Pollution sur l’autoroute du Nord: Ce scandale des producteurs de béton qui n’a que trop duré à la baie du Banco

À cause de la brételle non bitumée créée par les producteurs de béton, la baie du Banco est couverte de poussière de ciment. (Photo : Julien Monsan)
À cause de la brételle non bitumée créée par les producteurs de béton, la baie du Banco est couverte de poussière de ciment. (Photo : Julien Monsan)
À cause de la brételle non bitumée créée par les producteurs de béton, la baie du Banco est couverte de poussière de ciment. (Photo : Julien Monsan)

Pollution sur l’autoroute du Nord: Ce scandale des producteurs de béton qui n’a que trop duré à la baie du Banco

Le 05/01/21 à 17:29
modifié 05/01/21 à 17:29
Des nuages de poussière de ciment enveloppent de manière permanente l’autoroute du Nord au niveau de la forêt du Banco et le contre-bas de la Cité Fairmont.
Depuis que deux entreprises de béton prêt à l’emploi ont installé leurs unités de production à la baie du Banco, les conditions environnementales ont complètement changé sur un tronçon d’au moins 3 kilomètres de la voie express Adjamé-Yopougon. C’est désormais de gros nuages de poussière de ciment qui couvrent en permanence la route et tous les environs.

Les véhicules qui passent par là en sortent recouverts de poudre blanchâtre. C’est un enfer pour les motocyclistes, les cyclistes et les piétons. Les beaux feuillages des abords de la forêt du Banco ont viré au gris, enveloppés de poussière de manière quasi permanente. Les installations riveraines en souffrent terriblement. Le cas des hôpitaux de la fondation Didier Drogba et de la fondation Servir de Henriette Bédié est pathétique.

Situés à la sortie de l’autoroute, dans le sens du boulevard de la Paix, ces deux centres de santé – le premier est terminé et le second est en chantier – sont de grosses victimes de cette grande pollution. Leurs cours respectives sont envahies par la poudre de béton. On imagine bien les graves désagréments que ces hôpitaux subiront quand ils seront opérationnels. Ce sera inévitablement une lutte permanente contre la poussière de ciment.

Un nuage de poussière qui peut être source de maladie et d'accident. (Photo : Poro Dagnogo)
Un nuage de poussière qui peut être source de maladie et d'accident. (Photo : Poro Dagnogo)



A côté des deux établissements sanitaires, il y a une entreprise de Btp dont les installations souffrent aussi des désagréments de la poussière de béton. Les ateliers sont constamment couverts de poussière. La cour est couverte de ciment depuis le portail d’entrée. Ce grave problème de pollution vient principalement d’une bretelle créée par les deux sociétés de vente de béton prêt à l’emploi. Leurs dirigeants l’ont créée pour faciliter la circulation de leurs camions. Elle leur permet d’accéder directement à l’autoroute et au boulevard de la Paix, vers Boribana sans emprunter la voie supérieure qui atterrit au Banco (ancienne route d’Abidjan).

C’est cette bretelle non bitumée, longue d’environ 1500 mètres, qui occasionne la grande poussière de ciment. Tous les jours, les camions-toupies des deux entreprises déversent, sur cette piste, les restes de bétons à leurs retours de livraisons sur les différents chantiers immobiliers d’Abidjan. C’est ce mélange de sable et de ciment séché qui s’élève sous forme de poussière au passage des véhicules et polluent tous les environs. Il y a désormais un dépôt permanent de poudre de béton sur les chaussées de l’autoroute sur une distance d’environ 3 Km.

Face à ce scandale, la population se tourne vers le gouvernement. « Il faut que les autorités publiques arrêtent cette pollution. C’est un scandale », tonne un chauffeur de taxi. Meïté Issouf, la cinquantaine, est exaspéré par la fâcheuse poussière. En tant que conducteur de taxi, il est amené à emprunter tous les jours cette route. Il se sent donc une grosse victime de cette pollution « inacceptable ».

Que le gouvernement y mette fin

Pour beaucoup, ce scandale n’a que trop duré. « Il faut obliger les deux producteurs de béton à mettre du bitume sur le passage qu’ils ont créé. Je ne crois pas que cela soit hors de leur portée. Ils en ont les moyens. C’est une situation qui n’est pas du tout normale. Il faut que le gouvernement y mette fin », réclame Meïté Issouf.

Cette grande poussière des producteurs de béton constitue d’autant plus un réel danger pour la circulation qu’elle réduit considérablement la visibilité sur cette voie très passante. C’est d’ailleurs l’une des principales raisons des complaintes des usagers.

Koffi Yao Jean-Paul, agent à Multicourses, une entreprise de distribution de courriers, le relève : « La poussière est un véritable danger. Elle est la cause de nombreux embouteillages ici. Très souvent, nous ne voyons rien à cause de cette poussière. Le plus grave, c’est qu’il ne s’agit pas d’une simple poussière, mais de poussière de ciment. Donc particulièrement nocive pour la santé ».

