. Sauf que le porte-parole du gouvernement a indiqué au micro de RFI que ce délai commençait à partir du « déroulement des étapes de la transition », c’est-à-dire « à partir du mois de juin » 2022 - soit une transition de 45 mois. Longtemps vague sur cette question, la junte parle plus volontiers de projets de développement – elle a évoqué la construction d’aéroports régionaux, d’hôpitaux régionaux ou encore d’usines de transformation de la bauxite – que d’élections, comme si elle voulait se donner le temps de gouverner pour avoir un bilan à défendre.

Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), la coalition d’organisations de la société civile et de partis politiques qui a mené la lutte contre le troisième mandat d’Alpha Condé, estime que ce délai est trop long. Il en a fait son nouveau slogan : « Transition Mandat Maara », qui signifie : « La transition n’est pas un mandat ». Le FNDC et ses alliés, notamment l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo, le principal opposant à Condé, dénoncent une décision illégale du CNT. L’article 77 de la charte de transition dispose en effet que « la durée de la transition sera fixée de commun accord entre les Forces Vives de la Nation et le Comité National du Rassemblement et du Développement ».

Une justice instrumentalisée

Une autre institution joue un rôle clé dans cette transition : la Cour de répression des infractions économiques et financières (Crief). Créée pour lutter contre la corruption, cette juridiction a déjà placé en détention provisoire les poids lourds du Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé, dont l’ancien Premier ministre Ibrahima Kassory Fofana, l’ancien président de l’Assemblée nationale Amadou Damaro Camara, ou encore l’ancien ministre de la Défense Mohamed Diané.

Cellou Dalein Diallo est également dans son viseur. La Crief a ouvert une information judiciaire contre lui pour des soupçons de corruption dans l’affaire – vieille de vingt ans – de la cession des actifs de la compagnie aérienne nationale Air Guinée. Le président de l’UFDG, qui était alors ministre des Transports et des Travaux publics, est soupçonné, sur la base d’un vieux rapport d’audit, d’avoir bradé les actifs de l’entreprise. Par ailleurs, il a vu sa maison à Conakry saisie puis détruite dans le cadre d’une « opération de récupération des biens de l’État » que mène actuellement la junte – la saisie et la destruction ont été menées alors même que le dossier est toujours devant la justice.

À ces éléments s’ajoute la diffusion sur les réseaux sociaux d’un enregistrement audio – vraisemblablement effectué dans le cadre d’une réunion privée – attribué à Ousmane Gaoual Diallo. Dans cet enregistrement, le porte-parole du gouvernement et ancien membre de l’UFDG affirme : « À l’UFDG, présenter [Cellou Dalein Diallo à la prochaine élection présidentielle] c’est prendre un risque de voir son candidat éliminé. [...] Vous avez beaucoup de risques d’être éliminé, beaucoup de risques, surtout dans les démocraties cocotier. [...] Ce n’est pas automatiquement qu’on va vous éliminer, c’est à la Cour constitutionnelle. [...] Mais comment vous voyez que le seul fait d’éliminer le gars pour l’empêcher d’être président, c’est de l’empêcher d’être candidat ? Et on peut le faire légalement en passant par la Cour constitutionnelle. » Après la révélation de cet enregistrement, l’UFDG a dénoncé « des machinations envisagées par les autorités de la transition pour éliminer Cellou Dalein Diallo de la course à l’élection présidentielle ».

« Deux poids deux mesures »

De son côté, Fonike Menguè, l’actuel coordinateur du FNDC, dénonce le « deux poids deux mesures » de la Crief, et notamment le fait qu’elle ne s’intéresse qu’à des civils « alors qu’au sein de la Grande Muette, les détournements et la corruption sont de notoriété publique », et qu’« à date, aucun homme en uniforme n’est inquiété ». Il ajoute : « Considérant que le chef doit toujours donner le bon exemple, je juge nécessaire de demander en ma qualité de citoyen guinéen que la Crief interpelle le colonel Doumbouya sur l’acquisition de son immeuble R+12 en construction à Kipé », le quartier chic de Conakry.

La déclaration des biens des autorités de la transition, censée prévenir la corruption, est une des revendications du FNDC. Le mouvement demande également la publication de la liste des membres du CNRD, toujours pas connue ; le respect des droits de l’homme et en particulier du droit à manifester ; et l’ouverture de procès pour les crimes de sang commis dans le cadre des manifestations anti-troisième mandat (le FNDC estime le nombre de morts à 99, Amnesty International à au moins 66). À la suite de l’envoi d’un « lot de preuves » par le cabinet de l’avocat français William Bourdon, le médiatique procureur général Charles Wright a lancé des poursuites judiciaires contre Alpha Condé et vingt-six de ses cadres. Aucun membre des forces spéciales, alors dirigées par Mamadi Doumbouya, n’a pour l’instant été mis en cause, alors que leur rôle dans la répression des manifestations reste à éclaircir.

