École pour tous/Gagnoa et ses campements : Ces écoliers qui parcourent plus de 10 km par jour

Pour acquérir le savoir, ces enfants sont obligés de parcourir, à pieds, plus de 10 km par jour. (Photo : Casimir Djézou)
Pour acquérir le savoir, ces enfants sont obligés de parcourir, à pieds, plus de 10 km par jour. (Photo : Casimir Djézou)
Pour acquérir le savoir, ces enfants sont obligés de parcourir, à pieds, plus de 10 km par jour. (Photo : Casimir Djézou)

École pour tous/Gagnoa et ses campements : Ces écoliers qui parcourent plus de 10 km par jour

Le 21/06/21 à 14:24
modifié 21/06/21 à 14:24
Les conditions d’études et de travail sont pénibles pour les élèves et leurs enseignants dans des campements des zones productrices de cacao à Gagnoa.
Ce 15 avril 2021, il n’y a pas beaucoup de monde à Amanikro, campement d’environ cinq cents âmes situé dans la sous-préfecture de Sérihio, dans le département de Gagnoa. Il a fortement plu dans la nuit et en pareille circonstance, la population, composée majoritairement d’agriculteurs, se déploie très tôt le matin dans les plantations pour les travaux champêtres.

Du fait du jeûne musulman, Zalé Aroubiata, son camarade de classe Dembélé Alassane, tous deux âgés de 11 ans et en classe de CM1, et leur cadet Bakayoko Ousmane, 8 ans, en classe de CE1, ont décidé de rester à l’école ce midi et de ne rentrer à la maison que le soir. Ils ont l’air épuisé, mais ils en ont l’habitude. Ils maintiendront le cap jusqu’à 17h 30 avant de rejoindre à pied leur campement, N’Dakonankro, situé à 5 km.

A Amanikro où ils se rendent chaque matin à l’école, ils n’ont aucun parent. Par conséquent, ils restent dans la cour de l’école à midi quand ils ne veulent pas parcourir quatre fois le trajet. En attendant la reprise à 14h 30 mn, ils se livrent à quelques jeux d’enfant...

Leurs petits camarades de N’Dakonankro qui ne sont pas en jeûne, quant à eux, sont rentrés à midi pour déjeuner. Ils reviendront à 14 h 30 avant de retourner à 17 h 30mn.

Situé au fond de la forêt tropicale, à une cinquantaine de kilomètres de Gagnoa, le campement d’Amanikro est entouré d’une dizaine de localités. Essentiellement des campements d’agriculteurs. Certains sont à plus de 5 km d’Amanikro, d’autres à moins que cela.

Et c’est dans ce campement central que la plupart des enfants viennent à l’école, faute d’établissement scolaire chez eux. Chaque matin, chaque midi et chaque soir, ils bravent la pluie et le soleil pour aller acquérir le savoir.

« Plus de la moitié de l’effectif total des élèves viennent des campements voisins. Chaque matin, ils parcourent de longues distances à pied pour être ici. Ceux de N’Dakonankro, par exemple, parcourent 20 km par jour. Le matin déjà, ils arrivent épuisés. Ils retournent à midi pour préparer et manger. Ils reviennent à 14h 30 pour suivre le cours de l’après-midi, avant de retourner une fois encore le soir, à la descente. Beaucoup ont du mal à suivre le rythme. Une fois en classe, ils commencent à dormir et ont du mal à suivre les cours. Évidemment, cela impacte négativement leurs résultats », déplore Louh Sahi, directeur de l’école. Selon lui, beaucoup d’enfants ont abandonné l’école à cause de ces difficultés.

L’EPP Amanikro est bâtie sur trois sites différents. Sur le premier site, il y a un bâtiment de trois classes offert par la fondation ‘’International Cocoa Initiative’’ (ICI). Les autres classes sont sur deux autres sites. Selon les habitants du campement, ce sont des magasins de cacao construits en banco qui ont été transformés en salles de classe, par la force des choses. Les enfants sont encadrés par six enseignants du primaire (dont une bénévole) et une enseignante de maternelle.

