Dossier/ Violences faites aux femmes : Les témoignages effroyables de jeunes filles violées à Abidjan

Une victime du viol. (Ph: Julien Monssan)
Une victime du viol. (Ph: Julien Monssan)
Une victime du viol. (Ph: Julien Monssan)

Dossier/ Violences faites aux femmes : Les témoignages effroyables de jeunes filles violées à Abidjan

Le 04/12/21 à 07:57
modifié 04/12/21 à 07:57
Le viol est l’une des formes qui occupent le plus de place dans les violences faites aux femmes. De jeunes victimes, en Côte d’Ivoire, racontent leur drame.
Trois jeunes filles, élèves en classe de troisième dans un établissement d’Abobo, une commune du nord d’Abidjan, ont été violées par trois élèves de la classe de première dans le mois de mars 2021. Au moment où nous écrivions ces lignes, l’une des victimes portait une grossesse de son violeur. Elles reviennent sur ce jour sombre de leur vie. Ce mercredi 24 mars 2021 restera marqué à vie dans l’esprit de H. M.

« C’est un élève de mon établissement. Il a fait savoir à mes amies que le mercredi 24 mars était son anniversaire. La cérémonie devait se dérouler chez ses parents aux Résidences Paillet, à Adjamé. Après, il a appelé pour dire que le lieu a changé. C’était désormais chez sa tante à Koumassi. K.K. nous a demandé de payer le transport pour l’aller. Il assurera le retour. Cette promesse n’a d’ailleurs pas été tenue. C’est ainsi que nous avons emprunté un véhicule de transports en commun pour arriver à Adjamé. Puis, nous avons emprunté un autre pour rallier Koumassi. Ensuite, dans cette commune, nous avons encore emprunté un taxi communal pour nous rendre à l’endroit indiqué. Sur le lieu, nous découvrons avec stupéfaction qu’il ne s’agit pas d’un anniversaire, mais d’une réception banale dans un appartement. Il nous a proposé de l’attiéké garba avec de la sucrerie qui avait un goût alcoolisé. A la suite de ce repas, nous nous sommes senties droguées. Nous étions face à trois jeunes. Ils m’ont brutalisée. K.K. m’a déshabillée. Puis, il m’a poussée au sol avec une violence inouïe. Il a commencé à me violer. C’était ma première fois. J’ai commencé à saigner et à pleurer. Il m’a lâchée. J’étais en pleurs après cet acte ignoble », rapporte H. M. en sanglots. Puis de se réconforter en ces termes avec un soupir : « Je me suis confessée à l’église. Dieu m’a fait grâce, j’ai obtenu le Bepc. Cerise sur le gâteau, j’ai été orientée en classe de seconde dans un établissement de référence. Je vais poursuivre mes études. Mon ambition, c’est de devenir magistrat ».

Comme elle, Y.A. n’a pas échappé à ces criminels. Depuis le viol qu’elle a subi, elle porte une grossesse. Étant en classe de troisième, elle n’a pas réussi à son examen du Brevet d’études du premier cycle (Bepc). Toujours malade, Mlle Y.A. porte une grossesse à risques selon son médecin. Âgée de 15 ans, elle est à la charge de sa mère qui est sans emploi, son père étant décédé.

« C’est un véritable guet-apens que ces jeunes nous ont tendu. J’ai été violée. Aujourd’hui, je suis avec ma mère. C’est elle qui s’occupe de moi. Je n’ai aucune information sur J.M. Nous avons été trahies par ces jeunes. J.M. m’a trimballée dans la cuisine de l’appartement. Il m’a violée, en dépit de ma résistance. J’ai eu très mal. J’ai saigné énormément. C’est un drame que j’ai vécu. Je n’arrive pas à surmonter ce moment. Je veux que justice soit rendue », se lamente-t-elle.

Notre série de témoignages nous conduit auprès de J.A. C’est avec beaucoup de difficultés que nous avons pu l’avoir. Elle est encore sonnée par ce drame. Elle ne voulait plus en parler. En dépit de ce traumatisme, elle a pu obtenir le Bepc. Elle a été orientée en classe de seconde.

