Lutte contre le travail des enfants : 10 ans de prison ferme pour 10 trafiquants

Le trafic illicite de migrants, la traite des personnes et la traite des enfants étaient les principaux chefs d’accusation. (Photo : DR)
Le trafic illicite de migrants, la traite des personnes et la traite des enfants étaient les principaux chefs d’accusation. (Photo : DR)
Le trafic illicite de migrants, la traite des personnes et la traite des enfants étaient les principaux chefs d’accusation. (Photo : DR)

Lutte contre le travail des enfants : 10 ans de prison ferme pour 10 trafiquants

Le 02/07/21 à 08:19
modifié 02/07/21 à 08:19
Le tribunal en son audience correctionnelle a rendu sa décision le 30 juin à Bouna à l’encontre de personnes de nationalité burkinabé interceptées par la police à un barrage à l’entrée de Doropo, dont le chef-lieu est Bouna.
La salle d’audience du tribunal de Bouna était bondée le 30 juin. Un procès inhabituel s’y déroulait. Il s’agit d’une audience correctionnelle portant sur le trafic illicite de migrants, la traite de personnes et celle des enfants.

Parmi les 30 personnes poursuivies, 10 ont été condamnées à 10 ans d’emprisonnement ferme, 5 millions de F Cfa d’amende, 5 ans d’interdiction de paraitre sur le territoire national.

Sont concernées, entre autres, par cette condamnation, Nikiema olivier, chauffeur; Sawadogo Mamadi, 29 ans, planteur; Zallé Zakaria, 30 ans cultivateur; Oueda Adama, 21 ans. Une audience qui s’est déroulée sous haute surveillance de la police, de la gendarmerie et des gardes pénitentiaires. Les faits qui ont conduit à l’arrestation de ces personnes : le 24 avril, un mini car de la compagnie Zdt a été intercepté à l’entrée de Doropo, à un barrage, par des éléments du commissariat de police de Bouna. Ce véhicule transportait 40 passagers d’origine burkinabè.

Un mois plus tard, soit dans la nuit du 26 au 27 mai, toujours au même endroit, un mini car de la même compagnie Zdt a été intercepté avec à bord, 25 personnes dont 9 mineurs.

Les deux convois transportaient des enfants de 13 à 17 ans. Et ceux-ci étaient destinés à travailler dans des plantations. Les mineurs ont été entendus par les policiers et refoulés par la suite à la frontière pour rejoindre leurs pays d’origine. Il ressort de ce procès que des personnes majeures ont été recrutées pour les faire travailler dans des conditions difficiles.

Il est aussi reproché à des prévenus en provenance du Burkina Faso (Kaya, Ouagadougou, Gawa...), d’avoir traversé la frontière terrestre alors qu’elle est fermée en raison des mesures prises à cause de la maladie à coronavirus. A ces personnes, il est reproché la mise en danger d’autrui. Car elles peuvent être une source de contamination.

En effet, elles ne possèdent aucun document prouvant qu’elles ont fait un test de Covid.

A la barre, Nikiema olivier, conducteur du minicar, Kindo Dramane, Ouedraogo Souleymane, Sawadogo Mamadi ont nié les faits qui leur sont reprochés. Ouedrago Souleymane a relevé qu’il ne savait pas que tous ceux qu’il transportait étaient majoritairement de nationalité burkinabé. Car il n’a pas pris le temps de vérifier leur identité. Nikiema olivier a nié le fait d’avoir transporté 40 personnes à bord du mini car.

Selon lui, les passagers (enfants) étaient au nombre de 26. Certains ont indiqué dans un français approximatif qu’ils se rendaient chez des parents à Yakassé- Attobrou, Adzopé, pour les aider dans des plantations. D’autres avaient de la peine à dévoiler leur destination.

Ce véhicule a servi à transporter des mineurs destinés à exploitation dans des plantations de cacao à Adzopé. (Photo : DR)
Ce véhicule a servi à transporter des mineurs destinés à exploitation dans des plantations de cacao à Adzopé. (Photo : DR)



Le substitut résidant du procureur de la République près la section du tribunal de Bouna, Damoi Edgard, dira que pendant l’enquête préliminaire, Sawadogo Mamadi a confié que les passagers avaient au préalable été regroupés avant que le véhicule ne les prenne à Doropo.