Pas de cantine scolaire

Pour le directeur de l’établissement, le calvaire de ces enfants aurait pu être atténué si la cantine scolaire fonctionnait correctement. Malheureusement, à l’EPP Amanikro, la cantine n’existe que de nom. « Ici, la cantine ouvre seulement 17 jours durant toute l’année scolaire. Nous recevons pour ces 17 jours, au total, 7 sacs de riz de 25 kg, 100 boîtes de sardine, 1 sac de soja, 22 litres d’huile. Et la direction départementale des cantines scolaires nous précise que c’est pour 17 jours. Autant dire qu’il n’y a pas de cantine ici », soutient-il.

Des campements sans école

Une salle de classe... Conditions de travail extrêmement difficiles. (Photo : Casimir Djézou)
Une salle de classe... Conditions de travail extrêmement difficiles. (Photo : Casimir Djézou)



Le calvaire des élèves de l’EPP Amanikro n’est pas un cas isolé. C’est tout le département de Gagnoa qui est touché par ce problème. Ce département faisant partie de la boucle du cacao, on y compte des centaines de campements. Particulièrement dans les sous-préfectures de Sérihio et de Galébré. Avec des populations très denses. Les écoles sont construites juste dans les gros villages.

Dans les campements où il y en a, très souvent, cela laisse à désirer : des hangars parfois croulants qui exposent les enseignants et leurs élèves au danger. C’est le cas à Krottakouassikro, dans la sous-préfecture de Galébré. Ici, le hangar qui sert de classe aux élèves de CM1 est dans un état piteux. La bâche qui sert de toiture est déchirée. Les branches de palmier qu’on y a ajouté comme renfort sont sèches. Il n’y a pas de mur sur les côtés. Juste quelques vieux contreplaqués qui ne jouent en réalité aucun rôle. Il y a des animaux domestiques dans le campement. Notamment des cabris et des chiens.

Cette classe de fortune est devenue leur lieu de réjouissance et de repos préférés. A peine les élèves descendent de l’école que les cabris et les chiens prennent leur place, jusqu’au lendemain matin, avant de leur céder à nouveau la salle. Inutile d’évoquer l'odeur qu’ils y laissent avant de s’en aller. « C’est difficile... C’est pénible. Quand il pleut, nous sommes obligés de tout arrêter. Ça coule. On ne peut pas s’y abriter... Ce n’est pas du tout intéressant », s’indigne le maître de CM1.

Malgré l’appui de la fondation ICI qui vient de doter ce gros campement d’un bâtiment de trois classes, le problème n’est pas totalement résolu. Il faut nécessairement réhabiliter le premier bâtiment de trois classes, en état de délabrement avancé. « Ici au moins, il y a un établissement. Que dire des dizaines d’autres où il n’y a rien du tout. Et dont les enfants sont obligés de se déplacer dans d’autres localités pour acquérir le savoir ? », s’interroge un habitant. Et il n’a pas tort...

En effet, dans les sous-préfectures de Sérihio et de Galébré, des centaines de campements ont des populations allant de trois-cents à cinq cents habitants. Mais faute d’établissement scolaire sur place, leurs enfants parcourent chaque jour plus de 10 km (aller-retour) pour se rendre à l’école dans des campements voisins. On peut citer, entre autres, Aklomiabla, Broukro, Dramanekro, Tanokro, Tégbékro, Bohoussouyaokro, chantier, Petit Katiola.

Le cri du cœur des parents

Dans ces campements, les parents se sentent abandonnés par l’État. Et les élus de la région. Pour eux, il est incompréhensible que les producteurs de cacao, les piliers de l’économie nationale, ne bénéficient pas du minimum en termes d’infrastructures socio-éducatives.

« S’il est vrai que le succès de la Côte d’Ivoire repose sur l’agriculture, je pense que les agriculteurs devraient bénéficier de certains avantages. Malheureusement, ce n’est pas le cas ici dans cette région. La plupart des localités où se produit le cacao n’ont ni école, ni même un centre de santé de premier contact, ni électricité, ni eau potable », fait remarquer le chef du village de Bohoussou-Yaokro.

Dans le même sens, Yao Kouakou Ferdinand, fils de la localité d’Aklomiabla, souhaite que l’État prenne en main la construction d’infrastructures éducatives et sanitaires dans les zones productrices de cacao. « Des campements de la région sont situés à plus de 20 km d’un centre de santé. Par conséquent, en cas d’urgence, telle qu’une blessure grave à la machette, une morsure de serpent, un enfant qui fait de la fièvre, une grande personne qui pique une crise, un cas d’accouchement, un accident, la personne est exposée à la mort », explique-t-il.

