Olo Sib Palé (auteur de ‘‘Au cœur d’une administration douanière africaine’’) :« La douane est vue sous un prisme déformant qui n’est pas révélateur de la réalité »

Olo Sib Palé (auteur de ‘‘Au cœur d’une administration douanière africaine’’)
Olo Sib Palé (auteur de ‘‘Au cœur d’une administration douanière africaine’’)
Olo Sib Palé (auteur de ‘‘Au cœur d’une administration douanière africaine’’)

Olo Sib Palé (auteur de ‘‘Au cœur d’une administration douanière africaine’’) :« La douane est vue sous un prisme déformant qui n’est pas révélateur de la réalité »

Administrateur en chef de service financier et actuellement représentant de la Côte d’Ivoire à l’Organisation mondiale des douanes (Omd) à Bruxelles, l’auteur, à travers cette œuvre, invite à la découverte de cette administration centenaire.
Vous venez de publier une œuvre intitulée ‘’Au cœur d’une administration douanière africaine’’. Qu’est-ce qui a motivé cette publication ?

L’écriture de ce livre répond à un souci documentaire et informatif. Depuis le livre ‘’Histoire des douanes ivoiriennes 1889-1989’’, écrit par le colonel André Doulourou et Alain Vitaux en 1990, il n’y a plus eu de publication sur la douane. Cet ouvrage est donc le deuxième consacré à cette administration et constitue ma modeste contribution à l’écriture de l’histoire des douanes ivoiriennes. Informatif, il se veut aussi technique, puisqu’il présente au lecteur la douane dans son organisation, son fonctionnement et ses réalités.

Quels sont les axes autour desquels tourne le livre ?

D’abord, le livre présente la douane en tant qu’administration publique chargée de missions spécifiques aux frontières et à l’intérieur du pays. Ensuite, il présente l’activité douanière sous l’angle de la réglementation et des procédures, sans omettre les défis actuels liés à l’avènement des technologies numériques, notamment les chaînes de blocs, l’intelligence artificielle et l’analyse des données. Enfin, il aborde les aspects liés au personnel que sont la formation, les pouvoirs et les obligations qui s’attachent à la fonction douanière. Une partie de l’ouvrage est consacrée au management des services douaniers et passe en revue les 8+1 défis du ma-nager douanier. Le regard du public est aussi analysé.

Qu’en est-il de la perception du public ?

Le public a un regard teinté d’ambivalence sur la douane qui est admirée tout en étant décriée. Cet aspect est pris en compte dans le livre qui essaie d’en expliquer les fondements. La question de la corruption, très souvent attachée à l’image de la douane, n’est pas passée sous silence. Le phénomène y est abordé de façon holistique. Il faut se résoudre à accepter que sur la question, la douane est vue sous un prisme déformant qui n’est pas révélateur de la réalité.

Quel regard portez-vous sur l’évolution de la douane depuis la période coloniale à nos jours ? La douane ivoirienne a fait un bond qualitatif depuis la période coloniale à ce jour. Contrairement à bien d’administrations publiques dont les usagers sont nostalgiques des services de l’époque coloniale, la douane a bien évolué, s’améliorant avec le temps et continue d’ailleurs de se moderniser. Elle s’est fortement informatisée et applique des techniques modernes de ciblage et d’analyse du risque qui impactent positivement ses résultats. De nombreux ajustements, dont les responsables douaniers sont conscients, restent à faire, et ils s’y emploient.

Que proposez-vous concrètement pour une douane beaucoup plus efficace ?

Pour une douane plus efficace, nous mettons en relief un certain nombre de leviers sur lesquels s’appuyer. En résumé, il s’agit notamment des questions liées à l’informatisation des procédures, à la sécurisation de la prise en charge des marchandises, à la maîtrise des régimes suspensifs, au recrutement et à la formation.

Dans votre livre, vous présentez la douane comme un maillon important dans le développement des États. Comment opère-t-elle ?

La douane est une administration publique qui est chargée d’appliquer aux frontières les mesures prises par les États pour contrôler le mouvement transfrontalier des marchandises et des voyageurs. Ce qui en fait un maillon important du développement d’un pays. Cela se traduit dans sa mission fiscale qui consiste à collecter les droits et taxes à l’exportation ou à l’importation des marchandises, à fournir à l’État les moyens de son fonctionnement. Concernant sa mission économique qui consiste à protéger et à encourager l’entreprise locale, la douane lutte contre les importations illicites de marchandises et met en œuvre les régimes économiques qui permettent aux opérateurs économiques d’importer, de transformer et de réexporter leurs marchandises sans payer de droits et taxes. Telles sont les principales missions de la douane qui contribuent au développement des États.

Vous parlez de missions principales, en existe-t-il d’autres ?

