Marche vers l’émergence : Pourquoi la Côte d’Ivoire mise sur le dividende démographique

Kaba Nialé, ministre du Plan et du Développement. (Photo : DR)
Kaba Nialé, ministre du Plan et du Développement. (Photo : DR)
Kaba Nialé, ministre du Plan et du Développement. (Photo : DR)

Marche vers l’émergence : Pourquoi la Côte d’Ivoire mise sur le dividende démographique

Le 31/03/21 à 19:13
modifié 31/03/21 à 19:13
Les autorités ivoiriennes sont fortement engagées dans l’obtention du dividende démographique, passage nécessaire pour le développement économique et social du pays.
Profiter de la structure de sa population, c’est-à-dire son dividende démographique, fait partie de la stratégie de la Côte d’Ivoire pour booster son développement. Le ministère du Plan et du Développement y tient et s’y attelle à travers sa cheville ouvrière, l’Office national de la population (Onp).

Pour les experts de cette structure, il s’agit de faire en sorte que le pays puisse bénéficier du coup de pouce que le changement de la structure par âge de sa population peut apporter à son développement économique et social.

Fort heureusement, note-t-on du côté du ministère du Plan et du Développement, « il y a une forte conscience que le cheminement vers l’émergence passe nécessairement par l’atteinte du Dividende démographique ».

Pour étayer cette assertion, la ministre Nialé Kaba a rappelé, lors du premier Dialogue de haut niveau sur le Dividende Démographique et l’Émergence en Côte d’Ivoire, le 7 juillet 2017, « l’ambition du Président de la République de faire de la Côte d’Ivoire une nation émergente replace la dynamique démographique, le développement humain et le bien-être social au cœur de la planification stratégique pour bonifier l’Indice de développement humain (Idh) et rendre la croissance économique plus solidaire et inclusive ».

Le Président de la République, Alassane Ouattara, est d’autant plus d’avis que le dividende démographique est un pilier essentiel pour le développement du pays qu’il note que « malgré tous les efforts pour atteindre une croissance performante, si la population continue de croître beaucoup plus rapidement que la production des richesses, il s’ensuit un appauvrissement structurel préjudiciable à la survie du pays ».

D’où le dévolu de la Côte d’Ivoire sur l’obtention de son premier dividende démographique à travers différents dispositifs institutionnels. C’est ainsi qu’a été créé, en 2012, l’Office national de la population (Onp) au sein du ministère du Plan et du Développement pour coordonner l’ensemble des actions dans la recherche du Dividende démographique.

L’un des actes majeurs dans ce sens a été l’organisation de larges concertations nationales sur le sujet entre 2014 et 2015. Les parlementaires, les leaders traditionnels, les religieux et les chefs de communauté ont été instruits sur la question.

Atteindre le dividende démographique exige des investissements dans les systèmes de santé et d’éducation. (Photo : DR)
Atteindre le dividende démographique exige des investissements dans les systèmes de santé et d’éducation. (Photo : DR)



De plus, la révision et l’adoption de la Politique nationale de Population (Pnp 2015-2025) a pris en compte le dividende démographique.

Il y a surtout cette autre initiative, à savoir, le Projet pour l’autonomisation des femmes et le Dividende démographique au Sahel (Swedd). Mis en œuvre en Côte d’Ivoire sous la supervision de l’Onp, il bénéficie d’un financement de 30 milliards de francs Cfa de la Banque mondiale.

Mais atteindre ce précieux dividende démographique reste un défi. Le directeur général de l’Onp, Hinin Moustapha, note à juste titre que le défi de la Côte d’Ivoire pour la présente décennie, c’est comment en réunir les conditions.

La première de ces conditions reste ce que les experts appellent la transition démographique. Cette « transition démographique » que le pays doit absolument opérer pour espérer bénéficier du bonus économique que peut offrir le Dividende démographique.

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Les pas positifs de la Côte d’Ivoire

A l’Office national de la Population, on note que « la Côte d’Ivoire a enregistré des avancées significatives dans son cheminement vers le dividende démographique ».

Les responsables en veulent pour preuve les réformes mises en œuvre sur les plans institutionnel, stratégique et programmatique. Ils indiquent que « sur le plan institutionnel, des avancées majeures dans la gouvernance des questions de population et développement au niveau de la coordination tant centrale que sectorielle » ont été réalisées. L’une des choses les plus évidentes est la création de l’Onp en 2012.

