Une semaine après la chute d’Alpha Condé: Conakry, une ville qui ne vit pas le coup d’État

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Une semaine après la chute d’Alpha Condé: Conakry, une ville qui ne vit pas le coup d’État

Le 13/09/21 à 16:13
modifié 13/09/21 à 16:13
Quel est le quotidien des Guinéens après le coup d’État ? Le récit de notre envoyé spécial.

Les Guinéens qui aiment les dates (voir encadré) n’ont pas encore décidé sur quels édifices ils graveront le 5 septembre. Ce dimanche 2021, les forces spéciales et leur chef Mamady Doumbouya ont renversé le président Alpha Condé.

Quelle ambiance à Conakry, capitale du pays ? Quand notre avion se pose à l’aéroport, notre première réaction est de ranger notre appareil photo. Depuis le hublot, nous avons fait quelques vues, naturellement aériennes.

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Mais à la descente, nous avons jugé prudent de ranger l’appareil dans son sac. Les militaires, sommes-nous dit, on ne sait jamais comment ils réagissent.

Mieux vaut les cerner d’abord. Les formalités à l’aéroport ne prennent pas trop de temps. Il n’y a pas grand monde. Notre avion, parti d’Abidjan à moitié vide pour la destination Conakry (le vol se poursuivait sur Monrovia), était le seul à atterrir.

On ne s’est donc pas bousculés. A chaque étape des formalités, je cherchais du regard un militaire. Je n’en verrai pas. Dans les environs de l’aéroport non plus. Le taxi que nous emprun-tons nous fait traverser pratiquement la moitié de la ville sans qu’on ne rencontre une seule fois une patrouille militaire.

- Vos militaires sont où ?

- Dans leurs casernes- Comment ça dans leurs casernes ?

Ils ne patrouillent pas ?

Le chauffeur de taxi met un temps avant de répondre. Non pas qu’il réfléchissait à la réponse mais parce qu’il était occupé à trouver un passage à un carrefour où la voie était sérieusement dégradée.

-Mon frère, ici ce n’est pas Abidjan. Il n’y a pas de bonnes routes. Nous, on veut des routes, le développement, mais il y a des gens qui ne sont intéressés que par le pouvoir.

Je n’ai pas pu m’empêcher de lui demander s’il pense que les soldats qui ont renversé Alpha Condé vont s’accrocher au pouvoir.

«Qui sait ? Nous on était à la maison quand on a entendu des tirs. Après, on a vu à la télé les forces spéciales dire qu’ils ont pris le pays. Mais que lundi on pouvait aller au travail. On n’est pas vraiment sortis lundi, par peur ou prudence.. Mardi on est sorti un peu et, depuis mercredi, on a repris nos activités. Ils sont dans leurs casernes, on ne les voit pas. On ne sait pas ce qu’ils pensent, on ne sait pas ce qu’ils mijotent ‘’

Après avoir déposé nos bagages à l’hôtel, nous décidons de visiter la ville. Conakry, c’est le règne des motos taxis. Nous en prenons un. Pour le tour d’une ville que nous trouvons sympathique.

Nous laissons le choix au conducteur de nous montrer ce qu’il aurait voulu montrer à son visiteur. Notre hôtel étant situé en bordure de mer, c’est par les quartiers au large de l’océan que nous commençons.

Il nous montre les résidences des deux principaux hommes politiques du pays, Cellou Dallein Diallo et Sidya Touré. Le premier dirige l’Ufdg, l’Union des forces démocratiques de Guinée et aaffronté Alpha Condé lors des deux dernières élections. Avec des résultats très serrés.

A Conakry, on dit que son heure est arrivée. Sa formation politique a l’avantage d’avoir un appareil électoral huilé.

Le second a ‘’un nom et pourrait bénéficier du vote de l’électorat d’Alpha Condé ‘’, dit le conducteur du moto taxi. Mais tout cela, c’est quand il y aura élections. Pour l’instant, seuls les militaires du Comité national de redressement et du développement (CNRD) le avent. Le Cnrd, c’est essentiellement les forces spéciales.

Nous passons devant leur camp devenu Qg de la transition, cœur du pouvoir. Des pick-up sont en abondance stationnés, en position départ mais aucun signe de frivolité. Un camp militaire normal donc.

Il nous envoie, non loin du port autonome et de la banque centrale de Guinée, à l’ambassade de la Côte d’Ivoire à Conakry, logée dans un bâtiment relativement imposant et qui jouxte la présidence de la République.

Autres cités visitées, le stade du 28 septembre, le pont du 8 novembre et le célèbre camp Boiro du non moins célèbre Sékou Touré. L’homme du non à la France en 1958, le premier président du pays. Entre lui (1958-1984) et Mamady Doumbouya, il y a eu Lassana Conté (1984-2008), le sulfureux Moussa Dadis Camara (2008-2009), la transition en 2009 de Sékouba Konaté qui a organisé les élections qui ont amené Alpha Condé au pouvoir.

Les militaires sont dans leur camp à Conakry ? Oui. Mais ils sortent quelquefois, quand ils ont des nominations à faire. Ils ont mis à tous les postes de l’administration territoire les leurs.

La ville de Conakry par exemple est aux mains de la seule femme Générale du pays, dame M’Mahawa Sylla.


