L’éditorial de Venance Konan : Barbarie et indifférence

La menace terroriste persiste
La menace terroriste persiste
La menace terroriste persiste

L’éditorial de Venance Konan : Barbarie et indifférence

Le 09/06/21 à 14:59
modifié 09/06/21 à 14:59
Entre cent trente et cent soixante morts au Burkina Faso. Bébés, enfants, femmes, hommes, malades, vieillards, tous massacrés en une nuit. Les forces de défense et de sécurité de ce pays qui n’étaient pas très loin sont cependant arrivées plus de trois heures après la tuerie. Elles ont constaté le massacre et sont reparties. Les assassins seraient revenus le lendemain piller ce qu’ils n’avaient pas pu la veille. La hiérarchie militaire a nié ce retour des tueurs, mais cela a-t-il une importance ?

Le même jour, se sont quatre-vingt-huit personnes qui sont massacrées au Nigeria, et quatorze au Mali. Le lundi dernier, c’est un de nos soldats qui est tombés sous les balles des djihadistes dans le septentrion de notre pays. Et c’est la troisième attaque en l’espace de quelques semaines. Il ne se passe désormais plus un jour sans que l’on ne massacre des innocentes personnes dans notre sous- région. Mali, Burkina Faso, Niger, Nigeria. Dans ce dernier pays, après les horreurs commises par les illuminés de Boko Haram, ce sont des bandits de grands chemins qui enlèvent des enfants, les torturent et les tuent pour obtenir des rançons.

C’est aussi dans ce pays que des jeunes femmes sont kidnappées, séquestrées et violées pour faire des enfants qui sont ensuite vendus à des parents qui ne peuvent pas enfanter. Qui peut dire le nombre exact de personnes assassinées par an dans nos différents pays par des hommes prétendant agir au nom de leur dieu ou simplement pour de l’argent ? Toutes ces horreurs rapportées quotidiennement sont en train de nous blaser. Elles commencent à nous laisser indifférents. On a suffisamment ironisé sur notre propension à nous émouvoir et à marcher pour les dizaines de morts en Europe plutôt que pour les centaines des nôtres qui tombent chaque jour. Cela fait longtemps que nous sommes les autres, mais jamais nous-mêmes. Nous étions Charlie, mais jamais Nigeria ou Mali ou Niger. On peut être Solhan ou Kafolo si vous y tenez, mais juste pour quelques heures. Gbagbo doit revenir et il est très important pour nous de savoir s’il le fait triomphalement ou discrètement, si Nady sera à ses côtés ou pas, et si Simone sera aussi à l’aéroport ou pas.

Au-delà de tout cela, nous devons mener une profonde réflexion sur notre situation. Comment quelques groupes de bandits analphabètes, fanatisés, armés de simples kalachnikovs, se déplaçant à moto, ont-ils réussi à déstabiliser autant de pays dans cette région, et à les menacer même de destruction totale ? Au Mali, en dehors de Bamako, la capitale, c’est l’insécurité presque partout. Il en sera bientôt de même pour le Niger, et le Burkina Faso. Bientôt ces pays seront désertés par tous les Européens et Asiatiques. Lorsqu’il n’y en aura plus à enlever pour demander des rançons, ce sera comme au Nigeria, pays considéré comme l’un des plus puissants d’Afrique.

On enlèvera tous ceux que l’on pourra, y compris les enfants. Au Nigeria, certains Etats fédérés sont tout simplement devenus totalement infréquentables. Bien sûr l’on nous parlera de guerres asymétriques. Mais l’on peut se demander comment, alors que les attaques sont concentrées dans des régions bien identifiées, l’on ne peut organiser des ripostes appropriées avec des hommes bien entraînés. Nos forces de sécurité sont-elles vraiment motivées psychologiquement et moralement pour lutter contre ces brigands ? Ne cherchent-elles pas plutôt à éviter de les affronter lorsqu’elles entendent qu’elles sévissent dans un endroit ? Ces hordes de tueurs qui se déplacent à motos s’approvisionnent bien en carburant et nourriture quelque part ! Pourquoi nos pays qui font face à la même menace ne se mettent-ils pas tous ensemble pour mener le combat ensemble ? L’union ne fait-elle pas la force ? Nos pays seront totalement désarticulés et invivables si nous n’y prenons garde. La Côte d’Ivoire est en grand danger. Si nous ne prenons pas les devants, nous sommes condamnés. Cela a commencé dans les autres pays par quelques attaques sporadiques. Il y a eu d’abord un mort. Puis deux, puis trois...

Aujourd’hui les morts se comptent par milliers dans trois pays au bord du gouffre, l’on compte aussi d’autres milliers de déplacés vivant dans la misère, et des millions de personnes qui vivent dans la peur chaque fois que la nuit tombe. Si nous ne nous préparons pas dès à présent à faire face à cette terrible menace, si nous n’innovons pas dans la réponse, si nous cultivons l’indifférence parce que nous nous croyons loin des champs de batailles, surtout si nous croyons que nous pouvons nous laisser corrompre par ces gens-là, parce que l’argent facile et rapide est devenu le dieu de bon nombre d’entre nous, nous serons bientôt en pleine barbarie.

La dernière attaque au Burkina Faso a eu lieu dans une zone aurifère où sévissent plusieurs orpailleurs. Ils ont d’ailleurs été les premiers tués par les assassins. Chez nous le parc de la Comoé et la zone où se sont déroulées les récentes attaques sont aussi infestés par les orpailleurs parmi lesquels se cachent des terroristes. Si nous ne traitons pas cette histoire d’orpaillage avec plus de sérieux, nous détruirons notre pays. Celui qui veut se laisser éblouir par l’éclat de l’or risque de ne plus avoir d’yeux pour le voir.

Il y a autour de nous des pays tels que l’Algérie, le Maroc, l’Egypte ou la Mauritanie qui ont réussi à juguler le terrorisme. Nous gagnerions à nous inspirer de leurs exemples dès à présent.

Venance Konan


Le 09/06/21 à 14:59
modifié 09/06/21 à 14:59