Yameogo Moussa dit avoir payé 20.000 F à un syndicaliste à la gare de Doropo pour embarquer alors que Nikiema olivier affirme que le tarif Doropo-Adzopé est de 10.000 F. Au cours du procès, les prévenus ont demandé pardon au tribunal pour leur relaxe.

Le substitut résidant du procureur, Damoi Edgar, dans son réquisitoire, a affirmé que les mineurs qui étaient à bord du minicar ont déclaré qu’ils venaient travailler dans des plantations à Adzopé, Soubré, Abengourou. Pour lui, les faits sont établis. Il s’agit d’un réseau de personnes.

Une fois que les enfants viennent en Côte d’Ivoire en provenance du Burkina Faso, ils sont convoyés jusqu’ à Doropo et conduits par la compagnie Zdt à leur destination finale.

C’est une organisation qui est mise en place. Dans les déclarations de certains passagers qui ne sont pas poursuivis pour trafic illicite et traite de personnes, poursuit le substitut, ils disent avoir payé 50.000 F à un convoyeur. Il reste convaincu que des personnes, depuis le Burkina Faso, organisent le trafic des migrants. Car certains payent d’avance.

Ce montant les couvre jusqu’à la destination finale. Il s’agit de faire entrer en Côte d’Ivoire des personnes à des fins connues. Pourquoi les transporteurs n’ont-ils pas refusé de convoyer les enfants ?

Selon lui, tout cela participe à former une courroie de transmission entre demandeurs et acquéreurs de la main-d’œuvre. Kiendrebeogo Pateneba, un prévenu, a fait le voyage avec un mineur sans une autorisation authentifiée. Il n’a pas nié cela mais affirme qu’il devait le conduire dans une famille.

En plus des 10 ans requis contre 10 accusés, le substitut du procureur, a demandé le retrait d’agrément de transport au propriétaire de cette compagnie. Le substitut du procureur a été suivi par le président du tribunal, Kohou Fréderic. Il a été ordonné la confiscation des véhicules ayant servi au convoyage des personnes, la destruction des documents de voyage.

Ceux qui étaient détenus après leur arrestation, pour avoir franchi uniquement la frontière terrestre ivoirienne ont recouvré la liberté. Seulement, Ils devront retourner au Burkina Faso.

Signalons que les prévenus sont arrivés par vagues successives à bord du véhicule de la police locale. Des personnes ont suivi le déroulement du procès derrière la clôture de la section de tribunal grâce un haut-parleur en dépit des coupures d’électricité.

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On traverse la frontière ivoiro-burkinabè avec des tricycles

J’ai emprunté un tricycle pour traverser la frontière ivoiro-burkinabé en passant par des plantations pour me rendre à Doropo ». Cette phrase est constamment revenue tout au long de ce procès dans les réponses des prévenus aux questions de Kohou Frédéric, président de cette séance publique.

C’est-à-dire une fois parvenue à la frontière ivoiro-burkinabé, ils l’ont traversée, dira à la barre, Ilboudo Augustin 22 ans, cultivateur vivant au Burkina Faso pour ne citer que ce dernier. C’est par ce moyen de transport qu’ils ont eu accès à la Côte d’Ivoire pour la plupart de ceux qui ont contourné la mesure de fermeture des frontières terrestres.

Seulement, ils n’ont pas révélé l’identité des propriétaires ou conducteurs de ces engins. Zio Balé Sambo, 32 ans et planteur confie avoir payé 5000 FCfa à un conducteur de tricycle pour se rendre à Doropo.

Toutefois, il est bon de préciser que tous ceux à qui, il était uniquement reproché d’avoir enfreint les dispositions de la fermeture de la frontière terrestre, ont recouvré la liberté. Certains ont affirmé avoir payé 50.000 F Cfa comme frais de transport du Burkina Faso à la Côte d’Ivoire.

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L’avocat va interjeter appel

Me Touré Zakaria, l’avocat de certains accusés, non satisfait de la décision du tribunal en son audience correctionnelle, a décidé de former bientôt un recours devant la Cour d’appel contre la décision de condamnation desdits prévenus.

« Je ferai appel de cette décision », a-t-il assené à l’issue du procès. Il a plaidé non coupable vu que ces derniers ne font pas de la traite des enfants mais jouent uniquement leur rôle de transporteurs. « Ce sont de simples transporteurs », dira-t-il.

Pour lui, les condamnés ne font pas partie d’un réseau de trafiquants. L’avocat a relevé que l’audition des enfants lors de l’enquête préliminaire est insuffisante. Des informations complémentaires auraient été intéressantes. Car l’enquête préliminaire est une étape d’informations, de renseignements.