A l’en croire, l’année scolaire 2021-2022 s’annonce comme un challenge. Elle veut tourner la page de ce traumatisme qu’elle considère comme une erreur de jeunesse. « J’ai décidé de ne plus parler de cette histoire. Ces jeunes ont failli me faire perdre le goût de la vie. J’ai pu surmonter le traumatisme. Nous avons eu confiance en eux. Mais ils avaient leur plan diabolique pour nous violer. Grâce au soutien de mes parents, j’ai surmonté le choc, même si j’ai été malade. A la suite d’une batterie d’examens et de traitements, je me suis rétablie. Je réclame justice. C’est pour cela que j’ai décidé de m’ouvrir à la presse », avoue-t-elle. Avant de renchérir : « Cette expérience malheureuse me pousse à dire aux filles d’écouter les conseils de leurs parents ».

Ces trois témoignages ne sont que quelques cas parmi tant d’autres. D’ailleurs, au regard des chiffres communiqués par le Comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants (Cnlvfe), le fléau gagne en ampleur.

En effet, du 1er janvier au 31 juin 2021, ce sont 298 cas de viol qui ont été enregistrés en Côte d’Ivoire. De très nombreux cas restent inconnus. Car les pesanteurs culturelles constituent un frein aux dénonciations.

Une victime de viol. (Ph: Julien Monssan)
Une victime de viol. (Ph: Julien Monssan)



Attention aux réseaux sociaux.

L’un des terrains de prédilection des délinquants sexuels est désormais internet. Koné Fatim, esthéticienne, 21 ans, en sait quelque chose. Victime de viol, elle s’est rendue courageusement dans les locaux de Fraternité matin afin d’expliquer son histoire et surtout inviter les jeunes filles à se prémunir de leurs bourreaux; sans oublier de tirer la sonnette d’alarme relativement à ce phénomène pour permettre aux autorités ivoiriennes de prendre des mesures drastiques.

Koné Fatim a dévoilé le plan de ses agresseurs. Un mode opératoire que ces individus sans foi ni loi savent bien mettre en place. Tout commence en octobre 2020. Elle reçoit une demande d’invitation envoyée par une certaine Olivia sur le réseau social Facebook. Intriguée, elle décide de regarder de façon superficielle le profil de cette Olivia. Bien que ne trouvant pas assez d’informations sur le profil, elle accepte la demande d’invitation. Après quoi, Olivia fait comprendre à son interlocutrice qu’elle met des filles en contact avec des hommes riches et veut savoir si elle est intéressée. Fatim refuse cette proposition qu’elle juge osée. Mais Olivia continua d’insister.

Pour finir, Fatim mord à l’hameçon en laissant son numéro téléphonique à Olivia. Quelques mois plus tard, précisément le 20 février 2021, le téléphone de Koné Fatim sonne et au bout du fil, une dame qui se présente comme responsable d’une agence de mannequinat. « Elle souhaite avoir un rendez-vous avec moi pour me parler des modalités d’un futur défilé. J’ai d’abord refusé. Mais la dame au bout du fil me donne un autre rendez-vous à la Riviera 3, vers la pharmacie Saint Pierre. A mon arrivée vers la pharmacie Saint Pierre, un homme se présente comme étant de l’agence. Il me fait comprendre qu’il est venu me chercher pour m’emmener à l’agence de mannequinat située à quelques mètres. Après une petite marche, nous arrivons dans une résidence qui fait office de bureau de l’agence de mannequinat. Une fois à l’intérieur de la résidence, je me rends compte que je viens de tomber dans un piège. En me menaçant avec des armes blanches, deux individus ont abusé de moi. Toute la scène a été filmée. Ils m’ont ensuite menacée de publier les vidéos si je ne leur donnais pas de l’argent. N’ayant pas la somme demandée, les vidéos ont été publiées sur les réseaux sociaux », parle-t-elle de sa mésaventure.

Après la publication des vidéos, elle s’est rendue à la police pour porter plainte et pour savoir s’il était possible de les retirer des réseaux sociaux. Malheureusement, il était impossible de les retirer car elles étaient en vogue sur la Toile. Finalement, un des individus a été arrêté tandis que ses complices ont pris la poudre d’escampette. « J’ai été consultée par un psychologue qui m’a aidée à surmonter cette période douloureuse. Je commence à me retrouver. Cependant, j’ai été rejetée par mes amis, mon entourage. Mon bailleur m’a retiré mon magasin de vêtements. Je sollicite de l’aide pour surmonter ce traumatisme », confie-t-elle.

