L'éditorial de Venance Konan: Recomposition

Ouattara, Bédié, Gbagbo
Ouattara, Bédié, Gbagbo
Ouattara, Bédié, Gbagbo

L'éditorial de Venance Konan: Recomposition

Le 17/05/21 à 06:12
modifié 17/05/21 à 06:12
Depuis 2018, nous sommes dans un nouveau cycle de notre histoire politique avec, cette fois-ci, Monsieur Alassane Ouattara au pouvoir et Messieurs Laurent Gbagbo et Henri Konan Bédié dans l’opposition. De 2011 à 2018, c’était MM. Ouattara et Bédié qui exer-çaient le pouvoir pendant que M. Gbagbo se débattait avec la justice internationale à la Haye. Auparavant, de 2000 à 2010, Laurent Gbagbo occupait le palais présidentiel pen-dant que MM. Ouattara et Bédié cherchaient à le conquérir.

Dans quelques jours, quelques semaines ou quelques mois, Laurent Gbagbo qui a été éloigné du pays pendant une dizaine d’années reviendra retrouver son allié Bédié et ensemble ils essaieront de déloger M. Ouattara du palais présidentiel. Contrairement aux scénarios précédents dans lesquels l’on se retrouvait dans l’opposition malgré soi, cette fois-ci, M. Bédié est devenu opposant de son plein gré. Enfin, façon de parler.

A la suite d’un calcul alambiqué dont lui seul, ses conseillers et peut-être ses féticheurs ont le secret, il s’est persuadé qu’il pourrait revenir au pouvoir en 2020. Il avait espéré que par la grâce de « l’appel de Daoukro » qu’il avait lancé en 2014, M. Ouattara lui aurait servi ce pouvoir sur un plateau. Mais lorsque cela n’a pas été possible, il a choisi de faire cavalier seul. En 2020, il avait espéré que le boycott actif et l’étrange « Comité national de transition » qu’il avait mis sur pied avec ses alliés lui permettrait de conquérir ce pouvoir sans passer par la case élection, mais il avait subi un cinglant échec. Il y avait cependant cru dur comme fer, et en avait persuadé plusieurs de ses partisans dont certains n’ont pas hésité à user de violence, sûrs qu’ils étaient que le pouvoir qu’ils allaient bientôt arracher leur conférerait une certaine immunité. Ils sont encore nombreux, surtout dans sa région natale, à s’accrocher encore à l’illusion d’un retour prochain de M. Bédié au pouvoir.

En attendant ce grand jour, il faudra à M. Bédié composer avec la nouvelle configuration de la scène politique et son nouvel allié Laurent Gbagbo. Actuellement, le pouvoir est solidement tenu par le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui a remporté la présidentielle et les législatives et contrôle le Sénat et les régions. Il n’a pas besoin d’alliance pour gouverner. Les partis de MM. Bédié et Gbagbo sont donc partis pour être dans l’opposition jusqu’en 2025 au moins.

Pourront-ils tenir jusque-là ? Bien sûr, ils pourront toujours rêver de tous les scénarios possibles qui chasseraient le RHDP du pouvoir, mais du rêve à la réalité, le chemin est parfois long. Si certains parmi eux s’accrochent encore à des chimériques révolutions ou pronunciamientos, ils sont tout de même nombreux à être redescendus sur terre. Les partisans de Laurent Gbagbo viennent de passer plus de dix ans dans l’opposition, en exil pour bon nombre d’entre eux. Les suiveurs de Bédié, eux, sont dans l’opposition depuis 2018. Ils avaient plus ou moins vécu la vie d’opposants pendant le règne de Gbagbo, mais ils ont participé au pouvoir après les accords de Linas Marcoussis en 2003. Sont-ils tous prêts à être éloignés du pouvoir encore cinq ans ? Certainement, puisqu’ils ont avec eux leur inébranlable foi militante et la ferme conviction que Dieu ne les abandonnera pas. N’est-ce pas à eux que ce dernier parle régulièrement à travers de prétendus « hommes de Dieu » ? Mais trêve de plaisanterie. La politique chez nous a aussi pour fonction de nourrir son homme ou sa femme. Oui, la politique dans nos pays permet de se hisser sur l’échelle sociale et être dans l’opposition, c’est perdre beaucoup d’avantages ou même le moyen principal d’existence.

A priori, les principaux chefs de notre opposition n’ont pas de soucis à se faire. Pour le gros de leurs suiveurs, rien ne changera non plus, qu’ils soient au pouvoir ou pas, qu’ils y participent ou pas, à part la satisfaction de voir que les « autres » ne sont plus au pouvoir. Mais il en va autrement de la classe de ceux qui aspirent à être assis à la table du Conseil des Ministres le mercredi ou dans les environs, c’est-à-dire à des postes où l’on peut jouir de grosses voitures et de salaires conséquents.

Or ces rêves ne deviennent réalité qu’en étant dans le sillage du pouvoir. Les opposants actuels qui ont déjà eu à exercer le pouvoir savent ce que c’est que d’être au pouvoir ou d’y participer. Combien d’entre eux résisteront aux éventuels chants de sirènes ? Est-ce pour anticiper ces probables défections dans ses rangs que M. Bédié ne cesse de réaménager la direction de son parti (PDCI) qu’il dirige d’une main de fer ? Apparemment, son objectif serait, entre autres, de se débarrasser de Maurice Kakou Guikahué à qui il reprocherait sa gestion du boycott actif et beaucoup d’autres choses. En attendant, le parti n’a cessé de rétrécir pour se recroqueviller sur le « V baoulé ». Affaire à suivre.

L’autre équation à résoudre est de savoir qui sera le chef de l’opposition lorsque Laurent Gbagbo sera de retour. Bédié et lui ont déjà exercé le pouvoir suprême. Mais Gbagbo a l’aura du martyr qui a passé « indûment » dix ans en prison. Et Bédié n’a pas été étranger à son incarcération dont il s’était publiquement réjoui.

Les partisans de Gbagbo qui ne sont pas dupes savent que si Bédié est allé voir ce dernier à Bruxelles, c’était dans l’intention de se servir de lui comme marchepied pour accéder à nouveau au pouvoir. S’ils seraient prêts à s’allier à ceux de Bédié pour bousculer Ouattara, il est certain qu’ils ne se battront pas pour hisser le Sphinx au pouvoir. Affaire à suivre


Le 17/05/21 à 06:12
modifié 17/05/21 à 06:12