De plus, Il s’agit, entre autres, de la mise en place du Programme national de santé de la mère et de l’enfant pour les questions portant sur la planification familiale ; de l’Observatoire national de l’équité et du genre et des départements ministériels en charge de la Femme et de son autonomisation ; d’un ministère entièrement dédié à la question de la Promotion de la Jeunesse et à l’Emploi des jeunes avec la mise en place de l’Agence Emploi Jeunes ; du Service d’action pour l’Emploi et le Développement pour faciliter l’insertion sociale et professionnelle des jeunes âgés de 16 à 30 ans, sans diplôme, sans qualification et sans titre professionnel, en voie de marginalisation sociale. C’est dans cette veine que le gouvernement développe des programmes d’insertion accompagnés de mesures incitatives spécifiques en faveur de la création d’emplois.

Sur le plan stratégique, plusieurs lois, politiques et documents cadres ont été adoptés. Ce sont la Politique nationale de population, la Politique de la santé de la reproduction, le Plan Stratégique national de la Santé de la Mère, du nouveau-né et de l’Enfant, la politique sur l’égalité des chances et le genre, la loi relative à l’école obligatoire, le Plan stratégique d’accélération de l’éducation des filles.

Au titre des actions programmatiques, plusieurs programmes et projets ont été initiés. C’est ainsi que le gouvernement a lancé le programme de construction et de réhabilitation des établissements d’enseignement. Un appui alimentaire est apporté aux élèves, surtout aux filles. Ceux-ci bénéficient de programmes d’éducation en santé sexuelle et reproductive dans le cadre de la lutte contre les grossesses en milieu scolaire. A ce titre, une ligne budgétaire dédiée à l’achat de produits contraceptifs a été mise en place.

Au nombre des actions pragmatiques, il y a, entre autres, les fonds spéciaux pour l’autonomisation économique des femmes. Notamment le Fonds femme et développement et le Fonds d’appui aux femmes de Côte d’Ivoire (Fafci).

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Ces exigences auxquelles il faut répondre

Les experts de l’Onp sont formels. La réalisation du dividende démographique passe nécessairement par l’accélération de la transition démographique. Pour y arriver, la Côte d’Ivoire, selon les spécialistes de l’Onp, devra insister sur des stratégies de maîtrise rapide de la fécondité, levier incontournable pour la transition démographique. Cependant, la maîtrise de la fécondité n’est pas le gage absolu de l’atteinte du dividende démographique.

Il faut aussi un certain nombre de mesures. Notamment, des investissements dans le capital humain et la mise en œuvre de politiques économiques et sociales saines. L’étude publiée, le 11 décembre 2017, par l’Observatoire population et développement pour le suivi du dividende démographique de l’Onp, recommande fortement que l’investissement dans le capital humain des jeunes soit amélioré afin qu’ils contribuent à la croissance économique et boostent le développement du pays.

Cela se justifie par le fait que 77,7% de la population ivoirienne sont âgés de moins de 35 ans. Dans la même veine, il est recommandé la stabilisation des emplois des groupes d’âges de 29-64 ans des deux sexes qui sont la partie active de la population. De plus, la politique de protection sociale devra être renforcée à travers, notamment, des plans de retraite et de couverture maladie.

Le but est d’anticiper la prise en charge des personnes âgées dont le nombre va augmenter du fait de l’allongement de l’espérance de vie. Le dividende démographique exige que des investissements de qualité soient effectués dans l’Éducation-formation et dans le système sanitaire.

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Docteur Hinin Moustapha, Directeur général de l’Office national de la population : « Le dividende démographique représente un accélérateur de croissance »

Docteur Hinin Moustapha, Directeur général de l’Office national de la population. (Photo : DR)
Docteur Hinin Moustapha, Directeur général de l’Office national de la population. (Photo : DR)



Monsieur le Directeur général, à quel moment peut-on dire qu’un pays bénéficie d’un Dividende démographique ?

Il faut comprendre que le Dividende Démographique est un coup de pouce que le changement de la structure par âge de la population peut donner au développement socio-économique d’un pays. Potentiellement, ce coup de pouce est durable, mais il est limité dans le temps car il existe une fenêtre d’opportunité pendant laquelle ce boost est perçu. Autrement dit, un Dividende Démographique survient lorsque la population en âge de travailler devient plus nombreuse que la population inactive et que des investissements stratégiques dans l’éducation, la formation technique et professionnelle, la santé, l’emploi et la gouvernance sont réalisés. Le Dividende Démographique représente donc un accélérateur de croissance économique. Comme nous le savons, l’Afrique a la population la plus jeune du monde. Plus des deux tiers (2/3) de la population du continent africain sont jeunes et la part de cette population jeune ne cesse de croître. Notre pays, la Côte d’Ivoire, n’échappe malheureusement pas à cette réalité démographique.

D’où l’intérêt pour la Côte d’Ivoire d’investir dans le Dividende démographique...

