Echanges 1/ Sécurité, gouvernance, social et économie: Patrick Achi parle et convainc
Baudelaire Mieu (Jeune Afrique)
Vous avez dressé un bilan plus ou moins positif de l’action gouvernementale. A propos des finances publiques, le budget 2022 est de 9901 milliards de Fcfa, avec un solde budgétaire négatif global de 2230 milliards de Fcfa. Comment allez-vous financer ce solde budgétaire négatif, d’autant qu’au niveau des financements extérieurs, on a aussi un solde budgétaire déficitaire de 1375 milliards de Fcfa pour un déficit budgétaire de 4.7 ?
Léa Pierre (Agence Bloomberg)
La Côte d’Ivoire n’a pas pu lancer l’euro bond cette année. Est-ce que c’est prévu en 2022, et à quelle hauteur ?
Karina Fofana (Ivoire Hebdo)
Que prévoit le gouvernement pour désengorger Abidjan ? A quand le transfert effectif de la capitale à Yamoussoukro ?
Adama Koné (RTI)
Le gouvernement ivoirien a-t-il pris suffisamment de dispositions pour que le type de crise énergétique vécu récemment en Côte d’Ivoire ne se transforme pas en crise cyclique ?
Barthélémy Kouamé (Actu routes)
A quand le bout du tunnel pour le projet du ‘‘Métro d’Abidjan’’ ? Pouvez-vous donner les coûts actualisés du projet et les derniers délais dont vous disposez ? Quel est, par ailleurs, l’état de la situation des frontières terrestres de la Cedeao ?
Réponses du Premier ministre
A propos des déficits budgétaires.
Si on m’avait posé la question sur le Programme national de développement (Pnd) au départ, cela aurait rendu les choses faciles à développer. Pour financer ses dépenses (salaires, fonctionnement, service de la dette, investissements publics), l’Etat a deux moyens. Les recettes qu’il collecte et les emprunts qu’il fait pour équilibrer son budget. L’idéal, c’est d’avoir la capacité de financer le maximum des dépenses avec ses recettes propres. Mais la réalité pour tous les pays du monde est qu’ils sont obligés d’emprunter pour accélérer le processus d’investissement. Etant entendu qu’on est capable, dans la mesure où ces investissements sont efficaces, de générer les ressources nécessaires pour assurer le service de la dette.
Donc, nous négocions régulièrement, dans le cadre des rapports que nous avons avec les bailleurs de fonds, pour conserver les indicateurs macro-économiques qui restent sains. Lorsque nous allons sur les marchés pour mobiliser des ressources à des niveaux relativement bas en termes de taux, de qualité et de durée, nous avons besoin d’avoir des indicateurs clés sains. Le taux de déficit budgétaire est un de ces indicateurs. Ce que nous avons normalement, et qui est la norme recherchée, c’est un taux de déficit budgétaire qui n’excède pas 3 %. Mais compte tenu du facteur qui est survenu, à savoir la pandémie mondiale, ces normes n’ont plus été respectées dans tous les pays du monde. On s’est retrouvé dans des situations où, manifestement, il fallait, sans que l’on soit en mesure de générer des ressources suffisantes puisque la machine économique était arrêtée, continuer à faire des dépenses. Donc une marge de tolérance sur les déficits a été accordée à un certain nombre de pays pour vivre.
En ce qui concerne la Côte d’Ivoire, le taux de déficit autorisé l’année dernière était de 5,6 %.
Pour le budget 2022, le taux de déficit budgétaire accordé est de 4,7%. Nous sommes donc en parfaite harmonie avec les organismes internationaux. Et cela fait partie des taux de déficit les plus faibles au monde. Il y a des pays en occident notamment, qui ont dépassé le plafond de 8%. Qui sont à 10-12%.Donc, 4,7%, dans l’environnement où nous sommes, avec la pandémie que nous avons connue, avec la capacité de riposte que nous avons, on peut estimer que c’est une performance.
Concernant la question sur l’Eurobond, c’est vrai qu’en 2021, nous avions envisagé de mobiliser les ressources sur le marché extérieur, à travers l’Eurobond. Mais c’était fonction de notre plan de trésorerie. Si nous n’avions pas suffisamment de trésoreries pour couvrir nos dépenses, nous aurions fait cet Eurobond. Mais il s’est trouvé que les circonstances nous ont permis d’avoir une trésorerie qui ne nous imposait plus de lever cet Eurobond. Donc, nous ne l’avons pas fait.
