Professeur Ramata Ly-Bakayoko : « Que les femmes se lancent dans la bataille électorale ! »

Professeur Ramata Ly-Bakayoko, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (Ph: ministère)
Professeur Ramata Ly-Bakayoko, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (Ph: ministère)
Professeur Ramata Ly-Bakayoko, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfant (Ph: ministère)

Professeur Ramata Ly-Bakayoko : « Que les femmes se lancent dans la bataille électorale ! »

Le 18/01/21 à 11:04
modifié 18/01/21 à 11:04
Professeur Ramata Ly-Bakayoko, ministre de la Femme, de la Famille et de l’Enfant dans cette interview accordée à Fraternité Matin explique loi N° 2019-870 du 14 octobre 2019 relative à une plus grande représentativité des femmes dans les Assemblées élues.
Madame le ministre, la Côte d’Ivoire a adopté en 2019 une loi sur la représentativité des femmes dans les Assemblées élues. Un décret relatif à cette loi a également été adopté en 2020. Dites-nous Madame la ministre, quel est l’enjeu d’une telle loi ?

Avant de parler d’enjeu, je voudrais relever que nous devons cette loi importante à l’engagement du Président de la République, SEM Alassane Ouattara, pour la cause de la femme. Je voudrais le remercier pour la confiance qu’il place en la femme ivoirienne ; et également pour sa vision d’une Côte d’Ivoire inclusive où chacun, homme et femme, contribue au développement harmonieux du pays. L’enjeu d’une telle loi, vous le comprendrez, se trouve dans ce mot du Chef de l’État que je voudrais citer : « Chaque fois que des femmes accèdent à des postes à responsabilité, dans les entreprises, dans la Fonction Publique, dans la politique, les analyses sont mieux élaborées, de manière plus ouverte, les décisions sont prises avec une plus grande conscience, elles sont mieux expliquées, mieux acceptées, leur mise en œuvre devient plus facile, les conflits s’apaisent, l’équilibre revient ».

Que dit exactement la loi du 14 octobre 2019 ?

La loi N° 2019-870 du 14 octobre 2019, à grands traits, institue des mesures favorisant la représentation de la femme dans les Assemblées élues en augmentant ses chances d’accès auxdites Assemblées. Il s’agit des élections des députés, des sénateurs, des conseillers régionaux, des conseillers de districts et des conseillers municipaux. Dans cette perspective, pour tous les scrutins uninominaux ou de liste, un minimum de 30% de femmes sur le nombre total de candidats présentés au cours de la consultation électorale est exigé.

Pour encourager les partis politiques à aller au-delà, un financement public supplémentaire est octroyé au parti ou groupement politique dont la liste atteint au moins 50% de femmes candidates. Cela dit, je voudrais souligner que l’adoption de cette loi est l’aboutissement d’un long processus et rendre hommage à toutes celles qui m’ont précédé dans ce département ministériel car chacune a mis du sien pour que cette loi soit, pour le bonheur de la femme ivoirienne, et plus globalement pour le progrès la société ivoirienne elle-même. Je salue également les députés et les sénateurs qui ont voté cette loi à l’unanimité. Voyez-vous, la participation de la femme dans les instances de prise de décisions contribue à rendre notre démocratie plus dynamique, dans la mesure où les besoins des hommes comme des femmes sont pris en compte, et que chacun et chacune peut apporter sa contribution à la construction de l’édifice national.

Pourquoi une telle loi quand on sait que nul n’empêche une femme d’être candidate à une quelconque élection en Côte d’Ivoire ?

Certes, mais ce serait ignorer le poids de certaines de nos traditions socio-culturelles qui fixent des rôles sociaux à l’un ou l’autre sexe. Ce sont en général des rôles de genre que je pourrais résumer, pour la femme, au vocable « femme au foyer ». Cette tâche ardue, et du reste, importante même si elle est peu valorisée, tend à muter vers d’autres sphères et en l’occurrence la gestion des affaires de la communauté. Aujourd’hui, les filles et les garçons ont le même droit à l’éducation avec la politique de l’École obligatoire pour tous les enfants âgés de 6 à 16 ans. Ce qui permet aux jeunes filles d’avoir suffisamment de ressources pour s’extraire des canons culturels préétablis. Il y a des femmes députés, sénatrices, maires, et des femmes dans les conseils de districts et conseils régionaux. Cependant, malgré les avancées indéniables de ces dernières années, la représentation des femmes restent en deçà de nos attentes. En témoignent ces chiffres : sur 255 députés, l’on compte 29 femmes, soit un pourcentage de 11,37% ; nous avons 19 femmes sénatrices sur un total de 99 sénateurs, ce qui donne un pourcentage de 19,19%. Au niveau des maires, nous avons 16 femmes maires pour un total de 201 maires, soit un pourcentage de 7,96%. Une seule femme est présidente de Conseil régional.

Ces chiffres expliquent la position peu honorable de notre pays dans les classements mondiaux de la chambre basse du parlement. Ainsi, les statistiques de 2019 pour 193 pays révèlent que le Rwanda occupe la première place avec 61,25% de femmes à l’Assemblée nationale (49 F/80) , le Sénégal, la 11e place avec 41,80% (69F/165), la France, la 17e place avec 39,51% (228F/577), la Côte d’Ivoire, la 160e place avec 11, 37% (29 F/ 255) et le Nigeria, la 180e place avec 7,22% (26 F/360).