Oui. Cependant, permettez-moi de faire une précision car il y a une fausse idée assez répandue concernant le Dividende démographique. L’on a tendance à croire que l’augmentation du nombre de jeunes en âge de travailler dans la population totale va systématiquement permettre de bénéficier d’un Dividende démographique, la jeunesse étant en quelque sorte un dividende. Cela n’est pas exact. Pour ne pas stagner ou reculer, la Côte d’Ivoire, à l’instar des autres pays en quête d’émergence, doit renforcer sa capacité à donner à sa jeunesse, plus d’éducation, de formation, de santé et surtout le travail dont elle a besoin. Les voies pour y parvenir ont été expérimentées avec succès par ailleurs. Parmi les transformations économiques et sociales qui ont amené après quelques décennies, certains pays émergents à des revenus par tête et des indicateurs sociaux proches de ceux des pays dits à revenus élevés, la baisse de la fécondité a joué un rôle important.

Alors, quels sont les défis à relever en Côte d’Ivoire pour y parvenir ?

Le défi majeur de la Côte d’Ivoire est celui de la transition démographique. Cette transition se trouve retardée en raison principalement de la lenteur de la baisse de la fécondité qui se situe encore à 4,6 enfants par femme au niveau national et voir plus de 7 à 8 au niveau de certaines régions de notre pays. Il est aussi important de noter que le niveau de fécondité encore élevé s’explique d’abord par une précocité de l’entrée dans la vie féconde puisqu’on observe que l’âge moyen au premier rapport sexuel est de 14 ans en milieu rural contre 15 ans en milieu urbain. Il s’explique ensuite par une prépondérance des mariages précoces avec une insuffisante application de la loi concernant l’âge au premier mariage. A ce niveau, je peux vous dire qu’un peu plus de 30% des femmes sont mariées avant 18 ans et l’âge moyen au premier mariage est de 16 ans en milieu rural contre 21,8 en milieu urbain. Enfin, la forte fécondité s’explique par une faible utilisation de la contraception moderne qui tourne autour de 20%. Cela s’explique aussi par le fait que la première utilisation d’une méthode contraceptive intervient le plus souvent très tardivement. En milieu rural, les femmes utilisent pour la première fois une méthode contraceptive autour de 28 ans avec déjà plus de 4 enfants en moyenne. En milieu urbain, cette première utilisation d’une méthode contraceptive est observée vers 25 ans avec déjà 2 enfants en moyenne. Il faut retenir que cette fécondité relativement élevée induit une population majoritairement jeune. Ainsi, plus de trois-quarts (¾) de la population en Côte d’Ivoire, soit 8 personnes sur 10 ont moins de 35 ans. Aussi, la population active, c’est-à-dire celle qui a un âge compris entre 15 et 64 ans, représente 56% de la population totale. En termes de dépendance, il faut noter qu’en Côte d’Ivoire 80 personnes sont à la charge de 100 actifs, ce qui est loin de l’idéal de 2 actifs pour 1 inactif. Par ailleurs, une analyse plus fine du cycle de vie permet de faire ressortir que la consommation des individus des tranches d’âge de 0 à 28 ans et ceux de 64 ans et plus dépasse leurs revenus. L’âge moyen à partir duquel les individus deviennent des producteurs nets, c’est-à-dire produisent plus qu’ils ne consomment est estimé à 33 ans. En outre, la période de vie moyenne pendant laquelle le revenu du travail des individus est supérieur à leur consommation s’étale de 33 à 65 ans qui correspond à l’âge de la retraite. Après la retraite, le revenu devient insuffisant pour supporter les charges de consommation. Tout ceci montre une extrême dépendance à la jeunesse et aussi à la vieillesse. En conséquence, la proportion élevée de personnes dépendantes et inactives crée une demande sociale estimée à plus de 6000 milliards de francs Cfa, soit près des deux tiers du produit intérieur brut. Un autre défi à relever est celui de l’incidence de la pauvreté qui est corrélée à la forte fécondité et qui reste encore élevée malgré les efforts du gouvernement.

Quels sont donc les enjeux de l’évolution future de la population ivoirienne dans la quête du Dividende démographique ?