La générale de brigade M’Mahawa Sylla aux commandes de Conakry
La générale de brigade M’Mahawa Sylla aux commandes de Conakry



La générale de brigade M’Mahawa Sylla aux commandes de Conakry


La capitale de la Guinée n’a pas échappé à la vague de nominations entreprises par le Comité national de redressement et du développement (CNRD) à la tête de l’administration territoriale.

C’est une femme qui a été le choix de la junte dirigée par le lieutenant-colonel Mamady Doumbouya comme gouverneur de Conakry.

M’Mahawa Sylla, 50 ans, est générale de brigade. Formée en Guinée puis en Chine, elle a séjourné en Côte d’Ivoire dans le cadre de l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire (Onuci).

Elle va désormais administrer la capitale du pays. « Nous les militaires, nous sommes habitués à nous adapter à chaque nature. Donc je vais m’adapter à la nouvelle situation», affirme-t-elle. Elle ne devrait pas être trop dépaysée parce qu’elle remplace à ce poste un autre militaire, nommé celui-là par le président déchu Alpha Condé.

La générale de brigade M’Mahawa Sylla, installée à la tête de la plus importante ville du pays le 10 septembre dernier, a eu une brève carrière d’handballeuse. Elle a été capitaine de l’équipe nationale d’handball de la Guinée. Elle a obtenu un diplôme supérieur en sciences économiques et gestion de l’université de Conakry.


Les dates marquantes

1958, 1960, 28 septembre, 8 novembre.

Ces dates font partie de l’histoire de la Guinée. Les deux dernières sont marquées par des édifices à Conakry.

1958 : Palabre Sékou Touré- Général De Gaulle et indépendance

Comment peut-on qualifier l’indépendance de la Guinée, célébrée tous les 2 octobre depuis 1958 ? Octroyée ou arrachée de haute lutte ? Peut-être les deux.

Ou alors rien de tout cela. Sékou Touré, le premier président du pays, fait partie des cadres africains ayant milité pour la fin de la colonisation. Il était proche au départ du Président Félix Houphouët-Boigny avec son parti, le Pdg, Parti démocratique guinéen, dénomination semblable au Pdci de Côte d’Ivoire. Sékou Touré n’a donc pas commencé sa carrière politique comme un radical opposant à toute collaboration avec l’ancienne colonie. Seulement en août 1958, tout va se gâter entre lui et le Général De Gaulle qui dirigeait alors la France.

Le 25 août 1958, le père de la France libre qui organisait une tournée africaine pour appeler les colonies à voter oui au referendum de la Ve République arrive à Conakry. Un déplacement en principe tranquille, comme le témoignera alors la forte mobilisation avec les foules amassées à l’aéroport et aux abords des routes. Le Président français ne lira pas, avant la cérémonie, le discours de Sékou Touré qu’il ne pensait pas redoutable.

C’est donc en plein rassemblement qu’il découvre, très choqué: «Nous avons, quant à nous, un premier et indispensable besoin, celui de notre dignité. Or, il n’y a pas de dignité sans liberté, car tout assujettissement, toute contrainte imposée et subie dégrade celui sur qui elle pèse, lui retire une part de sa qualité d’Homme et en fait arbitrairement un être inférieur. Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage. » Le Général de Gaulle, l’homme qui a libéré la France, ne pouvait pas laisser passer ce qu’il considère comme un affront. « Cette Communauté, la France la propose ; personne n’est tenu d’y adhérer. On a parlé d’indépendance, je dis ici plus haut encore qu’ailleurs que l’indépendance est à la disposition de la Guinée. Elle peut la prendre, elle peut la prendre le 28 septembre en disant «non» à la proposition qui lui est faite et dans ce cas je garantis que la Métropole n’y fera pas obstacle », répliqua-t-il. La rupture est faite. La Guinée devient indépendante le 2 octobre 1958 et Ahmed Sékou Touré, 36 ans, en devient le président. Les Français quittent le pays. Un pays qu’ils feront tout pour retarder.

Le pont du 8 novembre 1958

A Conakry, on retrouve de grands noms tels Gamal Abdel Nasser dont l’université de Conakry porte le nom et aussi Fidel Castro qui a servi à baptiser un important boulevard. C’est sur cette voie que se trouve le pont du 8 novembre. Une date de l’année 1961.

Ce jour-là, Sékou Touré, exacerbé par les attaques à son régime, décida de corser les lois du pays pour davantage protéger son pouvoir. Pouvoir qu’il gardera jusqu’à sa mort en 1984. Lassana Conté, alors colonel de l’armée, lui succéda.

Le stade du 28 septembre La Guinée a connu un homme : le capitaine Dadis Camara. Qui prend le pouvoir le 22 novembre 2008 à la mort de Lassana Conté. En une année, il se fera plus voir dans les médias qu’ailleurs. Lui qui annonçait avec fermeté partir très vite du pouvoir, avait fini par exprimer son désir de le conserver. C’est alors qu’une manifestation pour lui dire non a réuni, le 28 septembre 2009, de nombreux manifestants au stade de Conakry. Les militaires y font irruption et ouvre le feu.

Pour Dadis Camara, c’était la fin de règne. Mais on ignorait la date. Ça a été le 3 décembre. Un de cesgardes du corps va tirer sur lui et le blesser grièvement. Hospitalisé au Maroc, il sera remplacé par Sékouba Konaté. Qui organisera le scrutin de 2010 remporté par Alpha Condé. Les Guinéens se demandent le sort que leur réservent Mamady Doumbouya et ses forces spéciales.


Le 13/09/21 à 16:13
modifié 13/09/21 à 16:13