L'éditorial de Venance Konan : Mariage d’Africain

Un polygame avec ses femmes. (DR)
Un polygame avec ses femmes. (DR)
Un polygame avec ses femmes. (DR)

L'éditorial de Venance Konan : Mariage d’Africain

Le 02/07/21 à 09:44
modifié 02/07/21 à 09:44
« Une femme ne peut pas faire comme son mari. Son nom va être gâté. Elle doit donner le bon exemple aux enfants. Elle est obligée de rester au foyer. La femme n’a pas de joie dans son foyer. Si j’avais su, si je pouvais renaître, j’irais me faire bonne sœur à Moossou. »

Non, ce n’est pas Simone de Moossou qui parle de son ménage avec Laurent, mais une certaine Odette, mariée depuis 19 ans, qui parlait dans une enquête publiée le 4 mai 1975 dans l’hebdomadaire Ivoire Dimanche aujourd’hui disparu.

C’est le sociologue Abdou Touré qui cite cet article dans son ouvrage « La civilisation quotidienne en Côte d’Ivoire (procès d’occidentalisation) » paru aux éditions Kartala en 1982.

A cette époque, en 1975, devant les infidélités notoires des hommes et le phénomène des maîtresses, des rumeurs faisaient croire que l’État voulait revenir sur la loi d’octobre 1964 qui institue la monogamie.

Ivoire Dimanche avait alors titré « Polygamie : rien que des faux bruits ». Et la présidente de l’Association des Femmes Ivoiriennes (AFI), qui était une section du parti unique d’alors, avait publié un communiqué dans lequel elle affirmait ceci: « Il n’en a jamais été question, ni aujourd’hui, ni demain, ni après-demain. L’AFI n’a pas l’intention de revenir sur la loi de suppression de la polygamie. Nous affirmons qu’il ne nous viendrait jamais à l’esprit de la faire rétablir. »

Fraternité Matin pour sa part avait écrit le 17 mars 1978 que « depuis octobre 1964, la Côte d’Ivoire, consciente de sa lancée vers le progrès et le modernisme a institué un système familial lui donnant toutes les chances de réussir cet objectif : la famille restreinte, monogamique. » Et le sociologue de faire ce commentaire : « Mais les lois les plus justes ne s’imposent mentalement aux individus qu’après une période d’habituation relativement longue, à moins qu’elles ne viennent entériner des conduites largement répandues. Pour la loi d’octobre 1964, il semble qu’une réaction de rejet, ou en tout cas une résistance, se manifeste quant à son intériorisation effective ».

La loi a été votée en 1964, et nous sommes en 2021, soit 57 ans après. Avons-nous tous intériorisé cette loi ? Disons que certains oui, et d’autres non. Si le mariage civil polygamique est interdit par la loi, ils sont cependant nombreux, ceux qui ont contourné cela en contractant ce que l’on appelle un mariage traditionnel ou religieux, ou tout simplement en entretenant une ou des maîtresses régulières, ou en créant des familles parallèles.

J’ai connu un homme qui était marié à une Européenne. Elle lui avait donné deux enfants. Mais à sa mort, on découvrit qu’il avait 19 autres enfants de plusieurs femmes. La polygamie est parfaitement acceptée par la plupart de nos traditions et religions et elle est monnaie courante dans nos campagnes où parfois seul le mariage traditionnel a de la valeur. Elle est si bien acceptée par la société ivoirienne qu’un Président de la République peut s’afficher avec une maîtresse ou contracter un « second mariage traditionnel » sans que personne ne crie au scandale.

Sauf lorsqu’il humilie publiquement l’épouse légitime. Les épouses légitimes connaissent parfois l’existence de ces concurrentes et les tolèrent malgré elles, parce que la société ivoirienne les accepte et aussi parce que certaines femmes se disent que hors du mariage, elles ne sont plus rien. Mais les femmes qui refusent ce genre de situation sont tout aussi nombreuses et les maris infidèles sont obligés d’utiliser mille ruses pour ne pas se faire attraper.

De temps à autre, le débat sur le rétablissement de la polygamie resurgit, et la plupart du temps, ce sont des femmes qui le demandent. L’un des arguments (faux) est qu’il y aurait plus de femmes que d’hommes dans notre pays et que la polygamie serait la seule façon de permettre à toutes les femmes de goûter à la joie du mariage. Les femmes qui réclament cela sont en réalité des maîtresses qui cherchent à sortir de leur clandestinité, et les hommes qui les soutiennent sont tout simplement fatigués de mentir.

Pour nous dédouaner, nous affirmons que l’infidélité ou les « petites femmes », pour parler comme le « Woody », ne sont pas des spécificités africaines et que l’ancien Président français François Mitterrand entretenait bien une seconde famille dans un Palais de la République.

Feu le Président américain John Kennedy était aussi très célèbre pour son grand appétit sexuel que son épouse seule ne pouvait satisfaire. De temps à autre, des journaux nous apprennent également que des têtes couronnées d’Europe ont des enfants cachés. Que dire aussi de Dominique Strauss-Kahn, l’ancien directeur du Fonds monétaire international ?

La différence réside peut-être dans le fait que là-bas, tout est fait pour cacher les maîtresses, parce que la honte est plutôt sur les maris infidèles, alors qu’ici, c’est la femme trompée qui doit porter sa croix toute seule pendant que le mari volage peut se bomber le torse et s’exhiber avec la concubine.


Le 02/07/21 à 09:44
modifié 02/07/21 à 09:44