Enlèvement des véhicules à Abidjan/Usagers et remorqueurs : Des rapports toujours houleux

Un véhicule remorqué à la fourrière après que le propriétaire a payé la note. (Photo : Marcelline Gneproust)
Un véhicule remorqué à la fourrière après que le propriétaire a payé la note. (Photo : Marcelline Gneproust)
Un véhicule remorqué à la fourrière après que le propriétaire a payé la note. (Photo : Marcelline Gneproust)

Enlèvement des véhicules à Abidjan/Usagers et remorqueurs : Des rapports toujours houleux

Le 19/08/21 à 14:22
modifié 19/08/21 à 14:22
Pas un enlèvement de véhicule défaillant ne se fait sur les grandes artères de la ville d’Abidjan, de façon générale, sans grosses empoignades entre les usagers et les sociétés chargées de cette tâche. A défaut de coups de poing et de gifles, le spectateur a parfois droit à des invectives.

Le boulevard lagunaire au Plateau, le marché d’Adjamé, la rue 38 à Treichville et bien d’autres sites du district d’Abidjan sont généralement le théâtre de ces frictions.

Plusieurs jours après avoir fait les frais d’une société, Théophile Koffi venu récupérer son véhicule 4x4 ce mercredi 14 juillet à la fourrière de Yopougon Gesco a encore du mal à contenir sa colère.

Séry Gervais, président de la Fédération des entreprises de dépannage de Côte d'Ivoire. (Photo : Sébastien Kouassi)
Séry Gervais, président de la Fédération des entreprises de dépannage de Côte d'Ivoire. (Photo : Sébastien Kouassi)



« Jeudi dernier, je roulais sur le boulevard lagunaire quand mon véhicule a basculé. Un camion de remorquage est apparu. Les occupants m’ont intimé l’ordre de m’acquitter de la somme de 80 000FCfa pour me transporter dans le garage de mon choix. J’ai proposé 35 000 FCfa. Pendant que j’étais encore assis à l’intérieur, ils se sont mis à tirer l’engin, jusqu’à ce que nous nous retrouvions vers le premier pont en allant à Yopougon, où je suis descendu du véhicule en marche, après avoir menacé de tourner le volant. Malgré tout, ils l’ont envoyé à la fourrière de Gesco. Finalement, au lieu de 55 000 FCfa d’amende, nous avons fini par nous entendre sur 20 000 FCfa », confie cet employé du secteur agricole. Qui s’attendait, selon lui, à une assistance en lieu et place de représailles. « J’ai lu sur le Net qu’avant de remorquer un véhicule, ils doivent d’abord assister l’automobiliste, mais avec eux, on ne perçoit pas cette assistance », assène-t-il.

Fourrière insalubre et dépassée

Pour accéder à la fourrière, il faut traverser des eaux usées. (Photo : Marcelline Gneproust)
Pour accéder à la fourrière, il faut traverser des eaux usées. (Photo : Marcelline Gneproust)



Dans un état piteux, la fourrière a bien l’air d’un site à l’abandon, avec ces vieilles carcasses de véhicules garés ici et là. Elle est de loin la plus importante du district d’Abidjan. C’est là que tous les engins pris sur la voie publique sont transportés. Pour y avoir accès, le visiteur doit d’abord traverser des eaux usées. La boue et l’eau stagnante verdâtre, en lutte avec les hautes herbes, en rajoutent à cet état de dégradation.

Dans le fond, des baraques servent de bureaux aux entreprises de remorquage. Elles sont cinq à squatter ce site depuis la libéralisation de ce secteur par le District d’Abidjan, sur treize entreprises agréées. Debout devant les bureaux de fortune, trois hommes expriment leur colère. « Nous étions en chemin pour la visite technique quand nous avons été interceptés par des agents de la Police municipale. A peine avons-nous tenté de négocier que le véhicule a été remorqué par des agents qui l’ont conduit jusque dans la fourrière. Cette manière de procéder n’est pas normale », fulmine Aladji Sidibé à qui il est requis la somme de trente mille francs.

De son côté, Ibrahim, chauffeur de taxi, ne sait quelle attitude adopter pour récupérer son véhicule qui lui a été pris à la Riviera 2. Sur ce site, tout comme dans les autres, les récriminations des usagers ne s’estompent pas.

