De retour au pays : Ce que deviennent les jeunes migrants

Des ex-migrants insèrent le tissu social. (DR)
Des ex-migrants insèrent le tissu social. (DR)
Des ex-migrants insèrent le tissu social. (DR)

De retour au pays : Ce que deviennent les jeunes migrants

Le 25/11/21 à 13:01
modifié 25/11/21 à 13:01
La fascination que l’Occident exerce sur les jeunes migrants ivoiriens s’estompe de jour en jour. L’eldorado qu’ils avaient dans leur ligne de mire s’étant avéré une vraie chimère, nombreux parmi ces jeunes aventuriers ont décidé de retourner au pays. Nous en avons rencontré quelques-uns.

Abobo-Kennedy, un sous-quartier de la grouillante commune d’Abobo, il est 12 heures 30 mn. Le ciel est quelque peu nuageux. Dans son magasin de vente de téléphones portables et d’accessoires informatiques de 12m2, Sanogo Issa, la trentaine, sans instruction, nous accueille. Cet Ivoirien qui avait illégalement migré au Maroc, est revenu sur les bords de la lagune ébrié en 2017.

En cette mi-journée, il est débordé de clients. Certains sont venus acheter des consommables informatiques (clés Usb, ordinateurs), d’autres pour faire réparer leurs portables. Jovial, sourire aux lèvres, Issa est visiblement soulagé de retrouver, enfin, son pays, la Côte d’Ivoire. « Je suis tranquille, je ne repartirai plus à l’aventure. Plus jamais ! Avec un peu de moyens, nous pouvons avoir une vie meilleure ici. Je demande aux jeunes Ivoiriens de renoncer à l’aventure ».

Ce jeune homme affirme avec un brin de fierté, qu’il a pu monter son entreprise grâce à l’appui d’une organisation non gouvernementale de la place. Aujourd’hui, sa petite affaire lui permet de se prendre en charge et d’aider sa famille. Ce jeune commerçant qui exerçait au Black Market depuis 2009, avait réuni en 2015 toutes ses économies et décidé d’aller à l’aventure à la recherche d’un mieux-être.

Manque de fortune, ce rêve va très vite virer en cauchemar : « Des amis m’ont incité à aller au Maroc. J’y suis parti par la voie terrestre en passant par le Mali. Au Maroc, on dormait dans des maisons inachevées, parfois à la belle étoile. J’ai tenté à plusieurs reprises d’aller en Espagne, en traversant la Méditerranée. Mais la police marocaine nous a interpellés et jetés à la frontière algérienne. Grâce à des amis, je me suis retrouvé à Tanger, une ville marocaine. J’ai dû travailler pendant trois mois dans des champs d’orangers, pour survivre et avoir de quoi rentrer au pays », relate-t-il visiblement ému par le souvenir de cette galère.

Cette envie d’aller à l’aventure est également un fâcheux souvenir pour Sylla Mamadou, un résident d’Abobo-Anador. Rentré au bercail en 2016, ce rescapé de l’enfer libyen, a réussi à créer son entreprise de pépinière de cacao et de banane plantain, après une formation en production végétale, grâce au soutien d’une organisation internationale.

L’ex-migrant aujourd’hui patron, emploie 4 personnes, et ne cache pas sa joie de vivre dans son pays. Il évoque le douloureux souvenir de l’aventure : « Nous avons été vendus comme des esclaves à Agadez(Niger), après avoir traversé le Sahara. Nous étions logés à Saba. C’était difficile, car il n’y avait ni eau, ni électricité. On se débrouillait tous les jours pour aller travailler », raconte-t-il.

A la question de savoir quels conseils il aimerait prodiguer aux jeunes qui seraient tentés par l’immigration irrégulière, il répond sans ambages : « Quand je suis rentré, j’ai supplié mes amis de ne pas tenter l’aventure, car les conséquences sont nombreuses. Les conditions de vie sont inhumaines. Dans le désert, les immigrés sont des proies faciles entre les mains des passeurs qui les soumettent à toutes sortes de tortures. J’estime qu’il faut se contenter de ce qu’on a. Avec peu de moyens, on peut réussir dans son pays », conseille-t-il.

