La chronique de Venance Konan : La Solidarité africaine

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La chronique de Venance Konan : La Solidarité africaine

Le 22/01/22 à 09:46
modifié 22/01/22 à 09:46
En 1990, peu de temps après la libération de Mandela, je fus invité à participer à un colloque organisé par une université à Johannesburg en Afrique du sud. A cette occasion je fus hébergé par un journaliste afrikaner qui avait des amis artistes noirs à Soweto. Au cours de nos longues soirées de discussions, il me raconta l’histoire de sa tribu, celle des Afrikaners. Il y eut deux tribus européennes qui colonisèrent l’Afrique du sud : les Britanniques et les Boers ou Afrikaners qui étaient un mélange de Hollandais, Allemands et Français huguenots. Au début du 20ème siècle, lorsque l’on découvrit de l’or dans la région de Johannesburg, ces deux tribus se firent deux guerres sanglantes qui virent la victoire des Britanniques en 1902. Ils créèrent les premiers camps de concentration de l’histoire moderne dans lesquels ils enfermèrent les Afrikaners qui moururent par milliers. Le pouvoir dans les nouvelles colonies fut donc exercé par les Britanniques qui reléguèrent les Afrikaners au second plan. Les Noirs évidemment comptaient pour rien dans cette affaire. En 1918, les Afrikaners, qui parlaient une langue que l’on appelle l’Afrikaans créèrent une société secrète baptisée « Broederbond », qui était vouée à la promotion des intérêts de la communauté Afrikaner. Elle fut impliquée dans la montée du nationalisme afrikaner et dans la mise en place de la politique d’apartheid. Ne pouvaient y adhérer que les Blancs afrikaners. Son objectif était d’assurer la domination de l’ethnie afrikaner sur toutes les autres du pays. Il préconisait de développer la culture afrikaans, l’économie afrikaans et de récupérer le pouvoir des mains des Britanniques. Cette société secrète s’investira dans la compagnie d’assurance afrikaner SANLAM créée en 1918, et chargée de récolter l’épargne afrikaner. Concrètement elle créera des fondations, détectera les meilleurs élèves et étudiants, financera leurs études, aidera les entrepreneurs afrikaners à développer leurs affaires, veillera à ce que les Afrikaners n’achètent que dans les magasins afrikaners, ne déposent leur argent que dans les banques détenues par les Afrikaners, etc.

En 1948, les Afrikaners, devenus économiquement très puissants, prennent le pouvoir des mains des anglophones et instaurent l’apartheid. De 1948 jusqu’en 1994, tous les présidents et premiers ministres blancs d’Afrique du sud ainsi que presque tous les ministres étaient des membres de cette société secrète. Frederick de Klerk, le dernier président de l’Afrique du sud fut un membre connu de cette société. Toutes les grandes décisions de l’Etat, y compris celle de démantèlement de l’apartheid, étaient d’abord prise au sein de cette société avant d’être débattues au sein du gouvernement. C’est en 1993 que cette société sortit de son secret pour agir dorénavant au grand jour. En 1990, lorsque mon ami afrikaner m’en parlait, elle était encore secrète. Lorsqu’il finit de me raconter l’histoire de son peuple, il me marqua son étonnement devant notre incapacité à nous, Africains, à nous unir de cette façon et organiser la solidarité en notre sein. « Les Noirs sont les plus nombreux dans ce pays et ils sont les plus maltraités. Au plus fort de l’apartheid, il y a toujours eu des Noirs dans toutes les familles blanches, même les plus racistes, pour les servir, pour leur faire à manger. On aurait pu craindre que les Noirs ne s’organisent pour les tuer, mais rien de la sorte ne s’est jamais passé. Même avec peu de moyens, si les Noirs avaient mis sur pied quelque chose du genre du « Broederbond », ils auraient pu avoir une puissance économique considérable. Mais jamais ils n’ont réussi à s’entendre. »

Depuis plus de trente ans ces paroles de mon ami sud-africain me reviennent en esprit chaque fois que je pense à notre sort. Ils sont nombreux, les peuples qui ont souffert, mais qui ont su se remettre debout en étant solidaires. Je pense aux Juifs, aux Asiatiques, lorsqu’ils sont dans d’autres pays que les leurs, aux Libanais dans nos pays africains. Pourquoi n’arrivons-nous pas, nous aussi, à nous organiser comme ils le font ? Pourquoi, que ce soit chez nous ou à l’étranger, la seule solidarité que nous arrivons à organiser soit pour des décès, et jamais pour faire réussir quelqu’un ? Pourquoi ? Pour reprendre le pouvoir en Afrique du sud, les Afrikaners avaient décidé de soutenir les meilleurs d’entre eux, ceux qui entreprenaient, afin qu’ils tirent les autres. Ici en général on coupe les têtes qui tentent d’émerger et on bride tous les talents. Je crois que la différence entre les autres peuples et nous est qu’ils avaient tous un idéal partagé par tous. Pour les Afrikaners qui se prenaient pour un peuple élu, c’était la reconquête du pouvoir perdu. Pour les Juifs, autre peuple autoproclamé élu, c’était la survie et la reconquête de leur terre perdue. Pour les autres diasporas, c’était la réussite commune. Quel est l’idéal qui nous unit, nous Africains ?



Le 22/01/22 à 09:46
modifié 22/01/22 à 09:46