Assis dans un fauteuil à la fourrière de Grand D à Attecoubé, « la note salée » en main, Aka Bernard ne sait plus à quel saint se vouer. Car il doit payer plus de 180 000 FCfa, après que son véhicule a été enlevé en son absence à la Casse d’Abobo. « Je ne comprends plus rien. Ma voiture n’était pas la seule à cet endroit. Pourquoi avoir épargné les autres, et d’ailleurs, pourquoi un tel montant », peste-t-il.

T. Koffi s'est plaint de n'avoir pas bénéficié d'assistance. (Photo : Julien Monsan)
T. Koffi s'est plaint de n'avoir pas bénéficié d'assistance. (Photo : Julien Monsan)



Mission des sociétés de remorquage

Les sociétés d’enlèvement ont pour mission d’assister, de dépanner et de remorquer (Adr), affirme le directeur de Sery Behi Holding, Sery Gervais, par ailleurs président de la Fédération des entreprises de dépannage de Côte d’Ivoire. « Quand un usager est en détresse du fait d’une panne sèche, d’une crevaison de pneu, d’un problème de chauffage, nous l’approchons. S’il a les accessoires, nous lui apportons assistance. Dans le cas contraire, nous sommes tenus d’enlever le véhicule », dit-il.

Les véhicules défectueux sont repérés au cours des patrouilles organisées par les entreprises. D’autres fois celles-ci sont alertées par la Police nationale, des usagers, des autorités ou toute autre bonne volonté.

Selon le président et ses collègues Diarra Siaka, directeur général de Grand D, et N'guessan Kouamé Pierre, responsable des Opérations, de la Facturation et du Parc de la Soar (Société africaine de remorquage), les altercations naissent du refus de l’automobiliste d’obtempérer. « Rares sont les usagers qui avouent être en panne. Ils cherchent toujours à nous berner. Certains sont déjà remontés, à notre vue », confient-ils.

Dépannage interdit sur la voie

A. Bernard n'est pas content parce qu'il n'a eu aucune assistance. (Photo : Joséphine Kouadio)
A. Bernard n'est pas content parce qu'il n'a eu aucune assistance. (Photo : Joséphine Kouadio)



Ceux qui tentent de coopérer souhaitent attendre le secours de leurs mécaniciens, pour réparer la panne sur la voie. Ce qui est totalement interdit par la loi. Car la voie n’est ni un garage, ni un parking, au dire du responsable de la société Grand D, connu sous le pseudonyme de « Grand D ».

En effet, au-delà des embouteillages interminables, stationner sur la voie ou sur le bas-côté conduit toujours, au dire de l’intervenant, à des dangers. « Souvenez-vous de ce gbaka en panne qui avait refusé l’assistance des sociétés de remorquage. Un véhicule fou l’a percuté et tué des passagers. Finalement, ce gbaka a été brûlé par des badauds en colère ».

C’est pourquoi les plus obstinés se voient remorqués pendant qu’ils sont encore assis dans le véhicule, pour éviter de perdurer sur la voie. D’autres motifs de disputes entre remorqueurs et automobilistes portent sur la ruse dont se servent certains. Ceux-là, après avoir promis de s’acquitter de la taxe, se débinent dès qu’ils sont mis en sécurité dans les espaces de leur choix.

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« Enleveurs » giflés

Alors que les automobilistes se plaignent d’être agressés par les remorqueurs, ceux-ci les accusent également des mêmes actes. Véritable dialogue de sourds entre ces deux entités qui se renvoient mutuellement la balle. Bah Tayé Ninsemon, machiniste, et son collègue Bouazé Zézé Clovis, coordonnateur chez Grand D racontent leur mésaventure.

« Pendant que j’étais en train de mettre en place le dispositif de remorquage d’un véhicule en panne en face d’un restaurant aux Deux-Plateaux, le conducteur m’a gifl é avant de proférer des injures à mon encontre », confi e Ninsémon. Parfois, ils sont violentés par des usagers ou bastonnés par des badauds avec des barres de fer.

A en croire le responsable des Opérations, de la facturation et du parc à la Soar, N’guessan Kouamé Pierre, ces cas ne sont pas rarissimes. Bien au contraire, c’est souvent qu’au cours des enlèvements ordinaires ou des déguerpissements initiés par le District d’Abidjan ou certains ministères, leurs agents sont pris à partie par des individus excités qui, en plus de les frapper, cassent les dépanneuses.

Le président de la Fédération, Sery Gervais, rappelle une scène. « Un camion transportant du bois est tombé en panne sur l’autoroute. Nos agents ont approché les occupants, mais ceux-ci se sont opposés au motif qu’ils attendaient l’appel du patron. A notre grande surprise, ils ont fait venir des individus pour nous agresser ».

