Cataracte dans le Nord du pays : Des personnes du 3e âge espèrent ne pas mourir aveugles
La septuagénaire semble avoir perdu tout espoir, sauf en Dieu qu’elle implore nuit et jour de lui redonner la vue. En attendant ce miracle, elle ne peut compter pour l’instant que sur son guide de fils. Mais ce dernier, malgré tout l’amour qu’il a pour sa génitrice, commence à s’interroger sur l’avenir de celle-ci et sur le sien bien entendu.

Il raconte le début de la maladie de sa mère : « Tout a commencé par l’inflammation de ses joues. Elle n’avait de cesse de nous dire qu’elle avait mal à la tête et qu’elle commençait à voir flou. Nous ne savions pas que c’était un début de cataracte. Nous avions tenté de la soigner traditionnellement avec des infusions de plantes dont elle se lavait le visage. Mais en vain, le mal s’est empiré au point de la rendre aveugle. J’ai dû laisser les travaux champêtres pour me mettre entièrement à son service. J’avoue que nous avions été quelque peu négligents et c’est dommage ! » Sans pour autant croire à la fatalité, il affirme avoir sollicité l’aide de bonnes volontés pour que sa mère soit opérée, mais en vain.
La négligence et l’insuffisance de moyens
La négligence et l’insuffisance de moyens sont des causes de la progression de la maladie dans le Nord du pays. C’est le cas de Sékongo Kinanfo, 72 ans, résidant au quartier Womadeli. Sa vie a sombré dans le noir depuis plus de 5 ans, à cause de cette maladie. Un jour, pendant qu’il décortiquait des arachides avec ses enfants, il reçut de la poussière dans son œil gauche. Cet accident qu’il avait banalisé, était sans doute à l’origine de la maladie, se souvient-il. Tout comme dame Makoura, Sékongo Kinanfo a constaté que sa vue déclinait progressivement.

Au début, ses enfants pensaient que ces troubles de la vision étaient causés par la vieillesse. Mais ils feront plus tard l’amer constat que l’œil ne voyait plus rien. L’ultime solution résidait dans une opération chirurgicale qui pourrait guérir l’œil affecté. « Mais rien qu’à entendre parler d’opération de l’œil, nous étions frappés de stupeur à cause du coût. Faute de moyens, la maladie a évidemment vite évolué. Nous aurions dû au moins le faire consulter par un ophtalmologiste, hélas nous ne l’avions pas fait ! Ici, de nombreux malades vivent notre situation. Nos parents souffrent et sont sans secours », se désole Sinan, son fils de 40 ans.
Pour Soro Kananbanan, 70 ans, sourde-muette et souffrant de cataracte, tout a commencé par des démangeaisons et des maux de tête qui ont fini par la contraindre à cesser toutes ses activités.
Les victimes collatérales
La cataracte qui finit par rendre ses victimes aveugles, fait de ces dernières, des sujets totalement dépendants de leur entourage. Au point où certains parents de personnes atteintes de cette grave maladie des yeux, sont obligés d’abandonner leurs activités, pour s’occuper entièrement d’elles.
Soro Klotiaka, dont le père est frappé par cette maladie, a dû laisser son commerce qui prospérait pourtant à Ferké, pour rester auprès de lui. « Depuis plus de deux ans, ma famille et moi sommes à Sinématiali. Mon père qui était valide ne peut plus rien faire. Je suis désormais à ses côtés pour s’occuper de lui. C’est difficile. Il faut constamment l’aider pour ses besoins. Fatigué d’être un poids pour les siens, il lui arrive parfois d’implorer la mort pour mettre fin à ce calvaire qu’il fait subir à ma femme et moi. Mais à chaque fois que ces idées noires lui traversent la tête, nous essayons de lui remonter le moral », relate-t-il.

Même son de cloche chez Soro Midandji qui affirme ne plus rien faire sans sa fille. « Si elle n’était pas à mes côtés, la maladie allait précipiter ma mort. Depuis plus de 3 ans qu’elle est venue rester avec moi à Sinématiali, elle m’aide pour mes soins. Elle m’a traîné partout, notamment dans la région de Gagnoa à la quête de ma guérison », confie-t-il.
Une Ong s’engage
Dans le département de Sinématiali, l’Ong Sounyegnon mène des campagnes de sensibilisation dans le cadre de la lutte contre la cataracte. Selon les responsables de ladite organisation, ce sont au total 900 cas de cataracte qui ont été détectés.
« Nous sommes la seule Ong de la région des savanes qui s'est donnée les moyens de mener une lutte significative contre la cécité due à la cataracte », souligne le président du conseil d’administration de l’Ong Souleymane Dogoni.
.................................................................................................................
Plaidoyer pour la formation des ophtalmologues en chirurgie