Avant de poursuivre : « Ici à Aklomiabla, nous avons déjà enregistré deux cas de décès de femmes en travail. Faute de moyens de locomotion pour les évacuer dans un centre de santé. Notre campement est situé à 12 km du village d’Onahio où se trouve le centre de santé. La route n’étant pas praticable, les véhicules n’arrivent pas ici. Tous les déplacements se font à moto, à vélo ou à pied. Comment placer une femme en travail sur une moto, la nuit, pour la conduire dans un centre de santé ? Cela est presque impossible... », explique-t-il.

Il en appelle à la solidarité de l’État. « Nous prions les autorités compétentes mais aussi les Ong et fondations, ainsi que toutes les personnes de bonne volonté de nous venir en aide. Nous souffrons terriblement ici. Nous produisons la richesse du pays, mais nous n’en bénéficions pas », regrette-t-il.

Des enseignants mal logés

Dans ce campement de Galébré, les enseignants trouvent insupportables, leurs conditions de vie et de travail. (Photo : Casimir Djézou)
Dans ce campement de Galébré, les enseignants trouvent insupportables, leurs conditions de vie et de travail. (Photo : Casimir Djézou)



Autre préoccupation, et non des moindres dans cette zone, c’est la question du logement des enseignants.

En effet, dans la plupart des campements où il y a des écoles, les logements d’enseignants laissent à désirer. A Krotta-Kouassikro, Amanikro, Bakaribougou, etc., les logements d’enseignants sont construits en terre battue.

« C’est compliqué tout ça. Pas d’électricité, pas d’eau courante, pas de réseau de téléphone, maison en terre battue, etc. Nous nous efforçons, mais j’avoue que c’est difficile de vivre dans ces conditions-là. Ici à Krotta-Kouassikro, certains de mes collaborateurs vivent chez des tuteurs. Ils logent dans une chambre et le tuteur et sa famille dans une ou deux autres chambres. Ils partagent le salon. Ils partagent les mêmes toilettes, les mêmes lampes tempêtes, les mêmes seaux d’eau que le tuteur, sa femme et ses enfants. Ils n’ont aucune intimité. Conséquence, quand un jeune enseignant arrive ici, il se sacrifie un ou deux ans, et dès qu’il a son rappel, il demande une affectation », affirme Koffi Kouassi, le directeur de l’EPP Krotta-Kouassikro.

A Amanikro, il y a quatre logements pour six enseignants. Deux enseignants se partagent le même logement. Pour cela, ils ne peuvent pas faire venir leurs familles. La cohabitation pourrait être difficile.

De notre envoyé spécial

.................................................................................................................

Plus de la moitié des enseignants de l’IEP Galébré sont en difficulté

Sylla Fodékaba, inspecteur de l’enseignement préscolaire et primaire de Galébré. (Photo : DR)
Sylla Fodékaba, inspecteur de l’enseignement préscolaire et primaire de Galébré. (Photo : DR)



Selon Sylla Fodékaba, inspecteur de l’enseignement préscolaire et primaire de Galébré, plus de la moitié des enseignants sous sa responsabilité vivent cette situation difficile. « Ici, à Galébré, les difficultés sont énormes. La grande majorité de nos enseignants se trouvent dans les campements. Des localités où véritablement il n’y a pas de route ni logement. Les campements sont tellement éloignés de la ville que les enseignants sont obligés d’y résider. Sur 125 enseignants sous ma responsabilité, il n’y a que 42 qui enseignent à Galébré. Les autres sont dans des campements », note-t-il.

Pour lui, l’État, à travers les conseils régionaux, devrait prendre à bras-le-corps ce problème, en aidant les enfants de « ces braves paysans » à étudier dans des conditions acceptables. « L’État a agi à Galébré ville, mais pas dans les campements pour l’instant. Trois écoles ont bénéficié du Programme présidentiel d’urgence (Ppu). A ce jour, plusieurs campements n’ont pas d’enseignants. Il faut aussi la construction d’un cadre sain, dans les villages ».

Selon lui, si des campements construisent eux-mêmes des écoles, l’État leur affectera des enseignants. Pourvu que les infrastructures soient disponibles. En termes d’effectifs, il a indiqué que pour l’année scolaire 2020-2021, l’inspection de l’enseignement préscolaire et primaire de Galébré compte 4968 élèves répartis dans 24 établissements scolaires. « Plus de trois quarts des écoliers sont dans les campements », souligne-t-il.

