Frontière ouest Côte d’Ivoire - Guinée : Comment les populations riveraines vivent la fermeture

L'axe Danané-frontalière guinéenne est entièrement bitumé. (Photo : Saint-Tra Bi)
L'axe Danané-frontalière guinéenne est entièrement bitumé. (Photo : Saint-Tra Bi)
L'axe Danané-frontalière guinéenne est entièrement bitumé. (Photo : Saint-Tra Bi)

Frontière ouest Côte d’Ivoire - Guinée : Comment les populations riveraines vivent la fermeture

Le 15/09/21 à 10:13
modifié 15/09/21 à 10:13
Après la découverte d’un cas suspect d’Ebola en provenance de la Guinée, le 11 août 2021, le gouvernement ivoirien a durci la mesure de fermeture de ses frontières terrestres avec ce pays. Voyage à l’une de ces frontières.
Dans la localité frontalière de Gbapleu, située à 48 km de Danané, dans l’extrême ouest de la Côte d’Ivoire, le poste de contrôle des forces de sécurité et de défense éveille la curiosité de tout visiteur. Un poste mixte flambant neuf inauguré en février 2019 qui regroupe des éléments des Forces armées de Côte d’Ivoire (Fanci), de la gendarmerie, des douanes ivoiriennes et des Eaux et Forêts.

Ce joyau situé en face du village guinéen de Gouela, sur l’autre rive du fleuve Goué servant de frontière naturelle entre les deux pays, n’est pas connecté au réseau électrique. Il fonctionne à l’aide d’un groupe électrogène. De plus, le réseau de téléphonie mobile est défaillant, de sorte que les éléments des forces ivoiriennes sur place sont obligés d’utiliser les réseaux guinéens.

A ce point de passage officiel entre la Côte d’Ivoire et la Guinée, situé à 48 kilomètres de Danané, règne, ces derniers temps, un silence inhabituel. Les trottoirs d’ordinaire occupés par des vendeurs ambulants et des camions sont quasiment vides. Il n’y a que les éléments des forces ivoiriennes qui sont présents sous des hangars, pour se mettre à l’abri de la fine pluie qui nous accueille ce 4 septembre 2021.

Certains sont aux différents postes de contrôle, quand d’autres sont devant une boutique qui distille de la musique du pays. Trois d’entre eux échangent juste à côté des sanitaires préfabriqués hermétiquement fermés et opérationnels. Ces locaux sont destinés à accueillir des cas suspects de personnes infectées par le virus d’Ebola ou celui de la Covid-19. Jusque-là, ils n’ont pas enregistré de cas, mais les équipes de l’Institut national d’hygiène publique restent sur le qui-vive et les agents que nous avons interrogés veillent au grain pour appliquer les mesures prises par le gouvernement.

Au poste de contrôle sanitaire, le seau pour le lavage des mains est bien en vue. Les bouteilles de savon liquide et de gel hydro-alcoolique sont pleines. Le seau de recueillement de l’eau usée est vide, signe que les usagers qui se présentent pour le lavage de main sont rares et cela est manifestement dû à la fermeture de la frontière. Nous nous lavons les mains avant d’engager des échanges avec les maîtres des lieux. ‘’ Bienvenue au poste de Gbapleu, merci de venir partager notre solitude !’’, nous lance un jeune gendarme.

Visiblement content de voir des visiteurs, il raconte qu’avant la décision de fermer la frontière, des centaines de personnes et de nombreux camions de marchandises faisaient chaque jour la traversée à cet endroit.

Les préfabriqués pour accueillir les cas suspects de personnes infectées par la Covid-19 ou le virus Ebola. (Photo : Saint-Tra Bi)
Les préfabriqués pour accueillir les cas suspects de personnes infectées par la Covid-19 ou le virus Ebola. (Photo : Saint-Tra Bi)



Sur la chaussée, non loin du pont, une barre de fer bloque le passage. ‘’C’est notre point de contrôle. Aujourd’hui, il n’y a que les habitants des deux villages frontaliers qui traversent ce poste pour aller dans leurs champs dans les deux sens ‘’, indique un jeune soldat. ‘’Nous ne sommes pas en vacances. Nous veillons au grain», affirme un autre. ‘’Il y a toujours quelque chose à faire, nous veillons sur la sécurité des Ivoiriens’’, ajoute-t-il. Il fait savoir qu’en plus des riverains, les convois humanitaires sont autorisés à traverser la frontière.

Les soldats, conscients du danger invisible qui peut venir de la Guinée voisine, se protègent comme ils peuvent. Après ces échanges, il est temps de passer la frontière... bien attendu avec leur incontournable appui.

Une frontière perméable, malgré tout

Après avoir pris des forces, nous pouvons nous aventurer sur les routes et pistes de la région. Aux alentours du pont sur la rivière Goué, qui est assez éloigné du poste frontière, nous apercevons une femme et ses enfants en train de traverser la frontière. ‘’Ils vont dans leurs champs en Côte d’Ivoire. Nous connaissons tous ces riverains du poste frontalier’’, précise un soldat. Il fait observer aussi que les soldats ivoiriens et guinéens entretiennent de bons rapports dans la lutte contre la pandémie de la Covid-19 et la maladie à virus Ebola.