Maintenant, en 2022, c’est quelque chose qui pourrait être envisagé. Mais là également, souvent l’évolution au mois le mois, de la mobilisation des recettes, des ressources dont nous pouvons disposer ici et là, détermine et fait évoluer le plan de trésorerie.
Donc c’est à la lecture de l’évolution du plan de trésorerie, sur les premiers mois de 2022, que le ministre de l’Economie et des finances pourra décider s’il est intéressé à aller sur le marché international pour un autre Eurobond. Donc, vous le saurez, le moment venu.
Concernant la question sur l’engorgement de la ville d’Abidjan, nous sommes dans un contexte où nous avons engagé de nombreux travaux pour faciliter la mobilité dans la ville d’Abidjan.
La mobilité est un facteur déterminant de productivité et de facilité de vie pour les populations. Encore qu’Abidjan n’a rien à envier à certaines capitales du monde, qui sont des modèles en matière d’embouteillage.Mais ceci étant, j’admets qu’on peut certainement faire mieux. Et c’est pour cela que nous avons décidé d’engager des chantiers importants. Ce qui s’est passé, c’est que beaucoup de chantiers ayant été lancés, le phénomène Covid a retardé la réalisation d’un certain nombre de chantiers.
De sorte que tous les chantiers sont en train d’être réalisés en même temps. Conséquence, on se retrouve avec une réalité qui est quotidienne à tous les pays où il y a des chantiers. On est obligé de fermer des rues, quelquefois très importantes, pour permettre aux chantiers d’avancer. Et la ville étant en chantier, on assiste inévitablement à un surcroit d’embouteillages ici et là.
C’est un moment qui va passer, comme dans toutes les villes qui sont en chantier et qui se développent rapidement. Et on est tous, plutôt concentrés sur la perspective de la fin des travaux.
Si vous prenez par exemple Yopougon, aujourd’hui, toute la population de cette commune ne peut accéder aux autres communes d’Abidjan que par l’autoroute du Nord. En même temps que toutes les populations qui viennent soit de l’étranger, soit de l’intérieur, par l’autoroute du Nord. Cela crée à l’entrée de la ville d’Abidjan un engorgement difficile à gérer.C’est pour cela que le gouvernement a initié le pont Yopougon-Plateau-Adjamé. Ce pont traverse la commune de Yopougon sur une autoroute de 7 km, traverse la Commune d’Attécoubé avant de rejoindre Adjamé, au niveau du boulevard Nangui Abrogoua.
Donc, ce pont permettra de désenclaver totalement cet axe qui est structurant, et qui est un souci majeur.
Il y a également le cinquième pont. Celui qui va traverser la baie de Cocody.
Aujourd’hui, si vous venez du Plateau, vous êtes obligés d’aller à l’Indénié pour accéder à Cocody. Mais une fois ce pont achevé, tous ceux qui viennent du Plateau et qui voudraient aller à Cocody, n’auront plus besoin d’aller à l’Indénié. A partir de la Cathédrale, le pont va les conduire directement à Saint Jean.
Ce pont va enjamber la lagune, atterrir dans le dos de la Pisam et continuer sur la voie qui mène à Saint Jean.
Maintenant, on a l’autoroute de contournement. Comme son nom l’indique, il va permettre de contourner Abidjan. Ainsi, si vous venez de l’Est, du Centre ou de l’Ouest, c’est à dire si vous venez de la Côtière ou de l’Autoroute du Nord, vous n’aurez plus besoin de traverser la ville d’Abidjan. Car, cette autoroute, la Y4, fait la ceinture pour tout Abidjan. Cette infrastructure routière structurante est également en chantier.
A côté, vous avez des autoroutes de sortie Est et Ouest qui causent aujourd’hui des préoccupations aux usagers qui l’empruntent pour aller vers N’Dotré et le Stade Alassane Ouattara d’Ebimpé. Elle est quasiment engorgée. Elle est en train d’être réaménagée pour disposer de deux fois trois voies qui traversent toute la zone industrielle et qui va jusqu’à Tomassé, à la sortie d’Anyama.
Au niveau de la sortie ouest d’Abidjan, la situation est pareille. Là, la voie part d’Abidjan jusqu’à Songon et continue sur la côtière, à partir de Dabou, Grand Lahou, San Pedro, etc. Cette voie est en train d’être transformée en autoroute.
