1re édition de l’Université d’été des PME / Pr Justin Koffi N’Goran (Directeur général de l’ARRE) "L'avenir est aux PME plus souples, plus réactives"

Pr Justin Koffi N’Goran, Directeur général de l’ARRE.
Pr Justin Koffi N’Goran, Directeur général de l’ARRE.
Pr Justin Koffi N’Goran, Directeur général de l’ARRE.

1re édition de l’Université d’été des PME / Pr Justin Koffi N’Goran (Directeur général de l’ARRE) "L'avenir est aux PME plus souples, plus réactives"

Le 01/06/22 à 17:13
modifié 01/06/22 à 17:13
L’Université saisonnière des PME et son collectif d’experts organisent, du 2 au 4 juin 2022, au Palm Club Hôtel à Abidjan, la 1re édition de l’Université d’été des PME consacrée au thème suivant : « Stratégie et amélioration de la performance des PME dans un contexte post Covid ». Le directeur général de l’Autorité de Régulation du système de Récépissés d’Entreposage, qui va prononcer le discours inaugural, situe les enjeux.
Professeur, quelle est, selon vous, le poids des PME dans l’économie ivoirienne ?

Je voudrais d’abord féliciter l’Université saisonnière et son collectif d’experts dont les travaux visent à rendre plus performant l’écosystème des PME ivoiriennes par l’amélioration du climat des affaires et la création de champions nationaux. Pour répondre à votre question, le poids des PME dans l’économie ivoirienne est très insuffisant, selon le collectif d’experts de l’UEPME. Or, une évidence s’impose : pour la diversification de l’économie, la croissance, l’emploi et la cohésion sociale, l’avenir de la Côte d’Ivoire passe par la création d’un réseau dense de PME et la naissance de champions nationaux dans tous les secteurs d’activité, que ce soit dans l’industrie, les services ou l’économie solidaire. Concernant les PME ivoiriennes, il existe un écart entre leur nombre et leur poids économique. Les PME représentent jusqu’à 90 % des sociétés privées, mais 80 % d’entre elles sont des micros ou très petites entreprises. Ces PME ne représentent que 20 % du PIB de Côte d’Ivoire contre 60 % dans les pays développés. La plupart des PME ivoiriennes ont une très faible capacité d’évolution. Elles ne constituent pas un tissu économique cohérent et solide, créateur d’emplois et de richesses. La question qui se pose est la suivante : comment favoriser l’émergence des PME et accompagner leur développement, afin d’offrir de véritables opportunités économiques, notamment dans la création de richesses dans les chaînes de valeurs mondialisées, et assurer des salaires décents à leurs dirigeants et à leurs salariés ?

Avant la pandémie de la Covid-19, la Côte d’Ivoire a connu, de 2011 à 2019, une croissance forte et continue. Cette croissance était-elle suffisamment inclusive ? Comment relancer l’économie ivoirienne après l’épisode de la Covid-19 ?

Sous les deux premiers mandats du président Alassane Ouattara, la Côte d’Ivoire est redevenue le fer de lance de l’économie de l’Afrique de l’Ouest. Le pays a connu une croissance forte et durable. La pandémie de la Covid-19 est venue impacter négativement notre économie et ralentir notre développement économique et social sur la trajectoire de l’émergence. L’après-Covid nous fait entrer dans une ère nouvelle qui nous oblige à diversifier davantage notre économie et à rendre notre croissance encore plus inclusive avec un meilleur partage des richesses. Les PME ont un rôle essentiel à jouer dans l’après-Covid. La croissance forte que nous avons connue depuis 2011 s’explique par les investissements publics qui ont été faits notamment dans les infrastructures économiques. Nous devons favoriser le développement du secteur privé, accompagner la création de PME ou le passage de la microentreprise patriarcale à la PME moderne. Il est urgent de faire du développement des PME la priorité n° 1 des pouvoirs publics et des institutions financières. Seule l’’émergence des PME permettra d’assurer un emploi aux nouvelles générations qui arriveront sur le marché du travail dans les 5 prochaines années. Le vieux modèle de développement fondé sur une économie de la rente avec l’exportation des matières premières et une industrialisation adossées à des grandes entreprises d’État, peu innovantes et bureaucratiques, peu créatrices d’emplois et de valeurs ajoutées, est obsolète. L’avenir est aux PME, plus souples, plus réactives, à même de saisir les opportunités du marché. Quant à l’économie informelle, vous connaissez ses limites ; elle ne fournit que des revenus de survie. Il manque, entre cette économie informelle et les grandes entreprises, un réseau dense de PME.