A l’approche de la ligne de démarcation, un soldat guinéen, avec de grands gestes, nous fait signe de rebrousser chemin. ‘’Il faut attendre leur autorisation avant de prendre des clichés. Les soldats guinéens sont imprévisibles’’, explique le soldat ivoirien qui invite son frère d’armes guinéen au calme.

Guinéens et Ivoiriens, même galère

Les villages frontaliers de Gbapleu en Côte d’Ivoire et de Gouela en Guinée, séparés par la rivière Goué, vivent un véritable calvaire depuis la survenue de la pandémie de coronavirus qui n’épargnent pas les deux pays. Lieu d’échanges de devises et carrefour prospère des affaires, le village de Gouela n’est plus que l’ombre de lui-même. Les services ont tous fermé. la vie s’est arrêtée.

Sangaré Abou, un habitant de Gouela qui a sa plantation en Côte d’Ivoire, évoque la situation le cœur meurtri : ‘’La fermeture de la frontière ivoirienne est un véritable drame pour cette localité qui est totalement dépendante de la Côte d’Ivoire pour son approvisionnement en denrées alimentaires. Aujourd’hui, du fait de la pandémie de coronavirus, toutes les activités sont arrêtées et les populations en souffrent énormément. Cette situation a déjà trop duré. Au moment où nous attendions l’ouverture imminente de la frontière, on vient nous apprendre qu’un cas suspect d’Ebola a été découvert en Côte d’Ivoire en provenance de la Guinée. Nous avons accueilli cette nouvelle avec beaucoup de tristesse.’’

Les commerces, poursuit-il, sont fermés et les échanges se sont arrêtés. Il fait remarquer, avec un brin d’humour, qu’ils vont dans leurs plantations en Côte d’Ivoire parce que c’est le même peuple qui se retrouve de part et d’autre de la frontière. A.B., un autre habitant de Gouela, note, cependant, que malgré sa fermeture officielle, la frontière ivoiro-guinéenne est poreuse. A certains endroits, dit-il, la largeur du lit de la rivière est réduite. Ce qui facilite la traversée à ces points où les agents des forces de l’ordre ne sont pas présents.

Pour vérifier cette porosité, nous nous sommes fait accompagner jusqu’à un ces endroits où nous avons réussi à passer la frontière facilement. Avant de revenir sur nos pas pour rentrer au bercail.

En territoire ivoirien, à Gbapleu, si la majorité des habitants approuvent la décision de fermeture de la frontière, d’autres, tout en étant inquiets, se demandent à quoi sert cette mesure si la frontière reste perméable.

Le poste frontalier de Gbapleu. (Photo : Saint-Tra Bi)
Le poste frontalier de Gbapleu. (Photo : Saint-Tra Bi)



Sidibé Amara, planteur dans ce village, confirme que même si le gouvernement a fermé la frontière, il y a mille autres points d’entrée possibles. Il en veut pour preuve les nombreuses pistes qui permettent d’aller et de venir dans les deux sens sans être inquiétés. « Voilà des routes qui peuvent être des voies de transmission de la Covid-19 et d’Ebola. C’est regrettable, l’État ne peut pas mettre des militaires sur toutes les pistes de la zone », déplore-t-il.

Les passages clandestins

Sidibé Amara souligne que plusieurs points de passage clandestins ont été répertoriés par les forces de l’ordre dans la seule zone frontalière du village de Gbapleu. Mais hélas, il en reste toujours où le trafic se concentre à leur insu.

Pour Gouli Robert, un autre habitant du village, la fermeture de la frontière a surtout donné un coup de fouet aux trafics illégaux et à la multiplication des passages clandestins. ‘’La fermeture a entraîné une réduction considérable des flux commerciaux légaux. Mais elle a aussi contribué au développement des activités de contrebande. Cette mesure crée un gros préjudice pour l’économie locale. Seuls les convois humanitaires sont autorisés à traverser la frontière’’.

Gouli Robert se réjouit quand même du fait que le poste frontière soit équipé de matériel sanitaire. A savoir, des thermomètres à infrarouges, des gants, des bavettes et autres cache-nez. Cela lui paraît rassurant. Même s’il se demande à quoi sert tout ce dispositif quand la frontière reste poreuse.

Une chose est sûre, la fermeture des frontières a effectivement permis de limiter les mouvements des populations. Mais elle ne les a pas arrêtés. Le défi à relever, c’est celui de l’identification et de la fermeture des passages illégaux qui s’étendent tout le long de la frontière. Et qui sont très exploités par les chauffeurs de taxis-motos. Une aubaine pour eux, même si cela met en péril la santé de leurs clients.

Mais les conducteurs de taxis-motos rejettent en bloc ces accusations. Ils soutiennent qu’ils sont conscients de ce que cela peut leur coûter s’ils jouent à ce jeu.



Le 15/09/21 à 10:13
modifié 15/09/21 à 10:13