L'éditorial de Venance Konan: Ils n’ont rien fait...

Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé
Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé

L'éditorial de Venance Konan: Ils n’ont rien fait...

Le 07/04/21 à 07:15
modifié 07/04/21 à 07:15
A l’annonce de l’acquittement de Laurent Gbagbo et de Blé Goudé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre, la question a été posée de savoir qui, en fin de compte, est responsable des trois mille morts évoqués par les Nations unies. Il a aussi été question, ai-je lu quelque part, des avantages d’ancien Chef d’État et d’ancien ministre que réclameraient MM. Gbagbo et Goudé. Il convient, à mon avis, de rappeler le contexte de toute cette affaire, avant de tenter de répondre à ces questions. Oui, il est important de ne pas perdre la mémoire. Dieu merci, nous sommes encore nombreux à avoir été acteurs ou témoins de cette histoire, qui n’est pas si vieille.

Après le second tour de l’élection présidentielle de 2010, la Commission électorale indépendante (Cei) avait proclamé M. Alassane Ouattara vainqueur. Aussitôt, le président du Conseil constitutionnel Paul Yao N’Dré se précipita à la télévision pour les contester. Et deux jours plus tard, il revint pour annoncer de nouveaux résultats qui donnaient cette fois-ci M. Laurent Gbagbo vainqueur. Quelques jours plus tard, M. Y. J. Choi, le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, vint annoncer que les vrais résultats étaient ceux donnés par la Cei. Rappelons que quelques années plus tôt, devant le manque de confiance entre les acteurs politiques ivoiriens, ils avaient tous signé à Pretoria un accord qui demandait au Représentant du Secrétaire général des Nations unies de certifier les résultats des élections. En clair, c’est lui qui avait le dernier mot. D’ailleurs, pour convoquer le collège électoral au second tour de l’élection présidentielle, le Président Gbagbo avait évoqué la validation du premier tour par M. Choi. Jusqu’à ce jour, pour les partisans de Laurent Gbagbo, seuls les résultats donnés par le président du Conseil constitutionnel comptaient, même si pour les obtenir ce dernier avait carrément tordu le cou au droit.

Malgré la certification des résultats, Laurent Gbagbo avait refusé de les reconnaître et avait organisé son investiture en tant que Président de la République. C’est à partir de ce jour que l’Onuci avait commencé à compter les morts. MM. Ouattara, Bédié et quelques-uns de leurs partisans avaient dû se réfugier à l’hôtel du Golf sous la protection de l’Onu, pendant que tous ceux qui se réclamaient d’eux étaient traqués dans la ville d’Abidjan. Plusieurs missions de médiation, parmi lesquelles des Chefs d’État, furent envoyées en Côte d’Ivoire pour chercher à comprendre la situation, mais rien n’y fit. Toutes ces médiations aboutirent à la conclusion que le vainqueur de l’élection était bel et bien M. Alassane Ouattara. Mais Laurent Gbagbo refusa de quitter le pouvoir. Même le Président des États-Unis l’invita à venir s’installer dans son pays, sans succès. Pendant ce temps, les morts s’accumulaient. Les milices traquaient les partisans de MM. Ouattara et Bédié, enlevaient des personnes pour aller les exécuter, brûlaient vives certaines autres. On abattit trois enfants devant leur père impuissant. L’armée tira à l’arme lourde sur un marché et sur des femmes qui marchaient pacifiquement. En désespoir de cause, les Forces nouvelles de Guillaume Soro quittèrent leurs positions du nord pour descendre sur Abidjan.

L’Onu autorisa les forces françaises à détruire les armes lourdes de Laurent Gbagbo, ce qui permit son arrestation et la fin des hostilités. Il ne s’agit donc pas, comme a tenté de le faire croire un chroniqueur d’une radio internationale, d’une opposition qui aurait choisi la voie de la violence contre un Président élu, plutôt que d’attendre sagement les prochaines échéances électorales. Dans le cas d’espèce, il s’agissait d’un Président battu dans les urnes devant le monde entier et qui voulait à tout prix se maintenir au pouvoir au prix du sang de son peuple. Les assassinats ciblés ne sont tout de même pas une vue de l’esprit ! Qui pouvait accepter cela ? Où pouvait-on accepter cela ? Nulle part au monde. Ce n’est pas parce que la procureure de la Cpi n’a pas pu réunir suffisamment de preuves de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre à l’encontre de MM. Gbagbo et Goudé que nous allons dire que ce qui s’est passé sous nos yeux n’a pas existé ! Alors, qui est responsable des 3000 morts ? C’est indubitablement celui qui a provoqué cette guerre, à savoir Laurent Gbagbo.

Jusqu’à ce que les Forces de Guillaume Soro entrent en action, c’étaient bien les forces contrôlées par Laurent Gbagbo et Blé Goudé qui semaient la terreur dans la ville d’Abidjan. Ce n’est quand même pas un hasard si ces deux hommes ont été emmenés devant la Cpi. Si Laurent Gbagbo avait respecté le verdict des urnes, aucun coup de feu n’aurait été tiré et il aurait tranquillement joui de son statut d’ancien Chef d’État. Quant à Blé Goudé, il n’a été que le ministre d’un gouvernement totalement illégal.

Depuis dix ans, l’on parle d’une justice qui serait injuste, puisqu’elle ne poursuivrait qu’un seul camp. Il est bon de savoir qu’à la fin d’une guerre, c’est celui qui l’a provoquée et qui a été vaincu qui est jugé. Après la seconde guerre mondiale, ce sont les Allemands et les Japonais qui ont été jugés. Et pourtant, en Europe, les Alliés ont déversé des tonnes de bombes sur l’Allemagne, tuant ainsi des milliers de personnes innocentes. C’était le prix à payer pour vaincre Hitler. Au Japon, les Américains ont largué deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, tuant là aussi des milliers de civils. Les Américains n’ont jamais été jugés pour cela.

Aujourd’hui, nous rêvons d’une vraie réconciliation entre tous les enfants de ce pays. Et au nom de cette réconciliation, beaucoup de péchés peuvent être pardonnés ; mais nous ne devons pas pour autant oublier notre histoire récente ou la travestir.


Le 07/04/21 à 07:15
modifié 07/04/21 à 07:15