Dr Daniel Etounga-Manguelle. (DR)
Dr Daniel Etounga-Manguelle: ‘’Le moment est venu de nous interroger sur la manière dont nous avons acquis nos indépendances’’
L’essayiste camerounais livre dans son dernier ouvrage intitulé ‘’La politique est-elle une science ?’’ paru aux éditions du Cerap en collaboration avec l’Institut Delayam, une analyse profonde sur la manière dont la politique se pratique sur son continent. Il propose dans cet essai, objet de l’entretien par visioconférence qu’il nous accordé, une science politique africaine.
Un homme politique africain a affirmé que "la politique est une tontine en Afrique". Que voulait-il dire par tontine politique ?
La participation à une tontine est en soi une bonne chose, dans la mesure où c’est la manifestation active d’une solidarité qui doit animer le corps social dans son ensemble. Mais on ne peut pas étendre la tontine au domaine politique, dans lequel il sied davantage de parler de droits et de devoirs. Les citoyens doivent certes participer à la vie politique mais l’État doit assumer ses responsabilités régaliennes, qui visent toutes l’intérêt général des populations.
Pensez-vous que la politique africaine peut se faire sans son lot de violences et son manque d’efficacité auxquels on assiste ? Si oui, à quelles conditions ?
Oui bien sûr ! Mais cela ne s’accomplit pas par un coup de baguette magique. Pour créer les conditions optimales, il faut que les systèmes politiques en vigueur soient relativement consensuels et prennent en compte la diversité des acteurs. Dans cette configuration, le rôle que doit jouer un État moderne, dont la vocation est d’être impartial, est tout à fait critique. Car, c’est l’État qui crée les conditions du vivre-ensemble et doit s’assurer que non seulement personne ne reste sur le bord de la route, mais aussi que les plus forts n’écrasent pas systématiquement les plus faibles. Tout cela, vous le voyez relève de la dynamique sociétale qui doit veiller à préserver les équilibres.
Existe-t-il une science politique purement africaine ? Quelles seraient les différences avec les autres sciences politiques ?
Existe-t-il une science politique purement africaine ? Quelles seraient les différences avec les autres sciences politiques ?
A ma connaissance non ! Et mon dernier livre propose précisément de s’en donner, car vous voyez bien que depuis plus de soixante ans, nous naviguons à vue et chaque transition politique dans un pays se vit comme une catastrophe naturelle. Nous ne pouvons pas continuer à vivre dans une telle incertitude des lendemains politiques. Mais entendons-nous bien ! Il ne s’agit pas forcément de ré-inventer la roue ; il s’agit de se parler les yeux dans les yeux, de s’entendre pour choisir un chemin sur lequel nous devons continuer à cheminer ensemble sans heurts en assurant le progrès de nos sociétés et l’épanouissement de toutes leurs composantes sans aucun sectarisme clanique ou religieux.
Vous venez d’évoquer votre dernier livre. Il est intitulé ‘’La politique est-elle une science ?’’. Quelle est la quintessence de cet essai ?
Vous venez d’évoquer votre dernier livre. Il est intitulé ‘’La politique est-elle une science ?’’. Quelle est la quintessence de cet essai ?
Je souhaite amener les africains à réfléchir sur la situation politique de nos pays, et sur la place que les Africains occupent dans le concert des nations. Notre itinéraire au cours des cinq derniers siècles est-il satisfaisant au regard des potentialités de notre continent, tant en ressources naturelles qu’en ressources humaines ? Sommes-nous condamnés à être éternellement les derniers de la classe, alors que notre civilisation fut la première de toute ? La pandémie du coronavirus, qui remet en question toutes les certitudes, n’est-elle pas l’occasion que l’Afrique doit saisir pour s’émanciper de toutes les tutelles pesantes qui la maintiennent en hibernation ? Voilà quelques questions que je soulève dans ce livre.
Les systèmes politiques en place constituent-ils des freins au développement ?
Les systèmes politiques en place constituent-ils des freins au développement ?
Oui absolument ! Parce qu’ils ne sont prédictifs que d’une seule chose : la crise sociopolitique, quand arrivera l’heure de la passation du pouvoir en d’autres mains ! Dès lors, il n’y a pas de paix véritable, ni de planification sereine des activités économiques, car la gestion des États se fait à « l’emporte-caisse ». D’où un éternel recommencement qui amoindrit les chances des nouvelles générations.
D'aucuns pensent que le système de la Françafrique est toujours en vigueur. A qui profite-t-il ? Faut-il l’éradiquer ? Et Comment ?
D'aucuns pensent que le système de la Françafrique est toujours en vigueur. A qui profite-t-il ? Faut-il l’éradiquer ? Et Comment ?
