Décès de Lambert Amon-Tanoh : Hommage au fédérateur

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Décès de Lambert Amon-Tanoh : Hommage au fédérateur

Le 14/01/22 à 05:25
modifié 14/01/22 à 05:25
Lambert Amon-Tanoh, ministre de l’Education nationale (1963-1970), premier secrétaire général du Syndicat des travailleurs de Côte d’Ivoire (Ugtci), s’en est allé jeudi. Á 96 ans.
Je vais écrire mes mémoires... ». Cette lumière qui parlait ainsi, Lambert Amon-Tanoh, s’est éteinte, jeudi 13 janvier. L’ennemie, la mort, a étendu son voile noir sur la Côte d’Ivoire qui voit partir, encore, une de ses grandes figures qui ont tracé les sillons de ce pays. Je ne sais si ce digne fils d’Eboué, son village natal, a pu écrire ses mémoires.

Il n’empêche, de son vivant, hommage lui a été rendu par le monde auquel il fut tant attaché, celui de l’Éducation nationale de son pays, lors de la journée d’hommage aux doyens du Comité national, les 15-17 novembre 2019, au Sofitel Abidjan Hôtel Ivoire.

Et ce, par la voix de la ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement technique et de la Formation professionnelle de l’époque, Kandia Camara, aujourd’hui ministre d’État, ministre des Affaires étrangères : « Célébrer un homme de son vivant, c’est le distinguer comme une référence sociale, culturelle, administrative, politique ».

Une longue marche

Lambert Amon-Tanoh était tout cela à la fois. C’est par le syndicalisme qu’il entre en politique, comme on entre dans les Ordres. Secrétaire général, à 24 ans, du syndicat des enseignants de son pays, cet instituteur de l’école coloniale, directeur de l’Enseignement primaire, monte les escaliers qui lui feront jouer, tour à tour, des rôles primordiaux. En tant que premier secrétaire général de l’Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire.

L’histoire de cette centrale syndicale porte en elle la marque de ce fédérateur. Et prend aussi date avec les mouvements d’émancipation, d’éveil des consciences noires, des travailleurs nés du désapparentement d’avec les centrales syndicales européennes.

L’unité d’action des centrales syndicales pour la défense des droits des travailleurs, aux premiers âges de notre indépendance jusqu’en 1990, c’est lui, moteur de cette fédération dans ce pays qui en comptait quatre : l’Union nationale des travailleurs de Côte d’Ivoire (Untci), la Centrale nationale des travailleurs croyants de Côte d’Ivoire (Cntc-CI), l’Union nationale de la confédération africaine des syndicats libres (Uncasl) et le Groupe des syndicats non affiliés (Gsna).

Ces syndicats menaient une lutte à deux faces. Celle des revendications des travailleurs et celle aussi de l’accélération du processus de décolonisation des territoires colonisés, dans le sillage du Syndicat agricole africain, SAA, avec Félix Houphouët-Boigny.

L’appel à l’union

Des quatre centrales qui s’arrachaient les faveurs des travailleurs de Côte d’Ivoire, il a fallu l’appel d’unification lancé par ce grand homme qui part. Faits marquants d’ailleurs dans l’épopée de cette faîtière : le 30 juin 1961, pour la première fois, toutes les centrales ont accepté d’organiser la Fête du Travail ensemble.

Le congrès constitutif d’août 1962 de la création d’une centrale syndicale UNIQUE sur la base d’un programme d’action, séparée de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (Ugtan), annonçait l’Ugtci. Fusion de quatre centrales, l’Union générale des travailleurs de Côte d’Ivoire jouera, sous la houlette de son premier secrétaire général, Lambert Amon-Tanoh (4 août 1962), le rôle qu’on attendait d’elle : « Faire un syndicalisme de construction » de 1962-1970. Avec ses variantes.

A partir de 1970, ce sera le « syndicalisme de participation responsable » qui prendra en compte, comme le résume si bien le Pr Yapi Yapi André Dominique, historien, dans une analyse de la crise interne qui avait secoué l’Ugtci, en 1967 : « La consolidation de l’indépendance, l’accélération du développement économique et social de la Côte d’Ivoire et le renforcement de l’unité nationale, en limitant, autant que possible, les contestations ».