La disponibilité de l’offre et l’insuffisance des services de soins oculaires sont les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes atteintes de cataracte et qui, par conséquent, favorisent la maladie dans le pays. De l’avis du Dr Koizan Kadjo, Directeur Coordonnateur du Programme National de la Santé Oculaire, un service de soins oculaire doit disposer d’un plateau technique relevé pour pouvoir opérer la cataracte ; l’opération étant le seul moyen de traiter cette pathologie.
A l’en croire, l’intérieur du pays est sous desservi en service de soins oculaires (06 régions sanitaires disposant de services de soins oculaires sur les 33 régions sanitaires du pays) avec une inégale répartition des ressources humaines dont la majorité à Abidjan et l’insuffisance de certains corps de métiers (optométristes, techniciens basse vision et cécité, contactologues, etc.) et les surspécialités en ophtalmologie (oncologie, ophtalmologie pédiatrique, spécialiste de la rétine, spécialiste du Glaucome, neuro-ophtalmologie, etc.).
« Beaucoup d’ophtalmologues sont dits médicaux et ne peuvent pas opérer la cataracte. Nous plaidons pour la formation des ophtalmologues en chirurgie », a-t-il déploré. Ajoutant un autre problème, celui lié à l’accessibilité des populations à l’offre de soins oculaires.
Dr Koizan Kadjo se désole aussi du fait que malgré l’existence de l’offre de soins à Abidjan dans des structures tant publiques (Chu de Treichville, par exemple) que privées où l’on opère de la Cataracte, le coût financier est un obstacle majeur pour bien des patients et leurs parents.
Se référant à une étude rapport-coût de la chirurgie de la cataracte, il souligne que les frais varient de 150 000 FCfa à 700 000 pour l’opération. Ce qui n’est pas à la portée des populations démunies. Il a, par ailleurs, révélé que la cataracte représente la première cause de cécité en Côte d’Ivoire. Un véritable problème de santé publique. D’où la création du Programme national de la santé oculaire (Pnso).
Pour ce qui est des statistiques, le spécialiste a informé qu’une enquête réalisée, en 2017, dans la région du Gboklè-Nawa a révélé que les personnes de 50 ans et plus sont potentiellement sujettes à la cécité ; avec un taux de cécité de 3,1%. « Certes, ça n’a l’air de rien, mais c’est énorme. Au niveau mondial, tous les pays devraient faire l’effort d’avoir des taux de cécité inférieur à 0,5%. En Côte d’Ivoire, si nous avons ce taux de cécité de 3,1% dans une région, c’est 6 fois plus que ce qui est recommandé. Au-delà de 0,5% de taux de cécité, nous nous retrouvons avec un problème de santé publique », a expliqué Dr Koizan.
Selon le Dr, au niveau des pathologies qui étaient incriminées, malheureusement la cataracte représentait 1,8% des 3,1% ; soit environ 59% des causes de cécité. D’après cette étude. « Cette enquête est extrapolable aux autres régions qui ont les mêmes spécificités sociales et démographiques. La prévalence nationale de la cécité liée à la cataracte est de 1,8% ; soit près de 550 000 personnes en attente d’une chirurgie de la cataracte », a- t-il dit. « Le drame est que chaque année, on enregistre 10 à 20% de nouveaux cas ; soit environ 50 000 personnes qui s’ajoutent au back log », conclu le Dr.
Le Programme national de la santé oculaire a été créé par l’arrêté N° 913/Mshp/Cab du 16 Décembre 2016 portant cadre d’organisation, attributions et fonctionnement dont la mission principale est de contribuer à la réduction des handicaps, des incapacités et de la morbidité dus à la malvoyance et à la cécité par des activités de type promotionnels, préventifs, curatifs et de recherche liées en particulier aux pathologies oculaires.
..................................................................................................................
Dr Habib Diomandé (chef de service Ophtalmologie du Chu de Bouaké): « L’intervention chirurgicale la solution »

Le médecin ophtalmologiste se montre optimiste pour les malades de la cataracte. « Si le patient bénéficie d’une bonne prise en charge chirurgicale, il recouvre la vue », en insistant sur le fait que seule l’intervention chirurgicale est la solution à cette pathologie.
Contrairement à bien d’autres, la cataracte n’entraine pas la mort. Toutefois, il a déploré le manque de réactivité des patients. Ainsi, plus les années passent, plus le nombre des cas augmente.
Il existe plusieurs formes de la maladie, dont les cas les plus fréquents sont les cataractes séniles que contractent les personnes de 65 ans et plus. Bien qu’elle existe partout dans le monde, elle est plus fréquente dans les pays en développement, où elle se présente comme la première cause de cécité.
Se référant aux chiffres de l’Organisation mondiale de la santé (Oms), il affirme qu’au moins 16 000 nouveaux cas de la maladie sont recensés, chaque année, dans le monde. « En Côte d’Ivoire, les ophtalmologistes tout comme les chirurgiens pour s’occuper de tous les cas de la maladie en Côte d’Ivoire sont très peu nombreux ».
La cataracte se caractérise par la baisse progressive de la vue. « Elle se manifeste par une sensation de brouillard, de flou visuel, comme de la fumée devant les yeux qui entraine, progressivement, la cécité. En conséquence, le malade ne voit plus rien et ne peut plus se déplacer. Elle survient généralement lorsqu’on vieillit, d’où l’appellation de la cataracte sénile », a expliqué le spécialiste qui précise que la maladie est naturelle.
De ce fait, Tout le monde, à savoir, le nouveau-né, l’enfant, ou l’adulte y sont exposés. Et les causes différentes. Chez le nouveau-né, on parle de cataracte congénitale liée à une pathologie contractée par la mère pendant la grossesse et qui a pu endommager le cristallin de son œil.
S’agissant de l’enfant, il s’agit de cataracte de type traumatique, qui survient lorsque l’enfant apprend à s’amuser. Quant à l’adulte ou le jeune, la cataracte est pathologique. Elle résulte de maladies telles que le diabète, les infections. Les jeunes filles ne sont pas épargnées, à cause de l’utilisation abusive de certains produits tels que les corticoïdes qui peuvent entraîner une altération du cristallin.