Reportage/ Casse d’Abobo : Du renouveau sur fond d’inquiétude

La voie du sous-quartier Abob Anador après le déguerpissement. (Ph:Dr)
La voie du sous-quartier Abob Anador après le déguerpissement. (Ph:Dr)
La voie du sous-quartier Abob Anador après le déguerpissement. (Ph:Dr)

Reportage/ Casse d’Abobo : Du renouveau sur fond d’inquiétude

Le 10/01/22 à 13:18
modifié 10/01/22 à 13:18
L’opération de déguerpissement des ferrailleurs de la casse, initiée par la mairie d’Abobo début 2022 pour assainir le sous-quartier Anador, porte ses fruits.

Magasins et ateliers anarchiques de bric-à-brac géant n’existent plus. On peut désormais circuler librement dans les rues d’Abobo Anador. A pied ou en voiture. La nationale A1 retrouve également toute sa splendeur. Du carrefour banco à Anador, la circulation est fluide. L’embouteillage sans fin sur ce tronçon a baissé.

Les revendeurs de pièces automobiles qui, pour mieux exposer leurs marchandises, n’hésitaient pas à occuper une partie des trottoirs de cette voie express ont disparu pour le plus grand bonheur des riverains.

Les résidents de ce sous-quartier peuvent enfin respirer l’air frais. Ils sont désormais débarrassés des odeurs de l’huile de moteur, des nuisances sonores et autres problèmes d’environnement consécutifs au désordre vécu au quotidien, aux embouteillages et aux difficultés liées à l’assainissement du quartier.

Circulation fluide sur la voie express d'Abobo. (Ph:Dr)
Circulation fluide sur la voie express d'Abobo. (Ph:Dr)



« Nous sommes satisfaits de l’opération de la mairie. Nous leur demandons de venir assainir les rues », souhaite dame Konaté, une riveraine.

De leur côté, c’est la mort dans l’âme que les ferrailleurs reviennent sur les lieux pour ramasser les gravats et autres tôles de construction qui avaient servi, des années auparavant, à construire leurs boutiques.

Cependant, Diallo Aboubacar, président de l’Association des ferrailleurs de Côte d’Ivoire (Aferci), se dit satisfait du bon déroulement de cette opération de déguerpissement. Saluant ainsi la bonne foi des ‘’casseurs’’ qui ont décidé de quitter les lieux volontairement.

L'opération de déguerpissement est en cours. (Ph:Dr)
L'opération de déguerpissement est en cours. (Ph:Dr)



L’opération de déguerpissement se poursuivait encore le samedi 8 janvier 2022. Elle était menée par le service technique de la mairie d’Abobo qui était accompagné par la police municipale et appuyé par un impressionnant dispositif de sécurité de la police nationale et de la gendarmerie. Tout s’est bien déroulé. Sans heurt mais avec bruit.

Maisons et magasins tombent sous le regard hagard des propriétaires dont Konaté Camara.

« Cela fait trente ans que je suis installé à la casse d’Abobo Anador. J’ai bâti toute ma vie ici. C’est mon lieu de travail, mais je suis obligé de partir. C’est ainsi !», déplore-t-il.

Tout comme M. Konaté, Fofana Karim, pensif, les sourcils froncés, regarde également plusieurs années de travail disparaître en un clin d’œil. « Nous sommes obligés de quitter les lieux. Où se rendre pour continuer de travailler afin de nourrir notre famille ? », s’interroge-t-il.

Adama Coulibaly, également vendeur de pièces d’occasion automobiles, craint déjà pour son avenir. « Cela fait une semaine que nous ne travaillons pas. Comment pourrons-nous nourrir nos différentes familles. On nous demande d’aller à la casse d’Abobo N’Dotré. Nous sommes pratiquement des milliers de ferrailleurs. Il n’y a plus de places disponibles à N’Dotré », explique-t-il.

Le défi du recasement

En plus de la question de la survie, il faut désormais prendre en compte celle du recasement des commerçants. Pour cet autre défi, il est prévu un espace de 43 hectares à N’Dotré. Cette nouvelle casse devrait être constituée d’un atelier (magasin et surface d’activités), d’un centre de recyclage pour la pneumatique, l’huile usagée, les batteries et acides et le conditionnement de la ferraille. Pour les acteurs du secteur, l’espace est limité.

Expliquant son inquiétude, Aboubacar Sidiki, travailleur à la casse, implore la clémence du gouvernement. « Nous demandons au gouvernement de nous venir en aide. Le maire d’Abobo est également interpellé », lance-t-il.

Dans cette situation, Abou Fofana craint même des dérives. « Des milliers de jeunes sont maintenant livrés à eux-mêmes. Il faut un véritable plan social pour nous aider. Nous craignons des vols à main armée », prévient-il.

ABOBO 2
ABOBO 2



Selon la mairie d’Abobo l’espace dégagé doit notamment permettre la construction d’un échangeur.

Et même si les artisans de la ferraille épousent l’idée de déguerpissement pour donner une bonne image à la commune, ils ont des interrogations à l’endroit de la municipalité. «Comment est-ce que les ferrailleurs d'Abobo qui sont très nombreux, estimés à 15 000 acteurs, pourront être recasés dans les 2 000 magasins de la nouvelle casse d’Abobo N’Dotré ? »

C'est depuis 2002 que les ferrailleurs occupent ce vaste marché de pièces détachées automobiles. Parmi les cinq casses d’Abidjan, celle d’Abobo est la plus importante, un mastodonte de la mécanique où se vendent toutes sortes de pièces détachées de véhicules importés d’Europe, d’Asie ou d’Afrique.

Patrick N’GUESSAN

Encadré

Le plus dur commence...

En Côte d’Ivoire, l’on procède généralement avec célérité au déguerpissement des espaces illégalement occupés. Mais la recolonisation se fait aussi à une vitesse éclair par les ex-occupants. Les exemples sont légion. La mairie d’Abobo arrivera-t-elle à assainir cet espace ? Surtout que nous savons que le conseil municipal d’Abobo n’en est pas à sa première action. En octobre 2021, la zone avait été évacuée, mais certains ferrailleurs sont revenus.

Espérons que le service technique de la mairie pourra aussi assainir les rues dépourvues de caniveaux de ce quartier, où stagnent en permanence huile de moteur, gasoil, essence et bien d’autres produits dérivés de couleur noirâtre qui se mêlent à l’eau de ruissellement. Un cocktail qui dégage des odeurs suffocantes et nauséabondes.

PN



Le 10/01/22 à 13:18
modifié 10/01/22 à 13:18