Il existe une importante mission d’assistance à certaines administrations de par le positionnement de la douane aux entrées et sorties des États et qui consiste à protéger les végétaux, la faune et les biens culturels ainsi qu’à participer à la sécurité et à la santé des populations, par le concours qu’elle apporte aux organismes en charge de ces questions.

Malgré cette importance, comment expliquez-vous que les citoyens rechignent à collaborer avec la douane qu’elle juge importune et seulement portée sur les recettes ?

Cela dénote un manque d’information de la part des populations aux yeux desquelles la douane est un trouble-fête, un obstacle à l’acquisition facile de biens étrangers. Ce que ces populations devraient savoir, c’est que la douane est un service public qui ne crée pas du droit mais applique les politiques définies par les pouvoirs publics.

Tout citoyen soucieux du développement de son pays ne devrait pas rechigner à collaborer avec la douane qui n’est qu’un démembrement de l’État, chargée d’assurer la part de mission régalienne qui lui est dévolue par le Code des douanes et les conventions internationales dont la Côte d’Ivoire est partie. Le fait que la douane soit portée sur les recettes est une volonté politique qui s’explique par le faible niveau de maturité de notre économie. D’ailleurs, la fiscalité intérieure a pris le pas ces dernières années sur les recettes douanières.

Cette réaction ne se justifie-t-elle pas par le fait que la corruption est automatiquement attachée à l’image de la douane ?

Ce sont des préjugés qui ne sont pas très révélateurs de la réalité. Ce que les populations oublient, c’est qu’en tant qu’administration financière, la douane dispose de mécanismes légaux qui permettent au douanier de vivre décemment. La réussite sociale du douanier n’est donc pas forcément le fruit de la corruption. Comme dans toute administration, il peut y avoir des brebis galeuses. Mais la corruption au sein des douanes n’a pas l’ampleur qu’on lui donne. En Côte d’Ivoire, vivent environ vingt-six millions d’habitants dont plus de la moitié, la main sur le cœur, vous dira connaître un douanier riche. A moins qu’il ne s’agisse d’un seul et même noyau d’individus, la douane a un effectif de moins de cinq mille personnes dont de nombreux agents vivent très modestement. Les préjugés sont en train d’être dilués car de plus en plus de gens reconnaissent et saluent les efforts de la douane.

Qu’est-ce qui vous fonde à affirmer que les préjugés se diluent ?

J’en veux pour preuve les résultats d’une récente enquête d’Afrobarometer (2019) sur la perception de la corruption par les Ivoiriens qui ne met pas particulièrement à l’index la douane. Cela est à mettre à l’actif du directeur général des Douanes, le général Da Pierre Alphonse, qui, avec le soutien de sa hiérarchie, promeut l’intégrité à travers sa vision d’une « douane vertueuse » et mène d’intenses campagnes de sensibilisation contre la corruption. Il faut se résoudre à accepter que sur la question, la douane est vue sous un prisme déformant qui n’est pas révélateur de la réalité.

La douane ivoirienne dispose-t-elle de toutes les technologies modernes pour lutter contre la fraude ?

Je puis vous l’assurer. La douane ivoirienne est fortement informatisée et dispose de scanners modernes à ses principales frontières. De plus, elle utilise une analyse automatisée des risques pour le ciblage des marchandises à contrôler. Il y a toutefois des axes de progression à souligner, en rapport avec l’usage de la cynotechnie et des technologies émergentes telles que l’analyse des données, l’intelligence artificielle, la reconnaissance faciale et les drones. Ce sont des technologies à notre portée qui s’imposeront à nous en fonction de l’évolution des exigences conjoncturelles.

Peut-on donc rêver d’une douane ivoirienne à la dimension internationale ?

Je ne sais pas précisément ce que recouvre l’expression « dimension internationale ». Si elle fait référence à l’application uniforme du tarif, des régimes douaniers et des procédures, je puis vous affirmer que la douane ivoirienne est aux normes internationales. Membre de l’Organisation mondiale des douanes depuis septembre 1963, la Côte d’Ivoire a adhéré à la plupart des conventions de l’Omd dont la Convention internationale sur le Système harmonisé de désignation et de codification des marchandises et la Convention internationale pour la simplification et l’harmonisation des régimes douaniers (révisée) dite Convention de Kyoto révisée et qui fournissent un ensemble de normes et procédures douanières visant à faciliter le commerce international légitime et les contrôles douaniers.

Quel est l’effet principal que vous recherchez à travers ce livre?

Je voudrais avant tout vous remercier pour l’intérêt que vous portez à ma publication en me permettant de m’adresser à vos lecteurs et saisir cette opportunité pour exprimer ma gratitude au général Issa Coulibaly, ancien directeur général des douanes et actuel ministre-gouverneur du district autonome des Savanes, qui a bien voulu préfacer le livre. J’espère que le lecteur y découvrira un peu mieux la douane, cette administration dont tout le monde parle sans la connaître véritablement.

INTERVIEW RÉALISÉE PAR SERGES N’GUESSANT