On a donc des axes structurants qui vont fondamentalement changer bientôt la circulation dans la ville d’Abidjan. Seulement, il y a un prix à payer pour tout pays qui enclenche de grands travaux de développement. Et le prix à payer, ce sont les désagréments que rencontrent les usagers. Mais, ce n’est que juste pour quelques mois ! Dons, lorsque vous restez longtemps dans les embouteillages, ne tenez pas rigueur au gouvernement. Il faut penser plutôt à la circulation fluide qui va suivre à la fin des travaux, et ce pour bientôt.
En ce qui concerne la question relative au rationnement conjoncturel de l’électricité, je voudrais vous remercier d’y revenir. Lorsque la crise est survenue, mes ministres de l’Energie et du Pétrole, ainsi que celui du commerce, sont montés au créneau, pour la juguler de façon relativement professionnelle. Et je pense que c’est ce qu’il faut retenir. On parle de crise structurelle, parce que c’est le genre de crise qui ne survient pas toute seule. On n’a pas un problème de capacité d’électricité installée. Car, on a plus de 2 200 mégawatts pour des demandes en pointe qui n’excèdent pas plus de 1600 mégawatts. Donc, nous disposons d’une bonne marge.
Ce qui s’est passé, c’est que des centrales thermiques sont tombées en panne pendant la période du Covid-19. Les usines en Europe qui devaient fournir des pièces de rechange étaient fermées, les employés bloqués à la maison pendant plusieurs mois. Les pièces stockées avaient été épuisées, donc impossible de les remplacer. Et justement, comme il fallait surutiliser les capacités des centrales qui fonctionnaient, d’autres sont tombées en panne. Ensuite, les maintenances régulières qui devaient se faire par des techniciens extérieurs, n’ont pu se faire. Vous savez comment fonctionnent des machines, à l’instar de tout équipement : il y a des entretiens courants et périodiques, si vous ne les faites pas, c’est de gros risques que vous courez.
Ainsi, à force des surutilisations, une autre centrale thermique est également tombée en panne. On a donc été obligés de surutiliser nos barrages hydrauliques, alors que la saison sèche ne nous a pas donné de fortes pluies, cette année-là. On se retrouve ainsi devant un facteur que je dirais conjoncturel, (comme d’ailleurs dans le cas d’une pandémie). Dans beaucoup de contrats, à travers le monde, il s’est avéré que des modifications ont dû être faites, parce que la pandémie a été considérée comme assimilable à une catastrophe naturelle.
En pareille circonstance, un peu partout dans le monde, que ce soit les digues construites, dans de grands pays, pour empêcher la mer d’avancer, la mer finit par emporter le tiers ou le quart d’une ville. En ce moment, vous n’êtes pas en mesure de dire que la digue n’était pas haute, car elle se calcule en fonction du niveau qu’aura la mer. Alors, on regarde en général, l’historique décennal ou centennal, pour essayer de juger, en dix, vingt ou trente ans, quel est le niveau le plus élevé que la mer a pu atteindre.
Mais si l’eau arrive à dépasser ce niveau jamais atteint depuis cent ans, alors vous êtes en situation de catastrophe ! Et lorsqu’on est en situation de catastrophe, comme celle que nous avons vécue, pas du fait de l’insuffisance de nos investissements ou de nos capacités à satisfaire nos clients, l’élément le plus important, c’est comment vous gérez cette catastrophe. Comment vous gérez la crise.
Et il faut avouer que cette page de crise a été admirablement gérée. Très rapidement, les secteurs sensibles ont été isolés : la santé, les hôpitaux, les industriels se sont vite rencontrés, ont discuté et le rationnement qui a été bien expliqué aux populations et aux industriels, a permis de passer ce cap extrêmement difficile qui, comme on l’a vu, a duré, à peine deux mois (juin-juillet et août). Les pluies étant arrivées en septembre, on est revenu à une situation quasi-normale.
On a même eu un phénomène extrêmement sérieux, celui du pain. Les moulins devaient être alimentés au risque d’être confrontés à une pénurie à Abidjan. Au niveau de la filière cacao, les paysans se sont retrouvés avec leurs productions sur le bras au cours de la campagne intermédiaire : conséquence des pertes de revenus pour les paysans, l’Etat et pour les industriels qui n’avaient pas la capacité d’acheter et de stocker.
Il a donc fallu les alimenter pour qu’on puisse acheter le cacao... Bref, la crise a été gérée avec le secteur privé, avec les acteurs clés. On a eu un calendrier qu’on a respecté. Je félicite bien le ministre du Pétrole et de l’Energie ainsi que son collègue du Commerce, parce que le manque d’électricité a induit l’utilisation de groupes électrogènes.