L’éditorial de Venance Konan : Gâchis et réhabilitation

Amenagement du boulevard lagunaire
Amenagement du boulevard lagunaire
Amenagement du boulevard lagunaire

L’éditorial de Venance Konan : Gâchis et réhabilitation

Le 05/06/21 à 02:01
modifié 05/06/21 à 02:01
Je m’étais toujours demandé ce que serait devenue la ville d’Abidjan si elle avait bâtie en Europe ou en Amérique. Et je m’étais toujours dit que ceux d’entre nous qui en avaient les moyens s’y seraient rendus régulièrement pour s’extasier devant cette merveille située au bord de la mer.

Ils auraient alors marché avec plaisir sur la corniche du bord de mer, comme ils le font sur la Promenade des Anglais à Nice ou sur la Croisette à Cannes, en France ; ils auraient admiré son réseau de lagunes comme ils le font à Venise en Italie ou à Bruges en Belgique, sa marina comme ils le font à Monaco ou dans n’importe quelle ville balnéaire d’Europe, seraient allés respirer de l’air pur en marchant ou en faisait du sport dans sa forêt du Banco comme ils le font au Bois de Boulogne à Paris.

Bref, tout cela pour dire qu’en vérité, la ville d’Abidjan aurait été une pure merveille, une des plus belles villes du monde si nous l’avions voulu. Souvenons-nous. Jusqu’à une date très récente, nos bords de mer étaient occupés par des bidonvilles, et marcher sur les plages d’Abidjan revenait à mettre les pieds dans des excréments humains et prendre aussi le risque de se faire agresser.

Il fallait aller jusqu’à Grand-Bassam, la station balnéaire voisine, pour profiter de plages dont la propreté était toujours plus que douteuse. De même, il était tout aussi dangereux de se promener dans la forêt du Banco qui était devenue un repère de bandits de grands chemins et dont de nombreux arbres étaient en train d’être détruits. Quant à notre belle lagune, nous en avions fait notre poubelle universelle dans laquelle nous déversions toutes nos eaux usées et tous les objets dont nous ne voulions plus.

Le résultat a été qu’elle avait commencé à se fermer progressivement pour devenir de la terre ferme sur laquelle une forêt avait réussi à pousser. Qui n’a poussé un grand soupir en passant devant ces lagunes qui avaient donné son surnom à la ville d’Abidjan, « la perle des lagunes », quel « ancien » n’a regretté le temps où les touristes faisaient du ski nautique sur la fameuse lagune Ebrié devant le mythique hôtel Ivoire ? Qui, il y a juste quelques années, n’avait regretté de ne voir que des bicoques qui empêchaient d’admirer la mer en se rendant à Grand-Bassam ? Oui, qui, ayant déjà vu des bords de mer en Europe, à Casablanca ou Dakar n’a fustigé l’immobilisme de nos pouvoirs publics ? Et combien de fois n’avions-nous pas déploré l’absence de ponts ici et là qui nous auraient évité de longs détours et nous auraient fait gagner un temps précieux et économiser du carburant ?

Soyons de bonne foi pour une fois, afin de reconnaître que l’Abidjan dont nous rêvions est en train de prendre forme sous nos yeux. Si nous avions dans un premier temps gâché nos atouts, nous sommes maintenant en train de les réhabiliter.

Nous avons depuis quelques années un troisième pont qui nous fait gagner un temps précieux pour nous rendre de Cocody ou de la Riviera à Marcory et au-delà, un quatrième est en train de relier Yopougon au Plateau, un cinquième est en train de relier le Plateau à Cocody, avec la construction d’une marina sur la baie de Cocody, les disgracieuses bicoques qui cachaient la mer sur la route de Bassam ont été enlevées et une belle corniche est en train d’y être aménagée au bord de l’océan. Remercions nos pouvoirs publics pour ce formidable travail de réhabilitation de notre principale cité, en souhaitant que cela s’étende aussi à celles de l’intérieur du pays. Je sais que l’on me rétorquera que l’on a privé de pauvres hères de leurs logements, et l’on aura certainement raison. Mais l’embellissement d’une cité ne se fait pas toujours sans douleur et sans sacrifices. C’est pour cela qu’il est très important de penser la ville longtemps en avance afin que l’on ne s’installe pas n’importe où et n’importe comment. D’où la nécessité de s’attacher les services d’urbanistes et d’aménageurs de qualité. Aujourd’hui la ville d’Abidjan s’est tellement étendue qu’elle se confond désormais à des cités telles que Bingerville ou Anyama, et ce sera bientôt le cas de Grand-Bassam, et, au-delà, Bonoua. Bingerville justement, qui est en train de s’étendre démesurément, devait faire l’objet d’une grande attention, car avec son site et ses nombreuses lagunes, elle pourrait être une petite merveille si elle est bien aménagée. Il faudrait déjà que les autorités, municipales ou nationales veillent à ce que la lagune ne se ferme pas comme cela est en train de se voir au niveau du quartier de Gbagba. N’attendons pas que la catastrophe ait lieu avant de chercher à la réparer. Il est plus que jamais nécessaire que les politiques, les spécialistes des villes et les artistes se rencontrent et pensent nos cités de demain afin qu’elles ne deviennent pas des villes monstrueuses sans originalités et sans âmes. A propos des artistes, est-ce parce qu’ils ne sont pas sollicités ou est-ce parce qu’ils n’ont rien à proposer que leurs pattes sont quasiment absentes de toutes nos cités ? Savent-ils que c’est à eux qu’il incombe de donner des âmes à des lieux ? Haut les cœurs comme le disait l’autre. Mettons-nous-y tous afin de construire des villes et villages où il fait bon vivre. Tenez ! Tout le monde s’extasie devant Kigali et Accra pour leur propreté. Pourquoi pas Abidjan demain ?


Le 05/06/21 à 02:01
modifié 05/06/21 à 02:01