(Rires !) Regardez-donc autour de nous et tirez vos propres conclusions ! Je crois, moi, que le moment est venu de nous interroger véritablement sur la manière dont nous avons acquis nos indépendances, en particulier pour ceux de nos pays qui évoluent dans la mouvance francophone. C’est à partir des constats que nous ferons ensemble, que nous devrons élaborer de nouvelles feuilles de route en ayant à l’esprit que seule une Afrique capable de parler d’une seule voix peut véritablement exister dans notre monde tel qu’il fonctionne aujourd’hui.
Que signifie le concept d’intérêt général ? Y a-t-il des personnes ou des entités, dans un pays, qui en ont exclusivement la charge ?
Que signifie le concept d’intérêt général ? Y a-t-il des personnes ou des entités, dans un pays, qui en ont exclusivement la charge ?
Le concept d’intérêt général traduit selon moi, le dépassement de son individualité, de son intérêt égoïste pour embrasser le bien-être de toutes les composantes du corps social pris dans son ensemble. Si les institutions prévoient que le citoyen donne le monopole de la violence à l’État, ce dernier doit en revanche lui garantir sa sécurité et lui apporter ce que j’ai appelé dans un autre de mes ouvrages ( Discours sur le Bonheur, propos sur l’insatiable quête de bien-être des humains , éditions Patrimoine ,Yaoundé) le « bonheur public », qui se rattache à la jouissance gratuite ou payante, d’un certain nombre d’infrastructures ou de services qui améliorent ses conditions d’existence (santé, éducation, justice, etc.), en tant que citoyen reconnu d’un pays donné. C’est cet État que l’on a parfois abusivement appelé « État-providence » qui en est le garant. Le rôle de l’individu ne s’efface pas pour autant puisque, comme vous le savez en dernière analyse, l’État c’est vous et moi en tant que contribuables.
On dit que les Africains sont sous-développés "historiquement". Est-ce parce que nous sommes entrés tard dans l'histoire" ? Ou est-ce parce qu'on n’a pas la culture du souvenir et que nous ignorons par conséquent notre propre histoire?
L’histoire de l’évolution des sociétés humaines établit clairement et indiscutablement que l’Homme africain est au début de l’histoire. Il ne saurait donc être question de quelque retard que ce soit, même si notre civilisation est hélas entrée en crise depuis de nombreux siècles. En revanche, il est bien vrai que nous avons perdu en cours de route, en raison de nombreux traumatismes subis, la culture du souvenir jusqu’à méconnaître totalement notre propre histoire. Aujourd’hui, Dieu merci, nous ouvrons les yeux et la redécouvrons avec bonheur, même si certains témoignages sont encore enfermés dans des musées à travers le monde.
Peut-on rattraper le temps perdu ? Les nouvelles technologies peuvent-elles nous y aider ?
On dit que les Africains sont sous-développés "historiquement". Est-ce parce que nous sommes entrés tard dans l'histoire" ? Ou est-ce parce qu'on n’a pas la culture du souvenir et que nous ignorons par conséquent notre propre histoire?
L’histoire de l’évolution des sociétés humaines établit clairement et indiscutablement que l’Homme africain est au début de l’histoire. Il ne saurait donc être question de quelque retard que ce soit, même si notre civilisation est hélas entrée en crise depuis de nombreux siècles. En revanche, il est bien vrai que nous avons perdu en cours de route, en raison de nombreux traumatismes subis, la culture du souvenir jusqu’à méconnaître totalement notre propre histoire. Aujourd’hui, Dieu merci, nous ouvrons les yeux et la redécouvrons avec bonheur, même si certains témoignages sont encore enfermés dans des musées à travers le monde.
Peut-on rattraper le temps perdu ? Les nouvelles technologies peuvent-elles nous y aider ?
Un adage bien connu dit bien que le temps perdu ne se rattrape pas ! D’où le gap que nous subissons aujourd’hui dans de nombreux domaines. Par contre si nous tirons le meilleur parti des nouvelles technologies, nous pouvons effectuer de grandes enjambées pour la conquête du futur qui appartient à tout le monde, et surtout pour amoindrir les effets négatifs des mauvaises habitudes que nous avons prises en matière de gestion des biens communs par exemple.
Justement d’où provient l’argent public ? A quoi sert-il ? A qui appartient- il ? Et qui doit le gérer ?
Votre question me renvoie à un autre questionnement auquel j’ai consacré un autre livre : « D’où vient l’argent des Blancs ? » Je dirais pour faire court que les deux, « l’argent public » et « l’argent des Blancs » émanent de la même source : la bonne gouvernance ! Mais plus sérieusement, vous savez bien que l’argent public est tout simplement l’argent du contribuable, c'est-à-dire vous et moi. Il sert à faire fonctionner les services publics et à réaliser les investissements publics au bénéfice de la société prise dans son ensemble (écoles, hôpitaux, routes, etc.) Sous le contrôle et la supervision de l’État, qui en est le gestionnaire.
Comment peut-on mettre fin à la corruption ?
Justement d’où provient l’argent public ? A quoi sert-il ? A qui appartient- il ? Et qui doit le gérer ?
