Á livre ouvert : « Les matins orphelins », un hymne à la volonté du vivre-ensemble

Le livre "Les matins orphelins" de Foua Ernest de Saint Sauveur, un hymne au vivre-ensemble. (DR)
Le livre "Les matins orphelins" de Foua Ernest de Saint Sauveur, un hymne au vivre-ensemble. (DR)
Le livre "Les matins orphelins" de Foua Ernest de Saint Sauveur, un hymne au vivre-ensemble. (DR)

Á livre ouvert : « Les matins orphelins », un hymne à la volonté du vivre-ensemble

Le 26/01/21 à 14:24
modifié 26/01/21 à 14:24
Président de l’Association des écrivains de Côte d’Ivoire de mai 2004 à décembre 2011, Foua Ernest de Saint Sauveur livre, à travers ces lignes, l’une de ses convictions majeures.
« L’homme n’a pas de patrie. Les notions de nationalité, d’ethnie ne sont rien d’autre que des artifices, des leurres inventés par des esprits pervers, portés à la division. Pour Houessinon De Souza (et cela avait toujours été aussi la façon de voir de sa compagne Carmen), là où vous avez des amis, des gens qui vous adoptent et vous aiment, là est votre pays. Le lieu où vous prenez un autre départ dans la vie, où vous vous faites une autre famille (...). Voir les rapports entre les peuples dans une optique arc-en-ciel, pacifiste, placer une telle foi, un tel enthousiasme dans la fraternité des hommes, par-delà les frontières, n’engagent à rien, sauf à se désillusionner, le temps que tourne la roue de la vie. Le temps que d’autres réalités prennent force de loi... ». Extrait de ce roman paru aux Éditions Saint Sauveur, ces quelques lignes donnent une idée du contenu de ce livre intitulé « Les matins orphelins ».

Un roman qui tire sa force de différentes histoires d’amour. Ici, celle de Houessinon De Souza et sa femme Carmen qui, originaires du Dahomey, sont venus s’installer sur les terres du Félicia, par amour pour leur pays d’accueil.

Dans ce pays hôte, leur fille Lorenza et David Ogou (originaire de Félicia) convolent en justes noces et vivent le bonheur jusqu’au jour où David rencontre au Félicia, l’une de ses ex, amour de jeunesse, qu’il avait connue en Europe : la Blanche Marie-Christine. La roue tourne alors pour le jeune couple exemplaire.

Pour Lorenza se succèdent désormais des nuits froides et silencieuses qui la guident vers des matins orphelins. La jeune dame vit une situation que l’auteur décrit à la page 115 : « Depuis l’aveu par son mari qu’il avait une maîtresse, Lorenza n’avait plus que cette idée en tête. De nuit comme de jour, elle roulait question dans sa tête, se mettait l’esprit à la torture. Où qu’elle aille et quoi qu’elle fasse, elle ressassait cette réalité époustouflante : la blanche accaparait sa réflexion. Consciemment, elle savait qu’elle n’en prendrait pas l’initiative, mais son désir croissait de rencontrer l’usurpatrice et de lui dire ses quatre vérités de visu. Et parce que la force de ce refoulement gardait son subconscient en alerte, l’opportunité tant espérée lui fut offerte au cours d’un songe. On était semble-t-il, un jeudi matin, jour de repos pour les enseignants du primaire. Lorenza eut la surprise de voir arriver son mari accompagné d’une femme blanche. Voyant le couple, un haut-le-corps la secoua. Un sentiment de dégoût aussi mais parce que son éducation familiale et religieuse l’avait ancrée dans le refoulement des sentiments, elle parvint à attraper son cœur, comme le lui suggérait cette morale de l’enfance. Et elle essaya d’offrir aux arrivants un accueil qui, s’il ne reflétait pas tout à fait la tradition de l’hospitalité africaine, en portait au moins des ressemblances ».

Langage soutenu et langage populaire ivoirien au rendez-vous

Ce qui retient l’attention du lecteur, à côté de la trame principale, c’est cette façon spéciale que l’auteur a de dérouler son récit en convoquant joliment dans un même ouvrage le lexique du langage soutenu et celui du langage populaire ivoirien, tel qu’il le fait à la page 15, où l’auteur fait allusion à la beaugossité de David Ogou : «... Lorenza semblait une plateforme imprenable. Toutes ces propositions qui eussent enchanté n’importe quelle fille du quartier TSF, venant d’un pensionnaire de l’université, ne l’impressionnaient guère. David Ogou n’en revenait pas. Lui, le bourreau des cœurs. Lui à qui un physique avantageux, son mètre quatre-vingt pour soixante-quinze kilos, conférait de la prestance, un port noble, souverain. Sa beaugossité était patente », écrit l’auteur à la page 15.

Dans ces lignes, Foua Ernest de Saint Sauveur, fidèle à son statut d’enseignant, d’instructeur et de journaliste-chroniqueur, explique qu’il a surtout voulu faire allusion aux « parents » inventifs du campus, en faisant ainsi allusion à certains termes précis. Ailleurs, il présente les traits caractéristiques de la femme très convoitée par des prétendants et que chacun dépeindrait à son goût comme : « Une mère, épouse, amante, amie, complice et rivale ambitieuse et modeste, éloquente et silencieuse, intelligente, innocente, généreuse, économe, hardie pondérée, esclave autant que suzeraine ».

En face de cette muse, il se lance dans une autre présentation inspirante. Celle de Rémi Barou, un prétendant emballé dans le rôle d’amant patenté : « Rayé par décret ministériel des tablettes officielles de la société des instruits, Rémi Barou a perdu la licence et le ton magistral pour philosopher à l’école. Mais n’en continue pas moins en tant qu’éducateur d’internat, à distiller ses conseils de tonton désillusionné à des adolescentes paumées, dans un établissement privé du même ramage. Éprouvé par les ruses féminines, il a acquis l’horreur de l’infamie sans perdre autant le désir de la femme », écrit l’auteur à la page 347.

Pour sûr, ce roman de Foua Ernest de Saint Sauveur compte au nombre des productions de l’auteur, qui se laissent lire et relire pour mieux saisir les contours d’un fruit intellectuel qui aborde sur un même plateau, des thèmes variés. Un choix qui confère à ce livre le statut d’une œuvre littéraire riche et très instructive.

Foua Ernest de Saint Sauveur, 2014 Les matins orphelins, Éditions Saint Sauveur


Le 26/01/21 à 14:24
modifié 26/01/21 à 14:24