Pour apprécier l’évolution future de la population et ses enjeux, deux scénarios ont été formulés principalement sur la base du nombre d’enfants par femme et la proportion des utilisatrices des méthodes de contraception. Alors, le premier scénario qui est tendanciel prévoit la poursuite d’une augmentation lente de l’utilisation de la contraception qui est de 22% en 2020, 28% en 2030, 45% en 2050 et 55% en 2065. Le deuxième scénario qu’on peut appeler scénario émergence qui est raisonnablement volontariste prévoit, quant à lui, une accélération de la contraception de 20% en 2016 à 37,5% en 2030, 60% en 2050 et 65% en 2065, comme dans bon nombre de pays aujourd’hui émergents. Alors, ce qu’il faut retenir du scénario tendanciel, c’est qu’il conduira la Côte d’Ivoire à une population totale de 53 millions en 2050. Le nombre de naissances annuel de 900 mille actuellement passera à 1,2 million en 2030 et 1,4 million en 2050, induisant un niveau de dépendance encore élevé. Avec le scénario émergence par contre, la population ivoirienne passera à près de 26 millions actuellement à 47 millions en 2050. Le nombre de naissances annuel se stabiliserait autour de 970 mille en 2050 et le nombre d’enfants par femme passera de 4,6 à 2,5 en 2050. Il est ainsi visible que ce scénario qui est le plus souhaité, permettra à la Côte d’Ivoire d’avoir une population d’actifs élevée et supérieure à celle des dépendants. Ce qui aura pour conséquence à court terme une réduction des dépenses dans la santé maternelle, les vaccinations et l’éducation grâce à la stabilisation des naissances. Les économies réalisées sur ces dépenses sont estimées 5 fois plus importantes que l’ensemble des dépenses engagées pour accroitre l’utilisation des services de la santé de la reproduction. Comme vous pouvez le constater, l’utilisation accrue de la contraception n’a pas pour finalité de réduire la taille de la population qui doublera à l’horizon 2050 quel que soit le scénario. Au contraire, c’est une approche qui permet de maitriser plutôt la croissance de la population de sorte qu’elle puisse bénéficier des fruits de la croissance économique. La stabilisation du nombre de naissances et de jeunes enfants impacterait également positivement le secteur de l’emploi. Avec le scénario tendanciel, le nombre d’arrivants sur le marché du travail continuera à croitre de façon exponentielle. Ainsi, à l’horizon 2050, le nombre d’arrivants sur le marché du travail sera de 800 mille pour le scénario tendanciel contre 400 mille pour le scénario émergent, soit une baisse de moitié.

Quels sont donc les gains que le pays peut espérer d’une maitrise de la croissance de sa population ?

Avant de discuter des gains potentiels pour la Côte d’Ivoire, je vais vous présenter à travers une analyse comparée les apports du Dividende démographique dans certains pays qui ont utilisé cette voie. Notamment la Corée du Sud et le Botswana. Il se trouve qu’en 1970, les niveaux de fécondité étaient très élevés. Vous avez 7,93 pour la Côte d’Ivoire, 6,6 pour le Botswana et 4,5 pour la Corée du Sud. De 1970 à maintenant, la Corée du Sud et le Botswana ont réussi à maitriser leur niveau de fécondité, passant respectivement à 1,2 enfants par femme pour la Corée du sud et 2,7 pour le Botswana. Toute chose étant égale par ailleurs, la Corée a multiplié son revenu par habitant par 14 et le Botswana par 11. Cependant, la Côte d’Ivoire est encore dans le processus d’une capture du Dividende démographique alors que le Botswana et la Corée du sud l’ont déjà réalisé. De plus, en affinant l’analyse, il est fort important de souligner des retours massifs sur investissements en matière de santé et d’éducation. En effet, s’agissant de l’éducation au niveau du primaire, on aurait en 2035 des effectifs d’enfants à scolariser de 6 à 12 ans, d’environ 20% inférieur, dus à une situation de maitrise des naissances. Cette proportion serait de 48% en 2050. Les marges budgétaires ainsi réalisées pourraient servir à l’amélioration de la qualité de l’éducation au primaire, nécessaire pour garantir de meilleurs résultats au secondaire et au supérieur. Ces gains financiers contribueraient aussi à l’augmentation des capacités d’accueil au secondaire et au supérieur. En matière de santé, le scénario d’accélération de l’utilisation de la contraception pourrait permettre à la Côte d’Ivoire de réaliser un gain de près de 100 milliards de CFA sur les dépenses totales de santé pour les grossesses et la petite enfance. Ces gains passeraient même à un peu plus de 150 milliards en 2050. Les marges budgétaires ainsi réalisées pourraient être réinvesties pour l’amélioration des services, la prévention et la prise en charge des maladies non transmissibles qui prennent de l’ampleur dans notre pays. Il faut également noter que ce travail d’expertise qui est réalisé par les services de l’Office national de la Population et qui combine les politiques économiques, éducatives et d’accélération de l’utilisation de la contraception, conduit la Côte d’Ivoire à l’horizon 2050, à un revenu par tête d’habitant (PIB) d’environ 12 mille dollars. Ce qui classerait notre pays à un horizon proche parmi les pays à revenu élevé tranche supérieure. Vous comprenez donc que ce second scénario ouvrirait grandement la voie à l’émergence économique et sociale de notre pays. Je saisis l’occasion pour adresser mes remerciements à Mme le ministre du Plan et du Développement, notre tutelle, pour les appuis multiformes qu’elle ne cesse de nous apporter et plus spécifiquement, dans les initiatives visant à favoriser une plus grande appropriation du Dividende démographique au niveau national.



Le 31/03/21 à 19:13
modifié 31/03/21 à 19:13