Pour l’avocat, de manière générale, si des personnes viennent du Burkina Faso pour s’installer en Côte d’Ivoire, c’est qu’elles sont à la recherche d’un mieux-être. Cette situation est comparable à des Ivoiriens qui rêvent d’aller en Europe en vue d’une vie meilleure. Surtout si l’on a constaté qu’une personne qui s’y est rendue est devenue prospère.

Elle devient pour elles un modèle à imiter. « La Côte d’Ivoire attire. Ne l’oublions pas », insiste-t-il.

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Le substitut du procureur Damoi Edgar : “Faire en sorte que le cacao ne soit pas le fruit du travail des enfants”

Damoi Edgard, substitut du procureur près la section de tribunal de Bouna. (Photo : DR)
Damoi Edgard, substitut du procureur près la section de tribunal de Bouna. (Photo : DR)



Après l’audience, le substitut résident du procureur de la République près la section de tribunal de Bouna a animé une conférence de presse pour se prononcer sur ce procès. Qui s’inscrit dans la démarche logique de sauver l’économie ivoirienne dont le cacao est l’un des piliers.

A travers cette phase répressive, « il s’agit de faire en sorte que le cacao ne soit jamais le fruit du travail des enfants. En sauvant notre économie, nous sauvons la vie de nos enfants. Les procès de ce genre ont eu lieu à Abidjan, Soubré, Abengourou. Ils auront lieu aussi dans d’autres juridictions. Désormais, c’est la tolérance zéro pour tous ceux qui commettent des infractions liées à la traite et au travail des enfants ».

Ainsi, s’agissant du propriétaire des véhicules ayant servi au convoyage des enfants, Damoi Edgar a indiqué que son identité est connue. Bientôt, des poursuites seront engagées contre lui. « La peine de 10 ans prononcée par le tribunal à Bouna est le minimum. C’est une peine exemplaire. Ce procès est l’aboutissement de 10 années de travail en arrière », a-t-il souligné.

Selon lui, le gouvernement, à travers le ministère de la Justice et des Droits de l’homme, a fait de la traite des personnes et des enfants son cheval de bataille.

De 2010 à 2018, plusieurs lois interdisant la traite des personnes, les pires formes du travail des enfants, le trafic illicite de migrants ont été adoptés. Le code pénal également incrimine les travaux dangereux pour les enfants et la réduction d’autrui à l’esclavage. Selon lui, tout cela constitue un vivier permettant aux magistrats de réprimer sans complaisance les auteurs des infractions.

« Je salue toutes les initiatives concrètes de surveillance et de sensibilisation du Cns sur le terrain, le ministère de la Justice et des Droits de l’homme fait partie de ce comité. La phase de sensibilisation a constitué à attirer l’attention des populations sur l’ampleur du phénomène et les graves peines encourues pour quiconque s’adonnerait à ces actes », dira-t-il. L’on est de plain-pied dans la phase de répression.

En 2019, le ministère de la Justice a produit une circulaire à l’attention des tribunaux de première instance et des sections pour l’application de lois en la matière.

« La justice a rompu avec l’impunité. La justice a changé de visage. La place des enfants est à l’école et non dans les sites d’orpaillage et les carrières. Nous avons accordé dix ans à la sensibilisation. C’est beaucoup », a-t-il ajouté.

S’agissant des forces de l’ordre, le substitut du procureur a relevé que le jour où certains seront impliqués dans cette situation, la rigueur de la loi leur sera appliquée.

Damoi Edgar a souligné que Bouna est une plaque tournante du trafic des migrants. Mais les efforts visant à mettre hors d’état de nuire les auteurs vont se poursuivre.

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Un signal aux trafiquants

Coulibaly ibrahim, directeur de la communication du Cns représentant la présidente du comité, Dominique Ouattara. (Photo : DR)
Coulibaly ibrahim, directeur de la communication du Cns représentant la présidente du comité, Dominique Ouattara. (Photo : DR)



Le Comité national de surveillance des actions de lutte contre la traite, l’exploitation et le travail des enfants (Cns) par la voie de son directeur de la communication, Coulibaly Ibrahim, a décidé d’allier la sensibilisation et la répression.

Pour lui, ce procès de Bouna est un signal fort à toutes ces personnes qui voudraient s’adonner à de tels actes interdits par la loi. Un signal pour les dissuader d’emprunter cette voie.

