Un poète nommé Dibi : À tous les êtres de l’Aède, à ses fruits vous le reconnaîtrez

Professeur Augustin Kouadio Dibi. (Photo : DR)
Professeur Augustin Kouadio Dibi. (Photo : DR)
Professeur Augustin Kouadio Dibi. (Photo : DR)

Un poète nommé Dibi : À tous les êtres de l’Aède, à ses fruits vous le reconnaîtrez

Philosophe respecté par ses pairs et adulé par ses étudiants, professeur Augustin Kouadio Dibi a quitté ce monde le lundi 29 mars pour rejoindre celui des immortels tel Hegel dont il fut l’un des meilleurs spécialistes. Dr Oumou Dosso, l’une de ses disciples, lui rend hommage.
Il n’existe un même, certain d’être comme il est, que si peut exister au moins un autre que le même n’est pas, mais auquel il ne cesse de renvoyer comme à ce dans quoi il paraît. » (A. Dibi Kouadio, L’Afrique et son Autre, la différence libérée)

Le danseur sait danser. Le chanteur sait chanter. Le penseur sait penser. Et Augustin Kouadio Dibi, le penseur Augustin Kouadio Dibi a su penser et panser dans la douce extase de la gratuité. Le Maître, mon très cher Maître, dans la foi de sa profession savait se montrer dans un se-cacher afin que l’apparaître éprouvé lui appartienne. Il procédait à la manière d’un caricaturiste saisissant des aspects multiformes de ces modèles que nous étions, étudiants dans cette Athènes d’Abidjan, que le trait saillant qui nous caractérisait ou nous typifiait.

Ainsi, il a su rendre le concept aimable, généreux, proche. Quand je le ratai à l’université d’Abidjan, j’avais les pieds sur terre mais les yeux qui n’arrivaient pas à fixer les étoiles. J’étais en plein climat hobbesien, le pragmatisme et la lucidité de celui à qui on a prêté la sentence « l’homme est un loup pour l’homme » chantaient à mes oreilles frondeuses des mélodies martiales. Thomas Hobbes me tint compagnie avec les béquilles de cet autre Maître nommé Paulin Gogoua Gnanagbé.

Puis, la rencontre se fit. Dans un temple voué à célébrer le divin. J’avais décidé de me re-nourrir de choses essentielles, et, en 2006, notre Athènes d’Abidjan qui avait comme fait place et laisser place à l’agora des logorrhées infectes m’indiquait l’université catholique. Je le rencontrai à cette époque-là. Il me dit : « Ma chère Oumou, vos copies d’étudiante à l’université de Cocody m’ont subtilement révélé, dans la brise légère des choses, que vous avez une âme qui sait se mettre en appétit de ce qui est haut et noble ! Spéculer sied à votre esprit et il est heureux qu’il en soit ainsi. Comme le dit ST-Exupéry, « c’est le temps que tu perds sur la rose qui te la rend si chère. Je sais que la thèse à venir sur le profond Heidegger sera d’excellente facture. J’ai dit. » Il dit bien et son horizon fut ma motivation pour faire cette fameuse thèse après une pause de quasiment deux décennies. Son discernement intellectuel, sa disponibilité ainsi que sa bienveillance à mon égard ont rendu cette thèse possible. Son horizon fut ma motivation, dis-je. Un horizon non pas reculant mais élastique, souple, qui savait se distendre pour ramener dans le giron de la spéculation pensée et pensante l’épars. L’épars de ceux qui avaient, en chemin, perdu le chemin à cause des fêlures provoquées par les ronces de la Forêt noire.

Le philosophe Dibi avait l’art de se mettre en retrait du montrer exubérant, total et impudique en ce sens qu’il met en berne l’approche aimante dans son désir d’appréhender l’essentiel comme regard et égard en vue de montrer dans l’apparaître ce qui le symbolise : la simplicité. À distance de la fourmilière humaine dans laquelle nous nous sommes livrés captifs au On tonitruant et dans la nuit qui change l’allure des pas pour une convocation au recueillement et à l’éveil de la sérénité, mon très cher Maître m’a toujours dit qu’il est possible de quêter le sens des choses, l’arboréi-té de l’arbre, le pierreux de la pierre, la végétalité des végétaux, la choséité de la chose, l’étantité de l’étant, etc.

Pourquoi donc ? Ceci, comme la rose de Silésius dans le jardin de Heidegger, est sans pourquoi mais non sans raison. Sans pourquoi mais pas sans raison pour penser pour panser ; panser pour compenser, compenser pour récompenser, récompenser pour encenser l’Authenticité.

Le Maître, mon très cher Maître, le philosophe Augustin Kouadio Dibi, avait la classe et l’art de savoir rendre compliqué ce qui est simple et simple ce qui est compliqué pour dire le même et faire voir le concept comme chose aisée et difficile, utile et futile, fluide et abscons car tout doit se retrouver dans les provisions du marcheur-quêteur de sens, d’essence, d’encens, aux antipodes cependant de tout rituel égotique et égolâtre, et sans mettre sa probité à l’encan.

Ce jour fatidique du 29 mars 2021, j’ai appris de façon brutale que j’avais quitté le Maître, mon très cher Maître. Ce Maître qui m’a enseigné en mettant à l’enseigne de tous ses enseignements la vacuité de cette vie-ci. Le Maître est passé de l’autre côté du voile sans crier gare comme il avait arpenté les travées de ses lieux où il a professé en marchant sur la pointe des pieds car il avait le tonitruant en horreur. J’ai quitté dis-je, ce lundi 29 mars 2021 le Maître, mon très cher Maître qui me susurre son consentement à s’accepter comme être-pour-la-mort, non pas par une résignation dévote mais par la compréhension de la borne inévitable de l’existence de la vie humaine ; possibilité de creuser plus profondément son être dans le panorama de la camarde.

La signification de la mort, de la destinée implacable, a chez l’homme, chez un philosophe de son envergure, une portée qui le conduit au centre de cela même qu’il est un étant qui a pensé le mourir en étant lui-même mortel. C’est en cela qu’il est Immortel et que la vie chantera toujours ce qu’il fut ! Au poète mon Maître, les Champs Élysées ! Pour que Dibi continue de diffuser ses Lumières en dibisant en parfait Dibiéen !

Par OUMOU D.