Comme vous le constatez, ces statistiques sont en deçà des attentes du gouvernement au regard du dynamisme économique de la Côte d’Ivoire et des compétences féminines dont elle regorge ; et c’est en cela que la loi adoptée en faveur d’une représentativité plus accrue des femmes dans les Assemblées élues trouve toute sa pertinence.

Qu’en est-il du décret d’application ?

Le décret d’application a pour objectif principal d’encourager les partis politiques à mettre en œuvre la loi. J’indiquais tantôt que les regroupements politiques qui souscriront à la loi sur une représentativité plus importante des femmes dans les Assemblées recevront un financement.

Le décret d’application vient expliquer l’esprit de la loi et ses modalités d’application. L’objectif principal est de faciliter sa mise en œuvre par les partis politiques. Ainsi, le décret stipule que pour les scrutions uninominaux, le minimum de 30% de candidatures féminines exigé s’apprécie au regard du nombre total de femmes présentées par chaque parti ou groupement politique tandis que pour les scrutins de liste, le quota minimum de 30% de femmes s’apprécie au regard du nombre total de femmes présentées sur chaque liste par chaque parti ou groupement politique.

J’indiquais tantôt que les partis ou groupements politiques qui souscriront à la loi sur une représentativité plus importante des femmes dans les Assemblées, à savoir 50% ou plus, bénéficieront d’un financement public supplémentaire.

La date du 06 mars 2021 a été retenue pour les élections législatives. Qu’espérez-vous des partis politiques s’agissant de l’application de la loi ?

C’est le lieu de remercier tous les partis ou groupements politiques qui ont réservé un accueil très favorable à l’application de cette loi qui émane de la vision politique même du Président de la République. Cette loi doit être au cœur des tractations en cours pour le choix des candidatures et nous encourageons les dirigeants au plan central et dans les régions à s’engager pour son application effective. Je viens d’ailleurs d’adresser un courrier aux partis politiques pour les remercier pour avoir, à travers leurs mandants, voté à l’unanimité ladite loi, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Nous sommes optimistes car tous les partis politiques ont lancé de bons signaux dans cette perspective genre au niveau du choix de leurs candidatures.

Quelles actions menez-vous pour vulgariser la loi?

Dès lors que la loi et son décret d’application ont été adoptés, nous sommes en campagne permanente pour en parler, pour les divulguer. Nous avons, à ce titre, élaborer en collaboration avec OnuFemmes, un plan d’actions en vue la vulgarisation de la loi et de son appropriation par les partis politiques, les élus, les la société civile, les ONG, le patronat, les leaders communautaires, les chefs traditionnels, les guides religieux, le monde universitaire, etc.

À titre d’exemple, nous avons organisé, le 21 décembre dernier, à l’hémicycle, un atelier de formation des femmes parlementaires sur les nouvelles lois en faveur des droits de la femme, cela dans l’objectif que ces femmes parlementaires s’en approprient.

Cet atelier, et il y en aura d’autres, a été enrichissant à tout point de vue. Il a permis aux femmes de bien s’approprier les textes et d’échanger sur leurs expériences en tant qu’élues. Ces femmes leaders engagées en politique ont compris le bien-fondé du décret pris par le gouvernement pour l’application de la loi adoptée par le Parlement en faveur des femmes ivoiriennes. Elles ont surtout pris la pleine mesure de l’importance de leur rôle qui est d’amener les femmes à s’affranchir des pesanteurs culturelles et préjugés à l’égard de celles qui aspirent à des postes électifs au même titre que les hommes. Elles ont salué l’initiative et fait des recommandations en direction des partis politiques qui sont particulièrement ciblés par ces textes. Il revient maintenant aux femmes se lancer pour gagner les batailles électorales.

Je voudrais également relever le rôle important de la société civile et des ONG compétentes dans le domaine du genre qui nous accompagnent dans la dynamique que nous venons d’enclencher. Nous encourageons toutes les parties prenantes à amplifier la divulgation de ces lois en faveur des femmes et à veiller, aux côtés du gouvernement, à leur application.

Aux femmes elles-mêmes qui sont en politique quel message leur adressez-vous ?

Je leur dirai d’être confiantes, de se sentir en confiance, car elles aussi compétentes que les hommes dans leurs domaines d’expertises et elles bénéficient du soutien de leur plus grand défenseur qui est le Président Alassane Ouattara lui-même.

Les femmes ont cela de particulier, qu’en plus de leurs compétences, elles ont la sensibilité qui leur permet d’être plus enclines au bien-être social. Le monde de la politique a besoin de cette touche féminine et humaine nécessaire à l’éclosion de sociétés plus harmonieuses et où il fait bon vivre. Pour notre part, nous allons apporter notre contribution par l’organisation de formation à l’endroit des femmes candidates. C’est le lieu pour nous de remercier nos partenaires et particulièrement OnuFemmes qui ne ménagent aucun effort pour accompagner l’État de Côte d’Ivoire dans sa politique de promotion de l’égalité entre les sexes et l’autonomisation de la femme. Plus nous aurons des femmes dans la politique, plus la population féminine comprendra son rôle dans le choix des dirigeants. Vivement donc que les femmes se lancent dans la bataille et nous encourageons les hommes à y contribuer, pour le bien de tous.


Le 18/01/21 à 11:04
modifié 18/01/21 à 11:04