« Ainsi les actions vont s’intensifier. Gendarmes et policiers veilleront au grain dans les véhicules de transport pendant les contrôles. Sauver la vie des enfants est une ferme volonté de la Première dame, Dominique Ouattara. En dépit de la phase de répression, elle poursuivra la sensibilisation. La présidente du Cns s’est déjà rendue dans les pays limitrophes où, dans son plaidoyer pour la cause des enfants, elle a mis en avant cette problématique ».

Selon lui, la présidente du Cns Dominique Ouattara qu’il représente au cours de cette mission à Bouna, a largement mené des campagnes de sensibilisation tant en Côte d’Ivoire qu’à l’étranger. « Les magistrats ont des outils juridiques pour faire leur travail sur cette question avec l’existence de lois interdisant ce phénomène. Car il y va de l’avenir des enfants et de la vitalité de notre économie », a-t-il indiqué.

Le directeur de la communication du Cns salue, l’excellence des relations de coopération de la Côte d’Ivoire avec les pays limitrophes. Dès qu’une telle situation se présente, ces pays ne font aucune difficulté lors du rapatriement des enfants dans leurs pays respectifs.

« Vu que l’axe Bondoukou-Bouna est une zone de transit, une antenne de la sous-direction de la police criminelle en charge de la lutte contre la traite des enfants a été installée à Bondoukou. Aujourd’hui, ce ne sont pas uniquement les policiers de cette sous-direction qui mènent des opérations. Leurs collègues chargés des contrôles de routine s’y attellent également et tout cela est à saluer. Cela atteste que le message est bien passé », a déclaré Coulibaly Ibrahim.

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Vigilance à observer à Doropo

Les prévenus avaient demandé la clémence du tribunal. (Photo : DR)
Les prévenus avaient demandé la clémence du tribunal. (Photo : DR)



A l’issue du procès portant sur le trafic illicite de migrants, la traite des personnes et des enfants, des observateurs ont confié que la commune de Doropo, au nord-est de la Côte d’Ivoire mérite une attention particulière.

Koné Awa, une commerçante, affirme que le chef-lieu de région Bouna, est situé à 97 km du Burkina Faso et à 74 km de Doropo. Pour elle, les forces de l’ordre doivent encore faire preuve de vigilance. Parce qu’en l’espace de deux mois, deux convois ont été interceptés à l’entrée de cette commune avec des enfants qui seront plus tard rapatriés dans leur pays d’origine. « C’est curieux. Et cela donne à réfléchir », ajoute-t-elle.

Un autre qui a assisté au procès a voulu garder l’anonymat pour des raisons de sécurité. Il précise qu’avec les attaques terroristes dans la zone de Téhini perpétrées ces derniers temps, il serait difficile pour les éventuels trafiquants d’enfants de passer par là. D’où le choix de Doropo devenu pour eux, la voie privilégiée. Car n’étant pas éloignée de la frontière du Burkina Faso.

Des dispositions particulières doivent être prises à cette frontière pour freiner le mouvement de ces personnes, propose-t-il. Surtout que la mesure de fermeture terrestre décidée dans le cadre de l’état d’urgence liée aux mesures de lutte contre la maladie à coronavirus est toujours en vigueur.

« Ces mesures doivent être respectées à la lettre aux frontières pour éviter une telle situation. J’en appelle à la vigilance de tous. Il y va de la santé de tous. Car c’est un moyen pour lutter contre la propagation de la pandémie. Doropo ne doit pas devenir un pôle de traite des enfants. La vigilance doit être accrue et des campagnes doivent s’accentuer dans cette zone. Je propose que des mesures particulières soient prises dans cette zone. Car nous ne voulons pas que l’image de la Côte d’Ivoire soit ternie par de tels actes », dira-t-il.

Avant d’ajouter : « Nous encourageons le Cns et les forces de l’ordre à maintenir la garde et les populations civiles de cette localité à s’inscrire résolument dans cette voie. Et prier les éventuels trafiquants à ne pas franchir les frontières terrestres. La pandémie existe toujours. La place des enfants ne se trouve pas dans les plantations d’hévéa, d’anacarde, de cacao ou de café. Doropo ne saurait être la plaque tournante de ce trafic illicite de migrants et de traite des enfants », renchérit Norbert Konan, un fonctionnaire.



Le 02/07/21 à 08:19
modifié 02/07/21 à 08:19