Pour éviter de s’exposer aux agressions et autres incertitudes liées à la présence de petits badauds qui s’improvisent « pousseurs de véhicules » en cas de panne, les patrons des sociétés appellent les usagers à la coopération

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N’ZI Thierry, directeur des Transports et de la Mobilité urbaine au District d’Abidjan : « Remorquer un individu assis dans sa voiture est dangereux »

N’ZI Thierry, directeur des Transports et de la Mobilité urbaine au District d’Abidjan. (Photo : Poro Dagnogo)
N’ZI Thierry, directeur des Transports et de la Mobilité urbaine au District d’Abidjan. (Photo : Poro Dagnogo)



Quels commentaires faites-vous des récriminations des usagers faisant état du non-respect des conditions d’enlèvement ?

Les plaintes des usagers sont récurrentes. Cela s’explique par le manque de communication relativement aux tarifs applicables dans le domaine de l’enlèvement des véhicules en panne ou accidentés sur la voie publique, dans les limites territoriales du District Autonome d’Abidjan. Cette ignorance ou méconnaissance de la grille tarifaire par les automobilistes est très souvent exploitée par les structures conventionnées. Celles-ci abusent en surfacturant les usagers qui n’ont d’autre choix que de manifester leur mécontentement.

Quelle est la sanction en cas de surfacturation ou d’abus ?

Nous avons des feedback sur le terrain. C’est pourquoi aujourd’hui nous ne leur donnons plus d’agréments, mais plutôt des autorisations à renouveler tous les quatre mois de sorte que nous puissions voir celles qui sont professionnelles ou pas. Elles sont treize. Le District Autonome d’Abidjan a mis en place une Brigade de la circulation urbaine (Bcu

N'Guessan Kouamé, un autre patron d'entreprise de remorquage. (Photo : Julien Monsan)
N'Guessan Kouamé, un autre patron d'entreprise de remorquage. (Photo : Julien Monsan)

) qui peut être jointe aux 0141899001 / 0103107428 / 0141896532 / 0141896221 / 0757256655 / 0709367630, à tout moment, pour tout contentieux ou des protestations. Au demeurant, lorsque les services du District sont saisis d’un cas d’abus avéré, il est fait obligation à l’entreprise concernée de respecter la tarification en vigueur. A toutes fins utiles, il convient de noter que l’usager n’est pas systématiquement facturé. Le cahier des charges des enlèvements fait obligation aux entreprises, dans certaines conditions, d’assister gratuitement les automobilistes en cas de crevaison, de chauffage du moteur, de panne sèche, d’arrêt bref pour satisfaire un besoin urgent et de prise d’air ne nécessitant pas un apport de carburant, pour les camions.

Il arrive que certains usagés soient remorqués quand bien même ils sont assis dans le véhicule. Quelle attitude adopter dans ce cas ?

Des dispositions réglementaires existent dans le cadre de l’enlèvement des véhicules. On ne peut pas remorquer un individu qui est assis dans sa voiture, c’est dangereux. Il y a deux places offertes par la structure de remorquage à l’usager. Ce qui lui permet de monter dans le camion qui transporte sa voiture.

Et si l’occupant du véhicule fait de la résistance ?

Il s’agit d’un manque de communication. Les structures avec lesquelles nous avons des conventions ont leurs numéros de téléphones marqués, de même ceux du District, pour que chacun puisse appeler en cas de difficulté. Un véhicule en panne sur la voie publique entrave la fluidité. L’occupant doit être assisté, dépanné ou remorqué. Il est impérieux que chacun comprenne que le temps c’est de l’argent. Vous ne pouvez pas imaginer ce que ces entraves créent comme impacts négatifs sur l’économie.

Quelle est la politique de communication du District sur la mission de ces structures d’enlèvement ?

Nous travaillons avec les syndicats de transporteurs, les associations et le Haut conseil des Transporteurs. Nous avons même tenu une réunion sur le thème de la fluidité des transports à Abidjan, avec le Comité de concertation Etat-Secteur privé pour leur montrer les différents impacts d’une voie encombrée.

L’un des points d’achoppement entre usagers et enleveurs porte sur les tarifs jugés élevés. N’y a-t-il pas la possibilité de les baisser ?