Victime de viol, Koné Fatim invite les filles à être prudentes sur les réseaux sociaux. « J’invite mes jeunes sœurs à faire plus attention à tout ce que l’on voit sur les réseaux sociaux. Car tout ce qui circule n’est pas réel. C’est par les réseaux sociaux que ces individus m’ont tendu ce traquenard minutieusement préparé. Je leur demande d’informer leur entourage si elles sont victimes de viol. Si la police est saisie, les violeurs peuvent être arrêtés », conseille-t-elle.

Patrick N’GUESSAN

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Des enfants de trois ans parmi les victimes

Le phénomène inquiète. A la maison, à l’école, dans la voiture, les servantes, les hommes de 40 ans et des chauffeurs font des attouchements ou violent des enfants de 3 à 15 ans.

Selon une source bien introduite au Comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, un adolescent de trois ans a été victime d’’attouchements sexuels par le chauffeur de la famille. Sur le chemin de l’école, celui-ci prenait l’habitude de toucher les parties intimes du petit garçon.

Après plusieurs mois, l’enfant a commencé à sentir des douleurs. Conduit à l’hôpital, il a avoué à ses parents ce qu’il subissait de la part du chauffeur. Pris en charge par un médecin, l’enfant a pu remonter le choc.

Autre cas d’enfant victime de viol : « Une fillette de trois ans a été violée. Elle a bénéficié de trois interventions chirurgicales. Grâce au soutien du comité de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants, la gamine a bénéficié d’une prise en charge holistique », a confié une source proche du dossier une source proche du Comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.

PN

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La prise en charge médicale et juridique de la victime

Le Comité national de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants veille à la prise en charge médicale et juridique des victimes. En ce qui concerne l’aspect médical, des médecins, des infirmiers et des sages-femmes sont commis aux tâches.

Cette prise en charge doit se faire dans un délai de 72 heures en cas de viol. La survivante bénéficie d’un kit de viol qui contient des antirétroviraux (Arv), des antibiotiques, la pilule du lendemain et bien d’autres médicaments.

Quant à la prise en charge juridique ou judiciaire, la survivante reçoit une assistance dans le cadre de la plainte qu’elle doit porter auprès de l’Officier de police judiciaire le plus proche du lieu d’infraction, ou directement auprès du Procureur de la République qui décide de l’opportunité des poursuites ou auprès du Juge d’instruction avec constitution de partie civile ou par la citation directe.

Il convient de noter que les sanctions du viol selon l’article 403 du Code pénal ivoirien sont passibles d’une peine d’emprisonnement de 5 à 20 ans de prison. En cas de mutilation ou infirmité permanente ou de décès de la victime, l’auteur encourt la peine d’emprisonnement est à vie.

Patrick N’GUESSAN

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Interview/ Mme Koffi Judythe, Consultante, Psychologue clinicienne et sociale: « Le besoin de prise en charge psychologique est immense »

En cas de viol de mineur, en quoi consiste la prise en charge psychologique ?

Quand le cas est pris en charge très tôt, un Psp (Premier secours psychologique) est fait en urgence par un psychologue, un psychiatre ou, si besoin, par un intervenant psychosocial formé pour ce genre de cas. L’intervenant psychosocial fera la référence à un psychiatre ou à un psychologue pour la prise en charge. Une intervention rapide peut désamorcer l’installation des symptômes, permettant ainsi un relèvement plus rapide de la victime traumatisée. Malheureusement, les cas arrivent souvent tard, parfois même des mois après l’agression à cause du manque d’informations, les victimes ne sachant pas à quelles structures s’adresser, à cause des pesanteurs culturelles, mais aussi à cause de la crainte des représailles. Une séance de débriefing est faite avec la victime pour favoriser la mise en mots de son expérience subjective, son ressenti. Ce débriefing permet également au psychologue d’entendre le récit de l’évènement traumatisant pour repérer la souffrance psychique, évaluer cette souffrance. Cette évaluation permettra au psychologue de mettre en place un plan d’action de suivi psychologique pour favoriser la réduction des symptômes liés à l’exposition traumatique et le bien-être de l’enfant.

Mme Koffi Judythe, Consultante, Psychologue clinicienne et sociale. (Ph:Dr)
Mme Koffi Judythe, Consultante, Psychologue clinicienne et sociale. (Ph:Dr)



Quel est l’objectif de la psychothérapie ?