La première urgence pour accélérer la création de ce réseau dense de PME dont l’économie ivoirienne a besoin n’est-elle pas l’amélioration du climat des affaires ?

L’amélioration du climat des affaires est en effet la première urgence. Cette amélioration du climat des affaires passe par la stabilité politique : il ne peut pas y avoir de croissance économique et sociale sans stabilité politique. Les deux premiers quinquennats du Président Alassane Ouattara ont permis d’installer une véritable stabilité politique après les soubresauts violents de la politique ivoirienne entre 1999 et 2010, entre le coup d’État militaire de 1999 et la grave crise post-électorale de 2010-2011. La stabilité politique permet d’accélérer l’amélioration du climat des affaires. Chacun connaît les handicaps dont souffre l’écosystème des PME : lourdeurs administratives et cadre juridique instable, régimes fiscaux peu incitatifs, prêts financiers insuffisants, trésorerie insuffisante, handicaps de gestion, risque d’insolvabilité, faiblesse des profits, ce qui nuit à l’investissement, environnement économique instable, collaborateurs peu qualifiés, gestion commerciale aléatoire, utilisation insuffisante des opportunités qu’offrent la révolution numérique et la digitalisation, infrastructures déficientes, concurrence de l’économie informelle. Le développement des PME suppose une nette amélioration de l’environnement des affaires. Malgré les progrès notables, les pays d’Afrique représentent encore la majeure partie du bas du classement Doing Business.

Comment améliorer le climat des affaires ?

L’amélioration du climat des affaires concerne deux points : 1) le cadre juridique, réglementaire et fiscal 2) les conditions matérielles. Sur le premier point, nous devons aller vers un cadre juridique et règlementaire stable, des démarches simplifiées ; une fiscalité souple ; l’accès aux marchés publics pour les PME ; le toilettage des lois et règlements du régime douanier, les droits de douane et les tarifs étant souvent discriminatoires à l’égard des producteurs locaux ; l’accompagnement pour accéder à toutes les aides extérieures (bailleurs de fonds), assurer la cohérence et la permanence de ces aides. Des réformes doivent être conduites, incluant le renforcement du cadre juridique et la digitalisation des procédures d’enregistrement. Mais, beaucoup reste à faire pour surmonter les obstacles administratifs et fiscaux. Sur le second point, les conditions matérielles, la liste des urgences est largement documentée : l’approvisionnement en électricité, l’accès à l’eau potable, l’amélioration des réseaux d’assainissement, le désenclavement (réseaux routiers, ferroviaires, aériens), les installations de télécommunications, l’accès à internet, etc. On pense immédiatement aux zones rurales, lorsqu’on évoque l’amélioration des conditions matérielles. Mais, les villes, qui concentrent les activités économiques, sont aussi concernées.

Une meilleure résilience de l’écosystème des PME ne passe-t-elle pas aussi par les entrepreneurs eux-mêmes ?

Bien entendu, la création d’une PME suppose un produit, un marché, des dirigeants compétents, une gestion efficace, une capacité de commercialisation, des investissements, un personnel qualifié, une vision prospective qui permet d’anticiper les évolutions du marché, des modes de production et de distribution et des processus de commercialisation. Les PME doivent être en capacité de saisir les opportunités économiques offertes par la révolution numérique. D’où l’importance de l’éducation et de la formation pour diffuser une culture de l’entrepreneuriat et former efficacement les dirigeants, élever les qualifications professionnelles. Les questions que nous devons nous poser sont les suivantes : quelle est la part que les entreprises consacrent à la formation professionnelle de leurs collaborateurs ? Est-elle suffisante ? Les dispositifs existants sont-ils efficients ? Ne faut-il pas établir un état des lieux de l’écosystème de la formation professionnelle ?

