Silué Karna Soro (Opérateur économique) à propos de la désobéissance civile : “ Les jeunes auraient pu transformer cette force destructrice en esprit de créativité ”

L'opérateur économique Silué Karna Soro
L'opérateur économique Silué Karna Soro
L'opérateur économique Silué Karna Soro

Silué Karna Soro (Opérateur économique) à propos de la désobéissance civile : “ Les jeunes auraient pu transformer cette force destructrice en esprit de créativité ”

Le 23/04/21 à 08:48
modifié 23/04/21 à 16:47
À cinq kilomètres de Yamoussoukro, dans le village de Seman, des manifestants incendiaient un camion transportant du manganèse et faisaient voler en éclats les vitres d’un autre camion appartenant au même opérateur économique. Silué Karna Soro, ce jeune opérateur économique victime de ces manifestations, explique cette nuit sombre du 30 au 31 octobre 2020 et ses échanges une fois sur place avec des jeunes de Séman.
Vous êtes un jeune opérateur économique victime de la désobéissance civile. Que vous est-il arrivé exactement ?
Mon entreprise, spécialisée dans le transport de minerais, dispose d’un contrat avec la société Shiloh de manganèse à l’effet d’acheminer ses productions au port d’Abidjan. Dans la nuit du 30 au 31 octobre 2020, mes camions ont chargé du manganèse à Korhogo pour le port d’Abidjan quand ils ont été stoppés par des manifestants au niveau du village de Seman, à environ 5km de Yamoussoukro. Les vitres du premier camion ont volé en éclats et le second a été incendié avec tout son contenu de manganèse. J’ai bénéficié d’un crédit bancaire pour l’achat de ces véhicules. Le camion de type Daf Cf de 33 tonnes nous a coûté 26 000 000 FCFA. En ce qui concerne le manganèse, seule la société Shiloh manganèse peut estimer la valeur des pertes.
Qu’est-ce que les manifestants vous reprochaient ?
Ils ont simplement reproché aux chauffeurs de n’avoir pas respecté le mot d’ordre de désobéissance civile, c’est-à-dire qu’on ne devait pas travailler. Ils ont agressé les deux chauffeurs et leurs apprentis. Les deux apprentis ont été évacués à l’hôpital.
Qu’espérez-vous aujourd’hui ?
Que justice soit rendue. Cela va énormément soulager les victimes et nous permettre de reprendre nos activités. Certes, nous avons porté plainte, mais notre souhait est que les autorités nous aident à payer les crédits que nous avons contractés pour acheter le camion brûlé par les manifestants. Je souhaiterais donc avoir un autre camion pour permettre au chauffeur qui est au chômage de reprendre ses activités. C’est grâce à cette activité qu’il arrive à payer son loyer et à s’occuper de sa famille. Ma doléance auprès des autorités, c’est de remplacer mon camion incendié pour continuer mes activités.
Quelle est la situation de votre parc auto actuellement ?
J’ai six camions dont un a été brûlé. Il me reste donc en ce moment cinq camions. Il me faut atteindre un certain niveau de fonctionnement pour pouvoir rembourser le prêt qui m’a permis d’acheter ces camions.
Des ressentiments ?
C’est déplorable et méchant de la part de ceux qui ont fait cela. Le 1er et le 2 novembre 2020, je me suis rendu à Seman. Ce n’était pas facile d’y accéder avec ma voiture personnelle. J’étais obligé de dégager les bois qui barraient la voie pour pouvoir passer. Quand je suis arrivé, j’ai constaté que ce sont des jeunes comme moi qui s’adonnaient à de telles violences. Je n’ai pas manqué de leur dire qu’ils auraient pu transformer cette force destructrice en un esprit de créativité pour devenir des opérateurs économiques comme nous autres. Regardez-moi, leur ai-je dit, nous avons pratiquement le même âge et je suis chef d’entreprise. Pendant une heure, j’ai échangé avec eux. Je leur ai expliqué que cela ne sert à rien de faire du mal aux autres. Dans les échanges, certains m’ont présenté des excuses et d’autres m’ont dit que ce n’était pas eux les auteurs. Et que c’étaient plutôt des intrus, des personnes qu’ils ne connaissaient pas dans leur village qui les motivaient à commettre ces actes.

Le jeune opérateur économique posant devant la carcasse de son camion incendié
Le jeune opérateur économique posant devant la carcasse de son camion incendié