Sylla Mamadou exhorte les jeunes immigrés à rentrer et à se rapprocher des Ong chargées de leur réinsertion. Ils pourront comme lui, bénéficier de formations pratiques, en vue d’être insérés dans le tissu social.

Le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur. (DR)
Le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur. (DR)



Des ex-migrants devenus entrepreneurs

Après Abobo, cap sur Azaguié, dans le departement de l’Agneby-Tiassa, la ville située à 40 km d’Abidjan. Dans cette localité, se trouve le centre de formation 2iae, spécialisé dans la formation des jeunes entrepreneurs. Grâce au Fonds fiduciaire de l’Union européenne – Organisation internationale des migrations (Ue-Oim) pour la protection et la réintégration des migrants en Côte d’Ivoire, plus d’une cinquantaine de ces jeunes gens ont été formés en six mois, en agriculture, en élevage et en bâtiment.

Sylla Mamadou, ex-candidat à l’immigration que nous avons rencontré, dans cet établissement, a été rapatrié le 19 février 2018, après avoir passé 7 mois en Libye. Titulaire d’un Bts en comptabilité, il était gérant de cabine lorsque la mouche de l’aventure le piqua. Aujourd’hui il se dit épanoui après avoir été formé par le centre 2iae.

« Grâce à ce centre qui m’a formé à la production et à la vente de pépinières de cacao et de banane plantain, j’ai actuellement un métier qui me permet de joindre les deux bouts. Ma satisfaction est d’autant plus grande que personne ne peut me ravir ce que j’ai appris ». Puis d’ajouter « Après la formation théorique de six mois, nous bénéficions d’un an de stage et de suivi sur le terrain. Je puis affirmer que nous sommes aujourd’hui qualifiés pour ce métier ».

Idem pour Diarrassouba Madika, titulaire d’un Bts commercial qui avait décidé, elle aussi, d’aller faire fortune en Libye. « Je suis très satisfaite de la formation reçue ici. Nous avons été bien formés aussi bien en théorie qu’en pratique. Cette formation m’a permis d’être aujourd’hui avicultrice opérationnelle sur le terrain. Le certificat que j’ai reçu constitue une seconde chance pour moi. Il m’appartient, à présent, de savoir concilier ces deux métiers pour avoir une situation meilleure », affirme-t-elle fièrement.

D’autres en quête d’emploi

Si certains jeunes ont pu bénéficier de subventions pour s’installer, ce n’est pas le cas pour d’autres. Kouassi Isaac et Ismaël Konaté, eux aussi rentrés volontairement de Libye, sont toujours en quête d’emploi. « Je suis rentré de Libye en 2017. Nous étions une soixantaine à aller chercher un mieux-être dans ce pays. Hélas, notre rêve a tourné court, c’était un véritable calvaire. Nous travaillions 22 à 24 heures par jour, sous la menace du fouet de nos employeurs ». Exit le repos réparateur. « Ne pouvant plus supporter ce traitement inhumain, j’ai décidé de rentrer au bercail. Mais sans aucune qualification ou formation, je n’ai pas pu m’insérer dans le tissu économique », a-t-il déploré tout en appelant les autorités à se pencher sur le sort des jeunes migrants qui sont dans cette situation.

Le regard des parents

La plupart des candidats à la migration y vont avec la bénédiction des parents. Ceux-ci consentent d’énormes sacrifices financiers, dans l’espoir que si l’aventure souriait à leur fils, celui-ci deviendrait le principal pilier qui supportera les charges de la famille.

Pour Sanogo Mamadou, cette mentalité est à combattre. Il soutient qu’il faut sensibiliser les parents à dire non à l’immigration. Il déplore surtout l’attitude de certains parents qui renient leurs fils, lorsque ceux-ci reviennent bredouilles de l’aventure. Considérés par le voisinage comme des défaitistes, ces jeunes gens qui ont échoué à l’aventure, sont la risée de tous, fait savoir l’ex-migrant.

« Quand tu rentres au pays, des parents vont te maudire, te bouder. Ils ne te pardonneront jamais d’avoir gaspillé leur argent. Craignant cette humiliation, certains migrants préfèrent continuer l’aventure, advienne que pourra, plutôt que de retourner au pays la tête baissée ».



Le 25/11/21 à 13:01
modifié 25/11/21 à 13:01