.................................................................................................................

Le soutien inestimable de la fondation ICI

Depuis quelques années, la Fondation ICI multiplie les actions en vue de remédier à cette situation chaotique. (Photo : DR)
Depuis quelques années, la Fondation ICI multiplie les actions en vue de remédier à cette situation chaotique. (Photo : DR)



La fondation ‘’International Cocoa Initiative’’ (ICI) est très présente dans la région du Gôh, particulièrement dans les sous-préfectures de Sérihio et Galébré. Elle y mène beaucoup d’actions humanitaires de grande envergure notamment en faveur de l’école.

A ce jour, elle y a déjà construit des dizaines de salles de classe et en a réhabilité des centaines. Des dizaines d’autres sont en cours de réalisation. Elle le fait quelquefois en partenariat avec d’autres structures telles que la Fondation Didier Drogba. Dans certains campements, la fondation ICI a offert des écoles de 6 classes.

Dans d’autres, elle a construit des bâtiments de trois classes. C’est le cas à Krottakouassikro, localité d’environ 500 habitants située dans la sous-préfecture de Galébré, où elle a offert, le 14 avril, un bâtiment de trois classes. Une action qui a été saluée à sa juste valeur par le préfet de région du Gôh, préfet du département de Gagnoa, Laciné Fofana, qui a présidé la cérémonie organisée à cet effet.

Selon Euphrasie Aka, sa directrice pays, cette fondation de droit suisse, créée en 2002 pour apporter sa contribution à la lutte contre le travail des enfants dans les plantations de cacao, exerce en Côte d’Ivoire depuis 2007. « Nous sommes présents dans toutes les zones de production du cacao, notamment dans environ 7500 localités. Nous travaillons avec une centaine de coopératives. Les producteurs de cacao directement impactés par nos interventions sont au nombre de 65 000 », précise-t-elle.

A en croire sa directrice pays, la fondation ICI a construit, à ce jour, 424 salles de classe, 20 logements d’enseignant, 22 cantines scolaires, 179 latrines en Côte d’Ivoire. Elle a aussi mis à disposition près de 7 000 jugements supplétifs pour les enfants qui n’ont pas été déclarés à l’administration dans les délais requis.

Une centaine de classes passerelles ont été également ouvertes pour les enfants précocement sortis du système éducatif. « A travers les classes passerelles, nous mettons les enfants précocement déscolarisés à niveau et en fonction de leurs performances, nous les réintégrons dans le système formel de l’éducation. A défaut, nous les conduisons en apprentissage, par rapport à ce qu’ils aiment et aux opportunités du milieu », souligne-t-elle.

A l’en croire, le budget de la Fondation ICI est en constante progression depuis quelques années. « Dans l’ensemble, nous recevons un financement annuel de près de 3 milliards pour nos interventions. ICI est financée par l’industrie chocolatière », affirme-t-elle. Membre actif du Comité national de surveillance des actions de lutte contre l’exploitation, la traite et le travail des enfants dirigés par la Première dame, Dominique Ouattara, cette fondation est aussi membre de la plateforme de partenariat public-privé initiée par le Conseil du café-cacao.

Pour la directrice pays de la fondation ICI, l’école étant la meilleure alternative au travail des enfants, sa structure concentre l’essentiel de ses actions à la construction, à la réhabilitation et à l’équipement des infrastructures socio-éducatives. Car, dira-t-elle, l’école est certes gratuite, mais si l’enfant doit parcourir 15 km chaque jour pour y aller, le problème n’est pas résolu.

« En matière de lutte contre le travail des enfants, la fondation ICI est l’un des partenaires privilégiés de l’État de Côte d’Ivoire. L’un ne mène pas une activité dans ce domaine sans y associer l’autre. Par exemple, la Première dame, à travers son cabinet, tient toujours compte des conseils de la fondation ICI pour mener ses activités. Nous lui apportons aussi bien un soutien technique, des orientations que des conseils avisés. En retour, l’engagement de la Première dame a beaucoup contribué à donner plus de légitimité à nos actions », affirme-t-elle.



Le 21/06/21 à 14:24
modifié 21/06/21 à 14:24