La difficulté majeure n’est-elle pas, pour les PME ivoiriennes, l’accès aux financements ?

L’accès aux financements est en effet la difficulté majeure que rencontrent les PME ivoiriennes. Cela s’explique pour deux raisons, l’une du côté de l’offre, l’autre, du côté de la demande. Du côté de l’offre : le système bancaire traditionnel ne dispose pas des compétences ni de systèmes efficaces pour évaluer et suivre les projets des PME, ce qu’elles compensent en exigeant des garanties parfois très onéreuses et souvent indisponibles. Du côté de la demande, les PME ivoiriennes sont fragiles en termes d’activité, de solvabilité et de gestion. Peu résilientes, elles sont perçues par les institutions de crédit comme des structures à risque. On peut cependant noter l’arrivée d’une nouvelle génération de financiers prête à bâtir une offre pour les PME, que soit du côté des acteurs bancaires et des acteurs non bancaires, notamment des fonds d’investissement abondés par des investisseurs locaux. J’ajoute la création, en 1996, de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) basée à Abidjan, une bourse commune aux huit pays de l’UEMOA (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo), qui a, pour mission, l’organisation du marché boursier. Dans l’espace UEMOA, la Bourse a longtemps été un horizon inatteignable pour les PME, ses portes leur sont désormais ouvertes. La vocation de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) est de créer, parmi les PME ouest africaines à fort potentiel, des champions nationaux. Ces PME, qui vont transformer les économies africaines, seront, pour les nouvelles générations, des modèles de réussite régionaux et elles offriront de réelles opportunités de carrière, ce qui doit permettre de conserver, sur le sol africain, les talents. De plus, la cotation des actions d’une PME sur un marché boursier permet la mobilisation de ressources financières à des conditions plus avantageuses que celles que propose le système bancaire traditionnel.

On dit que les systèmes éducatifs produisent, dans l’Afrique anglophone, des entrepreneurs, mais que les systèmes éducatifs produisent, dans l’Afrique francophone, des fonctionnaires. Existe-t-il, en Côte d’Ivoire, cette culture de l’entrepreneuriat qui conduit les nouvelles générations à créer une entreprise ?

L’Afrique est un continent d’entrepreneurs. Toutes les Ivoiriennes et tous les Ivoiriens cherchent à créer, à un moment ou à un autre de leur vie, leur petit commerce, leur petite affaire. Il s’agit moins, pour certains, d’une stratégie d’entrepreneur que d’une logique de survie, le but, pour un individu, étant d’assurer sa survie ou celle du groupe familial. Ce talent reste encore largement sous exploité. Pour permettre d’exploiter ce talent, nous devons développer l’esprit et la culture d’entreprise, inscrire les individus dans une démarche entrepreneuriale. Le dynamisme et la créativité des nouvelles générations les conduisent vers l’entrepreneuriat. Abidjan est devenue l’une des capitales de l’écosystème du numérique. On assiste à la multiplication des rencontres et des événements exclusivement dédiés aux nouvelles technologies : Abidjan est devenue Abidjan2.0. Le gouvernement favorisant le développement des start-up, les start-uppeurs ivoiriens se lancent dans l’aventure de l’entrepreneuriat. L’objectif n’est pas de faire de la Côte d’Ivoire une « start up nation » déconnectée des réalités sociales et culturelles de notre pays, mais de saisir toutes les opportunités offertes par la révolution numérique dans le contexte de l’après-Covid.

Interview réalisée par Amédée Assi

La suite à lire dans notre parution du jeudi 2 juin 2022


Le 01/06/22 à 17:13
modifié 01/06/22 à 17:13