Ce modèle, ajoutera-t-il, « s’inscrit dans la classification opérée par G. Spyropoulos : « Le syndicalisme unique de mobilisation des populations aux fins de développement ». La preuve, l’Ugtci bénéficiera, entre autres, d’un statut spécial et du pouvoir exclusif de recruter et d’organiser les travailleurs ; le parti assignant à l’Ugtci « la mission de contrôle des revendications des travailleurs, afin de ne pas mettre à mal le développement économique de la Côte d’Ivoire et aider le Parti unique (Pdci-Rda) à conserver le pouvoir politique».

En cela, il fut un homme de mission qui aura accompli sa mission avec dignité et responsabilité. En patriote, épris de paix, de conviction. C’était, comme disait l’autre, « une école de la vie, une transmission de valeurs, un esprit de service, une histoire nationale.....Nous avons, notre génération, l’impérieux devoir de servir de pont entre le passé (nos pères) et l’avenir (nos enfants)! Une dette sociale ».

Pionnier de l’École ivoirienne

Félix Houphouët-Boigny avait fait de la formation des hommes et des femmes de son pays un pilier important de sa politique : « C’était, disait-il, la priorité de ses priorités ». A ce poste capital de formation des élites, de l’école qui ouvre sur les savoirs qu’il partageait avec le Premier Président, Lambert Amon-Tanoh qui part, a tout donné. En pédagogue éclairé.

Après avoir été nommé ministre de l’Éducation nationale, trois mois après son poste de secrétaire général de l’Ugtci et ce, pendant sept ans. Sans fanfaronnade, il disait encore : « Je suis un grand sachant dans le domaine de l’éducation».

De cet «homme qui comptait les dents pour déterminer l’âge des élèves», raconte-t-on, vrai ou faux, on doit l’uniforme scolaire obligatoire, « marque d’égalité sociale », aimait-il à dire. Et surtout, la fameuse et révolutionnaire trouvaille de l’époque : l’enseignement télévisuel qu’il défendra bec et ongle, avec une passion raisonnée : « L’enseignement télévisuel a réglé le problème de la généralisation de l’enseignement qui a bouleversé la routine des enseignants. Il a amélioré la qualité de l’enseignement. Ce fut une révolution unique au monde ».

Qui n’a pas vu, surtout dans les zones reculées du pays, ces antennes géantes qui fonctionnaient à la batterie ? Qui n’a pas entendu les « cobayes » de ce nouveau système chanter des chants dont ils comprennent, aujourd’hui, le sens exact des paroles et des mots ? Il avait pour ambition « de remettre tout en ordre », le lycée de son village porte son illustre nom.

Une longévité

Enseignant, syndicaliste, député, ministre, ambassadeur, cet homme qui part restera un acteur inoubliable de la vie politique de la Côte d’Ivoire. Une longévité que « le retraité très occupé », ainsi se désignait-il, explique tout simplement : l’hygiène de vie : « Vous vivez faible, vous mourrez vite... Je n’ai jamais été malade ».

Naturopathe de la médecine de l’Extrême-Orient, il avait expliqué sa recette, lors d’un dîner organisé par l’Association des anciens ambassadeurs sur le thème bien à propos : « Les secrets de la longévité heureuse ».

Il se dope à l’urinothérapie qui « soigne, précise-t-il, 100 maladies » ; nourrit son corps et son âme de spiritualités diverses : catholique, rosicrucien, mahikali, s’autorisant, à son âge avancé, « à apprendre, toujours apprendre... ».

Point final

Jeudi, le long chemin de la vie du natif d’Eboué, Aboisso, Sud-Est, s’est arrêté. C’est le départ, comme le traduit Pierre Ayoun N’Dah, un haut cadre de notre pays, celui d’ « un homme politique de conviction, d’engagement et d’action qui, par sa détermination en toutes circonstances, aura servi son pays jusqu’au bout, avec Foi et Espérance, dans la discrétion! Une éternelle jeunesse physique et intellectuelle. Paix à son âme pieuse et spirituelle ! ». « Je vais écrire mes mémoires... », disait-il.

En attendant, lisons ces lignes dernières: « Je n’ai été pris par l’oisiveté (...) Je n’ai jamais demandé dans ma vie à occuper un poste. On me désigne... Ma vie n’a pas été une ligne droite, mais brisée... ».

Le départ de cet « esclave du travail bien fait » (Dr Djofolo Doumbia, enseignant chercheur, écrivain) brise aussi nos cœurs. Qu’il dorme en paix, le secrétaire général Honoraire de l’Ugtci, titre à lui donné au congrès de mai 2005


Le 14/01/22 à 05:25
modifié 14/01/22 à 05:25