Les tarifs d’enlèvement tiennent compte du type de véhicule et du poids total en charge. La classification catégorielle de la grille tarifaire prend donc en compte ces deux critères. Les tarifs actuels ont fait l’objet d’une large consultation, à l’issue des travaux initiés par le Comité de concertation État secteur privé (Ccesp), auxquels participaient l’Administration (District autonome d’Abidjan, ministère des Transports, Ccesp), les entreprises d’enlèvement conventionnées et le Haut conseil des transporteurs. Tirer un véhicule à 40 000FCFA est cher, certes. Mais l’entreprise paie le carburant, son personnel, les pièces des véhicules, etc. Remorquer un véhicule de gros gabarit est différent d’une petite voiture, parce qu’ils utilisent les appareils plus forts et mettent plusieurs heures.

Des agents enleveurs se plaignent aussi d’être agressés. Comment réagissez-vous à cela ?

Nous avons des obligations vis-vis des opérateurs, qui consistent à leur permettre de travailler dans des conditions sécuritaires. Quand nous sommes informés de ces cas, nous intervenons. S’opposer à eux, c’est de l’incivisme. A notre niveau, nous les formons, aussi bien les patrons que le petit personnel. C’est pourquoi nous leur demandons de mettre leurs agents en tenue sur le terrain et surtout d’éviter de travailler avec des badauds, parce que s’il y a un problème, ceux-ci peuvent s’incruster pour commettre des forfaits. Nous travaillons aussi avec la Police nationale pour éviter ce genre de situation.

Quelle stratégie pour lutter contre la concurrence déloyale ?

Le district travaille sur des voies d’intérêt urbain et national et non communal. On ne peut pas parler de façon systématique de concurrence déloyale parce que certaines entreprises ont des partenariats avec la police et non avec le District. Les mairies assurent également la fluidité de la circulation dans leurs limites territoriales. Ce faisant, elles donnent des agréments à certaines entreprises, à l’effet de procéder à l’enlèvement des véhicules sur les voies d’intérêt communal de leur ressort. Nous sommes en train de réfléchir à une répartition par zone pour ces entreprises, de sorte que chacune s’occupe de son secteur.

La fourrière de Gesco est dans un état de dégradation avancée. A quand sa réhabilitation ?

Cette fourrière doit être totalement rasée pour accueillir une structure moderne ou le remorquage ne se fera plus de façon manuelle. Le projet devait démarrer l’année dernière, mais il a dû prendre du retard à cause de la crise de la Covid-19.

Grand D, un patron d'entreprise de remorquage plaide pour une meilleure communication. (Photo : Joséphine Kouadio)
Grand D, un patron d'entreprise de remorquage plaide pour une meilleure communication. (Photo : Joséphine Kouadio)



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Des taxes d’enlèvement élevées ?

La pierre d’achoppement entre les « belligérants » porte, à coup sûr, sur les tarifs d’enlèvement jugés élevés : 35 000 FCfa les véhicules personnels le jour, quel que soit le lieu et 40000 F la nuit.

S’agissant des camions de 1,5 t et 2,5 t, l’enlèvement coûte 40000 F et 50000 F s’il est vide. Lorsqu’il est chargé, il est de 50000 F à 60000 FCfa. Pour les camions Benne, semi-remorque, remorque, autocar et bus inférieurs à 30 t, l’enlèvement est de 80000 F ou 95000 F s’il est vide et 145000 F et 170000 F si le camion est chargé.

Enfin, pour les ensembles tractés, le train routier supérieur à 30 t, l’enlèvement est de 95000 F et 110000 F contre 160000 F et 190000 F.

N'Guessan Kouamé, un autre patron d'entreprise de remorquage. (Photo : Julien Monsan)
N'Guessan Kouamé, un autre patron d'entreprise de remorquage. (Photo : Julien Monsan)



Bien que définis par le Comité de concertation Etat-secteur privé (Ccesp), le Haut Conseil du patronat des entreprises de transport routier, la Direction générale des transports terrestres et de la circulation (Dgtcc), l’Observatoire de la fluidité des transports (Oft), la Fédération des entreprises de dépannage de Côte d’Ivoire (Fedci) et le district autonome d’Abidjan, ces prix ne sont pas immuables, à en croire les patrons des sociétés. Qui n’hésitent pas, en cas de demande, à accorder des remises à des usagers.

Ils en appellent à une subvention de l’État pour le renouvellement du parc des dépanneuses.



Le 19/08/21 à 14:22
modifié 19/08/21 à 14:22