Avez-vous bon espoir qu’on vous viendra en aide ?
J’ai foi que le Président de la République nous viendra en aide et entendra notre cri du cœur. Nous lui demandons de nous aider pour nous permettre de continuer nos activités et respecter nos engagements vis-à-vis des banquiers.A la suite du mot d’ordre de désobéissance civile, nous avons connu beaucoup de difficultés et nous prions les autorités de nous venir en aide, matériellement ou financièrement.
Vous avez une histoire hors du commun. Un self-made man. Comment parti de rien, vous êtes parvenu à être un opérateur économique qui pourrait inspirer de nombreux jeunes ?
Mon histoire, c’est celle d’un ancien étudiant en Sciences économiques (promotion 2006) de l’Université de Bouaké. En année de Licence quand j’ai perdu mon père qui était le soutien dont tout enfant a besoin, j’ai dû arrêter les études pour m’occuper de ma mère. Mes parents étaient installés à Korhogo d’où nous sommes originaires. Face aux difficultés, j’ai été vigile à Gsp à Marcory pendant quatre ans. J’étais tellement confronté à des difficultés que j’ai regagné le nord pour aller travailler à la mine de Tongon. J’ai donc travaillé avec un entrepreneur. J’ai pu observer comment le business fonctionnait. Suite à des difficultés, j’ai quitté Tongon. J’avais toujours une chose en tête : comment bâtir mon entreprise et la rendre prospère ? Sans soutien, ni moyen financier, j’ai travaillé sur la création de ma société SILTP. Quand j’étais dans le domaine des mines, j’ai compris que pour faire la livraison, il faut avoir de l’argent, mais je n’en avais pas. Dans ce milieu, j’ai appris à produire de l’argent sans avoir l’argent. Et j’ai continué de rêver à bâtir mon entreprise. Un jour, sans un sou en poche, je suis allé rencontrer le directeur d’une banque à Korhogo. Je lui ai dit que j’ai une idée et que je veux créer une entreprise, car je travaillais dans la mine. A ce directeur qui m’a donné ma chance, j’ai expliqué que j’ai eu à rencontrer des opérateurs dans la mine et que l’un d’entre eux veut m’aider à grandir. J’ai demandé au banquier que je n’ai pas d’argent mais que je voulais ouvrir un compte entreprise. C’était en 2015.
Quelle a été la réaction du banquier face à votre audace ?
Le banquier m’a fait savoir que pour ouvrir un compte entreprise, je devais débourser la somme de 100 000 FCFA. Que faire pour quelqu’un qui n’avait pas d’argent. Après, il m’a dit d’aller trouver un registre de commerce. C’est ainsi que j’ai pu ouvrir mon compte grâce à la générosité du banquier. Mon compte ouvert, je suis allé voir un partenaire dans le domaine des mines qui m’a trouvé un marché. Il me loue des camions de ramassage de minerais à 80 000 FCFA par voyage. Je faisais de la sous-traitance et le ramassage me rapportait 200 000 FCFA par camion. Les trois premiers mois ont été difficiles. Quand mon chèque est passé, j’avais autour de 15 000 000FCFA. J’ai travaillé avec la banque de 2015 jusqu’à maintenant. Et en 2018, j’étais à 2 milliards FCFA de chiffre d’affaires. C’est à ce moment que j’ai eu un contrat de transport de minerais avec l’entreprise Shiloh-manganèse. Je me suis donc organisé et je bénéficie de l’expertise d’un cabinet comptable, d’un cabinet juridique et celui d’une agence de communication.
Comment avez-vous réussi à mettre en place une entreprise viable ?
Progressivement quand la société Shiloh s’installait, je pouvais disposer de 30 000 000 FCFA sur mon compte. C’est ainsi que j’ai acheté une benne pour commencer à travailler jusqu’en 2020. En 2020, j’ai pu rencontrer le directeur de l’UNACOOPEC-CI, M. Siaka Savané, qui s’occupe des projets des jeunes à la Coopec. C’était lors d’une réunion où il était présent pour écouter les jeunes et voir ce qu’il pouvait faire pour eux. Nous étions 300 personnes, et chacun a exposé ses projets. J’étais le dernier à prendre la parole. Après mon exposé, je lui ai dit que si sa structure me prête 1 milliard de FCFA, je peux lui rembourser en 40 mois. Pour réussir cela, j’achète 10 camions pour les faire tourner et le tour est joué. M. Savané qui a compris comment je pouvais faire fructifi er ce prêt m’a simplement dit qu’il n’a jamais vu un jeune de mon âge s’exprimer ainsi. Il m’a dit qu’il allait me fi nancer. Et un mois après, au lieu de 1 milliard de FCFA, il m’a donné 500 millions de FCFA. C’est ainsi que j’ai acheté mes six camions. C’est l’un de ces camions qui a été incendié et un autre caillassé.
Comment peut-on s’en prendre à des biens privés de la sorte ?
Je me l’explique difficilement. Nous autres, nous nous consacrons exclusivement à notre business. Aujourd’hui, nous sommes en diffi culté, et notre objectif est de demander de l’aide, pas de l’aide pour faire la belle vie, mais relever nos entreprises. Imaginez-vous un seul instant qu’à la suite du mot d’ordre de désobéissance civile, toutes les entreprises arrêtent de fonctionner. On n’en serait pas aujourd’hui à une bonne reprise de notre économie. Notre souhait est que l’État nous vienne en aide et le plus tôt possible. Comment mon entreprise qui est installée à Abidjan et à Korhogo allait faire ? J’ai deux attachés logistiques, l’un à Abidjan et l’autre à Korhogo et aussi un comptable. J’ai huit chauffeurs, quatre (4) administrateurs, donc 12 personnes qui ont une moyenne salariale de 100 000 FCFA chacun.


Entretien réalisé par Salif D. CHEICKNA

Le 23/04/21 à 08:48
modifié 23/04/21 à 16:47