L'éditorial de Venance Konan: Renaissance africaine

Monument de la renaissance africaine, à Dakar. (DR)
Monument de la renaissance africaine, à Dakar. (DR)
Monument de la renaissance africaine, à Dakar. (DR)

L'éditorial de Venance Konan: Renaissance africaine

Le 21/05/21 à 10:09
modifié 21/05/21 à 10:09
Le concept de la renaissance africaine avait été lancé en 1946 par le grand savant sénégalais Cheikh Anta Diop, afin de donner les armes aux intellectuels africains pour libérer leur continent occupé par des forces étrangères et relever leurs peuples clochardisés et méprisés partout sur la terre. Il a été repris par l’ancien président sud-africain Thabo Mbeki en 1997, et illustré par l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade à travers un monument colossal dressé en 2009 à Dakar.

La renaissance africaine, c’est aussi le rêve caressé aujourd’hui par plusieurs intellectuels africains qui ne supportent plus de voir leur continent à la traîne des autres, accablé de dettes et contraint de quémander ses moyens de subsistance, malgré ses immenses richesses et sa population jeune et dynamique. Si tous ces penseurs parlent de renaissance, c’est parce qu’ils savent que l’Afrique fut brillante, avant de sombrer sous les coups de boutoirs des envahisseurs, qu’ils soient venus d’Europe ou du Moyen-Orient. Les premiers étrangers, européens ou arabes, qui visitèrent l’Afrique avant la traite négrière, décrivirent tous des contrées très riches, très bien organisées, avec des civilisations brillantes.

C’est lorsque le projet de réduire les Africains en esclavage pour remplacer les « Indiens » d’Amérique dans l’exploitation de ces nouvelles terres que l’Europe venait de découvrir que l’on détruisit systématiquement les sociétés africaines et que l’on pilla toutes leurs richesses.

Les Africains parlent aujourd’hui de renaissance. Mais peut-on renaître lorsque l’on n’a plus d’âme ? C’est l’activiste anti-apartheid sud-africain Steve Biko qui avait dit que « l’arme la plus puissante entre les mains de l’oppresseur est l’esprit de l’opprimé ». L’esprit de l’Africain est presque entièrement entre les mains de ceux qui l’ont dominé, à travers leurs cultures et leurs religions. La religion ! Le sujet qui fâche en Afrique. S’il est effectivement un sujet dont l’Africain n’aime pas que l’on discute, c’est sa religion. Chrétienne ou musulmane. C’est sa foi, à laquelle il ne faut surtout pas toucher. Il se gaussera pourtant bien de celui qui afficherait sa foi en une religion africaine, et craindra même celui qui professerait sa croyance dans le culte vodou par exemple, depuis longtemps étiqueté comme fétichiste, donc satanique. C’est que pour imposer leurs religions et s’emparer de nos esprits, les colonisateurs européens et arabes ont commencé par diaboliser nos religions, au point de nous amener à avoir honte ou même peur de les pratiquer.

Nos religions ont toutes été rangées sous la bannière de l’animisme. Animisme qui ne serait rien d’autre que la religion pratiquée par des sauvages. Or il n’y a pas pire injure adressée à un Africain que de le traiter de sauvage. Donc, l’Africain qui n’est pas sauvage est celui qui pratique une religion de civilisé, c’est-à-dire celle de l’Européen ou de l’Arabe. Et cela inspira au professeur Bwemba-Bong, membre du Groupe de réflexion sur la culture africaine pour la Renaissance du Peuple noir, cette réflexion : « Si vous prenez un âne, et si vous lui demandez de vous dessiner Dieu, l’âne va vous dessiner Dieu qui est un âne. Si vous demandez à un Arabe de vous dessiner Dieu, il dessinera un Arabe. Si vous demandez à un Chinois de vous dessiner Dieu, il dessinera un Chinois. Si vous demandez à un Blanc de vous dessiner Dieu, il dessinera un Blanc. Demandez à un Noir de vous dessiner Dieu. Il vous dessinera un Blanc, un Arabe et parfois même un âne. Que les Africains qui rêvent de renaissance de leur continent sachent que pour parler de renaissance, il nous faut retrouver nos esprits.

Au sens propre comme figuré. Je reste pour ma part convaincu que les esprits de nos ancêtres à nous sont plus à même de nous protéger que ceux des peuples qui nous ont toujours méprisés, qui ont théorisé et mis en pratique l’idée selon laquelle nous, Africains, sommes justes bons pour être leurs esclaves.

Terminons en citant le philosophe français Michel Onfray qui a écrit ces lignes dans son livre « Décadence » (Flammarion) : « La puissance d’une civilisation épouse toujours la puissance de la religion qui la légitime. Quand la religion se trouve dans une phase ascendante, la civilisation l’est également ; quand elle se trouve dans une phase descendante, la civilisation déchoit ; quand la religion meurt, la civilisation trépasse avec elle. » Si l’Afrique veut renaître, elle doit cesser de se penser comme la banlieue pauvre des autres civilisations et développer la sienne propre, en tenant compte de tous les apports qu’elle a reçus.


Le 21/05/21 à 10:09
modifié 21/05/21 à 10:09