Le FNDC, l’UFDG et leurs alliés avaient également demandé l’ouverture d’un véritable « cadre de dialogue » placé sous l’égide de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), et qui aurait eu pour prérogative de fixer un « délai raisonnable et consensuel de la transition ». Un « cadre de concertation » a bien été ouvert, en avril 2022, sous l’égide non de la Cédéao, mais du ministre de l’Administration du territoire et de la Décentralisation Mory Condé. Mais il n’a pas pour mandat de discuter le chronogramme voté par le CNT. Résultat : seuls quelques partis au faible poids électoral ont accepté d’y participer, comme le Parti de l’espoir pour le développement national (PEDN) de Lansana Kouyaté et le Parti des démocrates pour l’espoir (Pades) d’Ousmane Kaba.

Les membres du FNDC à nouveau réprimés

La fuite en avant de la junte s’est accélérée fin juin 2022. Peu avant le sommet de la Cédéao du 3 juillet qui devait décider d’éventuelles sanctions contre la Guinée - la Cédéao a finalement accordé un sursis au CNRD et lui a laissé jusqu’au 1er août 2022 pour proposer un chronogramme de la transition plus court, sous peine de sanctions - et alors que le FNDC avait appelé à manifester, le Premier ministre a ouvert un « cadre de dialogue ». Le FNDC et ses partis alliés ont dans un premier temps accepté de suspendre leur manifestation et d’y participer, dans un geste de bonne volonté mais aussi afin de juger de la sincérité de la démarche, avant de dénoncer une « parodie de rencontre ».

Le 5 juillet, alors que le FNDC animait une conférence de presse, trois de ses principaux leaders, Fonike Menguè, Billo Bah et Djanii Alfa, se sont fait brutalement cueillir par la police. Le procureur général Charles Wright avait lancé à leur encontre des poursuites pour « injures envers le CNT », ce à quoi s’ajoutent, pour Fonike Menguè, des poursuites pour « outrage à magistrat ». Filmée par plusieurs témoins armés de leur smartphone, cette scène a rappelé les pires heures de l’ère Condé : le 12 octobre 2019, plusieurs responsables du FNDC avaient été arrêtés alors qu’ils allaient animer une conférence de presse et s’apprêtaient à appeler à la première manifestation contre le troisième mandat.

Leur tort ? Répliquant à Dansa Kourouma, le président du CNT, qui venait d’annoncer sa volonté de limiter le nombre de partis politiques à « deux ou trois », Djanii Alfa avait twitté : « J’espère quand même que dans le fans club (plus ça dure plus on s’enrichit) qu’il dirige là, des voix vont se lever pour lui rappeler que le CNT n’est pas une association de BLAKORO qui rêvent debout. » Quant à Billo Bah et Fonike Menguè, ils sont poursuivis pour avoir partagé ce tweet. Fonike Menguè, qui a passé plusieurs mois en prison sous Condé, est également mis en cause pour avoir déclaré, après l’ouverture des poursuites contre Djanii Alfa : « Le procureur général issu d’un coup d’État militaire n’a ni la légitimité, ni la légalité d’arrêter ou voire même emprisonner un militant pro-démocratie pour avoir critiqué un régime putschiste. Si vous ne supportez pas les critiques, rendez le tablier. »

La crainte du bain de sang

Ibrahima Diallo, un dirigeant du FNDC, dénonce un « procureur général [qui] n’est qu’un pion manipulé pour s’attaquer aux voix discordantes du CNRD ». Il annonce que « le FNDC se retire de tout processus de dialogue et s’inscrit dans la voie des manifestations pacifiques et citoyennes pour exiger la libération des détenus politiques et d’opinion, [dénoncer] l’instrumentalisation de l’appareil judiciaire contre les leaders de la société civile et des partis politiques [et exiger] le retour rapide à l’ordre constitutionnel ».

De passage en France quelques semaines avant son arrestation, Fonike Menguè avait déclaré le 1er juin que la « transition ne se porte pas bien » car « la junte refuse tout dialogue ».

En dépit de l’interdiction des manifestations « jusqu’aux périodes de campagnes électorales » et du fait que Charles Wright a menacé de poursuivre leurs éventuels organisateurs, l’UFDG et d’autres partis ont annoncé qu’ils allaient suivre l’appel du FNDC. Après l’arrestation des trois leaders du FNDC, des manifestations spontanées ont été organisées dans les rues de Conakry. Nombre de Guinéens craignent désormais le retour des bains de sang, comme sous Alpha Condé ou avant lui Moussa Dadis Camara. « Ce qu’on n’a pas laissé à Alpha Condé, on ne le laissera pas à un régime illégal et illégitime. Même au prix de notre vie », prévient Sékou Koundouno, une autre figure du FNDC.

Tangi Bihan

Tangi Bihan, étudiant en master Dynamique des pays émergents et en développement à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est en charge de l’Afrique pour le site Le Vent Se Lève (LVSL).

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Le 08/07/22 à 15:15
modifié 08/07/22 à 15:15