Votre question me renvoie à un autre questionnement auquel j’ai consacré un autre livre : « D’où vient l’argent des Blancs ? » Je dirais pour faire court que les deux, « l’argent public » et « l’argent des Blancs » émanent de la même source : la bonne gouvernance ! Mais plus sérieusement, vous savez bien que l’argent public est tout simplement l’argent du contribuable, c'est-à-dire vous et moi. Il sert à faire fonctionner les services publics et à réaliser les investissements publics au bénéfice de la société prise dans son ensemble (écoles, hôpitaux, routes, etc.) Sous le contrôle et la supervision de l’État, qui en est le gestionnaire.
Comment peut-on mettre fin à la corruption ?
Ah M. Éhouman, vous abordez-là une question capitale ! Car aujourd’hui, nombre de nos pays dont celui dans lequel je suis né sont en totale perdition du fait de l’expansion de ce fléau dans presque toutes les couches de la société. Vous avez sans doute entendu parler du scandale crée autour des 180 milliards de francs réunis par l’État camerounais pour lutter contre la pandémie de la Covid-19 ? La justice à cette heure, en cherche encore les tenants et aboutissants. Alors vous me demandez comment mettre fin à la corruption ? Je dirais, comme La Palisse, qu’il faut déjà qu’au plus haut niveau de l’État, on veuille véritablement éradiquer le monstre. Si cette volonté existe, alors tout devient possible, à la condition que la classe dirigeante plaide par l’exemple et utilise tous les moyens légaux pour traquer la bête et la réduire à son plus faible niveau. La corruption en Afrique n’est pas une fatalité ; elle résulte du laissez-faire et du laissez aller de gens qui s’estiment être au-dessus des lois. Hélas pour nos pays, ils sont devenus tellement nombreux qu’on ne sait plus par quel bout prendre le problème.
Comment doit-on concevoir la bonne gouvernance ? Que suppose-t-elle en termes de responsabilité individuelle et collective ?
Quitte à vous paraître trop simpliste, je dirais que la bonne gouvernance est essentiellement celle qui s’exerce, en sachant qu’elle doit rendre compte au peuple (la collectivité), qui détient le pouvoir et qui lui a donné la mission d’agir. Parce que sur la base de cette simple notion, l’on est obligé de cultiver la transparence qui nous rend individuellement responsable de tous nos actes. C’est véritablement une question qui relève de l’éthique sociale qui a cours dans la cité et qui prédétermine le comportement des acteurs sociaux. C’est une affaire de philosophie politique.
Nous tendons vers la fin de cet entretien. Pour ce dernier livre, vous vous êtes fait accompagner dans l’édition par l’Institut Delayam à travers sa fondation éponyme et le Cerap. Pourquoi le choix de ces structures ivoiriennes ?
Comment doit-on concevoir la bonne gouvernance ? Que suppose-t-elle en termes de responsabilité individuelle et collective ?
Quitte à vous paraître trop simpliste, je dirais que la bonne gouvernance est essentiellement celle qui s’exerce, en sachant qu’elle doit rendre compte au peuple (la collectivité), qui détient le pouvoir et qui lui a donné la mission d’agir. Parce que sur la base de cette simple notion, l’on est obligé de cultiver la transparence qui nous rend individuellement responsable de tous nos actes. C’est véritablement une question qui relève de l’éthique sociale qui a cours dans la cité et qui prédétermine le comportement des acteurs sociaux. C’est une affaire de philosophie politique.
Nous tendons vers la fin de cet entretien. Pour ce dernier livre, vous vous êtes fait accompagner dans l’édition par l’Institut Delayam à travers sa fondation éponyme et le Cerap. Pourquoi le choix de ces structures ivoiriennes ?
J’ai eu l’immense bonheur de faire partie des membres fondateurs de l’Institut Delayam dont je partage totalement les idéaux, notamment en ce qui concerne la formation à la citoyenneté active. Mais j’avoue qu’à l’origine, surtout en écrivant cet ouvrage, je n’imaginais pas que l’Institut lui accorderait un intérêt particulier. Je dois donc dire toute ma gratitude vis-à-vis de la présidente de l’Institut Delaya, Anne-Marie Konan Payne qui, après la lecture de mon livre, a décidé qu’il serait digne de figurer dans la Collection S de l’institut. C’est un grand honneur auquel je suis très sensible, surtout que cet ouvrage est le tout premier de la collection. Quant au Cerap, le prestige et le professionnalisme de cette grande maison d’édition qui a coédité les mémoires de très grands hommes politiques ivoiriens et africains me sont apparus comme la cerise sur le gâteau. Je ne peux donc que m’en réjouir.
Faudrait- il s’attendre à d’autres fruits de ce partenariat ?
Faudrait- il s’attendre à d’autres fruits de ce partenariat ?
C’est bien évidemment le vœu que je formule, même si je sais combien ces deux partenaires sont sélectifs. Moi, j’espère en tout cas continuer de creuser le sillon.