L’objectif de la psychothérapie est la résolution, par le patient lui-même, de ses difficultés; et ce à travers la relation qu’il établit avec le psychologue. Pour les mineurs, la psychothérapie va s’effectuer aussi avec des dessins représentés sur des planches à interpréter, des dessins exécutés par les patients, des contes, la peinture. Ces sessions permettent aux enfants de penser, nommer et contextualiser temporellement l’événement traumatique afin de leur permettre une reélaboration du passé et une projection dans le futur. Les enfants, grâce à la psychothérapie, peuvent identifier des ressources internes et externes qui pourront les aider à surmonter les moments difficiles. Les parents sont beaucoup sollicités pour l’accompagnement psychologique par exemple pour observer le comportement de l’enfant dans son environnement familial.

Combien de séances faut-il à l’enfant pour une bonne psychothérapie ?

Le nombre de séances d’entretiens psychologiques dépend du temps de réduction des symptômes. En moyenne 8 séances hebdomadaires, soit 2 mois de prise en charge. Puis les séances seront espacées de 2 semaines, puis d’un mois. Tout ce processus permet au patient de gagner confiance en lui-même, de reprendre le contrôle et le cours de sa vie. Le suivi psychologique peut aller au-delà de 3 mois, tout dépend de la capacité de résilience de chaque victime. Le rôle du psychologue est d’être un soutien pour le relèvement du patient et non un tuteur pour le restant de sa vie.

Quels sont les cas les plus graves rencontrés ?

Tous les cas sont graves à notre humble avis. Que ce soit un cas d’abus sexuel, un cas de violence physique ou un cas de maltraitance émotionnelle ou psychologique ou autre. Nous ne pouvons pas classer la gravité d’un cas de traumatisme psychologique de façon standard, ce serait banaliser la souffrance psychique de certaines victimes. Chaque cas est unique, sans précédent. Une exposition à un même évènement traumatique comme le viol peut provoquer des réactions différentes chez les enfants survivants. Ces différences sont en général liées à la singularité des survivants : la personnalité, l’âge, le soutien de l’entourage, la sensibilité, les valeurs, l’éducation, l’expérience de vie... En somme, nous pouvons souligner essentiellement la gravité des symptômes que peut présenter un enfant victime (exemples : tristesse, peur, pensées suicidaires, perte de l’estime de soi, agressivité avec identification à l’agresseur, insomnies, mutisme, refus de s’alimenter...).

Quels sont les résultats de vos interventions ?

Retrouver un sourire ou une étincelle d’espoir dans le regard d’un enfant est une source de satisfaction véritable. Malheureusement, il arrive que les parents arrêtent la prise en charge par manque de moyens financiers ou par impatience, ignorance ou banalisation des conséquences des violences subies pour « passer à autre chose ». Dans ces cas, nous ne pouvons intervenir que pour expliquer aux parents l’importance du suivi psychologique, mais nous ne pouvons les obliger à poursuivre la prise en charge psychologique. Le besoin de prise en charge psychologique est immense au sein de la population et particulièrement pour les cas de violences basées sur le genre (maltraitance, violences sexuelles, violences domestiques...). Il est crucial que la fonction publique recrute des psychologues pour la prise en charge psychosociale et la gestion du psycho-traumatisme des survivants dans les centres sociaux avec les plateformes de lutte contre les VBG. Combien de cas avez-vous reçus, en général, pour les survivants mineurs ? Pour ces trois dernières années 78 cas dont 15 pour cette année 2021. L’âge des victimes est compris entre 2 et 18 ans, tout sexe confondu.

On constate que de nombreux cas de viol restent dans le silence. Que faire pour que les choses changent ?

Il est important de sensibiliser la population aux conséquences des violences basées sur le genre et en particulier sur les conséquences à court et à long termes des violences sexuelles sur les survivants. Les personnes intéressées peuvent signaler sans crainte et dans l’anonymat, si besoin est, les cas au Comité National de Lutte contre les Violences faites aux Femmes et aux Enfants (CNLVFE) sur le numéro vert 1308. Il est gratuit. Le signalement peut se faire aussi auprès des ONG, aux postes de police ou dans les brigades de gendarmerie.

Interview réalisée par Patrick N’GUESSAN



Le 04/12/21 à 07:57
modifié 04/12/21 à 07:57