Pour lui, il est temps que le gouvernement arrête cette pollution. Oui, « il faut que ça s’arrête maintenant », se plaint aussi l’un des responsables de la société de Btp, victime de la pollution. « Le béton que leurs camions déversent tous les jours sur la piste envahit notre cour intérieure à chaque fois qu’il pleut », explique-t-il.

Ce préau dressé au centre de santé de la Fondation Didier Drogba dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 est couvert de cette poussière de ciment. (Photo: Julien Monsan)
Ce préau dressé au centre de santé de la Fondation Didier Drogba dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 est couvert de cette poussière de ciment. (Photo: Julien Monsan)



Un grave problème de visibilité

A propos de l’impact négatif de cette pollution sur la sécurité routière, nombre de personnes constatent que cette grande poussière aggrave les risques de collision sur cette voie accidentogène. De nombreux accrochages ont été favorisés par la mauvaise visibilité conjugués avec l’imprudence des conducteurs. Et dire que les balayeuses des sociétés de gestion des ordures sont appelées chaque jour à racler cette lourde poussière !

Les usagers de cette voie les regardent chaque matin, enveloppées de cette poussière suffocante. Un vrai calvaire. C’est « un vrai enfer pour ces pauvres femmes », s’exclame Alain Traoré, directeur des études au collège Saint Augustin de Yopougon-Koweit. Il estime que leur employeur doit leur épargner « cette pénibilité du travail » en utilisant plutôt des engins balayeurs à cet endroit de la voie express. Lui aussi en appelle à la diligence des autorités publiques pour que cette pollution prenne fin. Du côté des producteurs du béton, on ne se croit pas responsables de la situation.

Le Pdg de Sibéton, Amri Youssef, estime qu’ils ne sont pas les seuls à emprunter la piste incriminée. Il pense qu’on devrait poster des policiers pour empêcher que les autres véhicules l’utilisent.

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Bitumer la fâcheuse bretelle

Personne ne comprend vraiment l’indifférence des autorités administratives face à cette affaire de grande pollution sur la voie express Adjamé-Yopougon. Si elles estiment qu’elles ne peuvent pas délocaliser les deux entreprises mises en cause, on pense qu’il est quand même possible qu’elles leur demandent, au moins, de poser du bitume ou des pavés sur la bretelle à l’origine de la grande poussière.

Cette bretelle doit être bitumée. (Photo : Julien Monsan)
Cette bretelle doit être bitumée. (Photo : Julien Monsan)



Ces entreprises en ont les moyens. Il suffit de le leur demander pour qu’elles exécutent. Nombre d’usagers en sont convaincus. « Ils ont du ciment. Et ils produisent du béton. S’ils ne peuvent pas mettre du goudron, ils peuvent y mettre au moins du pavé », suggère Meïté Issouf, chauffeur de taxi.

Cet usager a d’autant plus raison que les deux sociétés ont pris soin de tirer des dalles de béton dans leurs cours intérieures. D’ailleurs, elles procèdent ainsi pour toutes les terres qu’elles gagnent sur la lagune.

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Un danger réel pour la santé

Interrogé sur la question de la pollution de la baie du Banco, le sous-directeur du Laboratoire central de l’environnement du Centre ivoirien antipollution (Ciapol), Professeur Yapo Ossey Bernard, a donné des explications, entre autres, sur sa dangerosité pour la santé.

Il fait savoir que les poussières véhiculent autour des sites de production du béton des particules fines (Pm) de tailles différentes, selon le type de poussière. Celles-ci « pénètrent en profondeur dans les poumons. Elles peuvent être à l’origine d’inflammations, et de l’aggravation de l’état de santé des personnes atteintes de maladies cardiaques et pulmonaires. De plus, elles peuvent enrober et transporter des composés cancérigènes jusque dans les poumons », explique-t-il. Il est connu, entre autres, que l’inhalation prolongée constitue un gros risque.

Les médecins parlent de risques d’irritations oculaires, de rhinites, de bronchites chroniques, d’atteinte de la fonction respiratoire, etc. Pour l’implantation d’unités aussi nocives au plan environnemental, dans une zone écologique (parc du Banco, embouchure rivière du Banco-lagune), a-t-on mené une étude d’impact environnemental ?

La poussière du ciment empoisonne l’air de manière permanente sur l’autoroute du nord, à la baie du Banco. (Photo : Poro Dagnogo)
La poussière du ciment empoisonne l’air de manière permanente sur l’autoroute du nord, à la baie du Banco. (Photo : Poro Dagnogo)



Le Professeur Yapo n’en sait rien. « Je n’ai pas connaissance d’une étude environnementale concernant ces deux entreprises. Mais c’est ce qui devrait être fait (...) », répond-il. Et ce qui devrait être fait consiste en « une étude d’impact environnemental et social assortie d’un Plan de gestion environnemental et social (Pges) sous l’autorité de l’Agence nationale de l’environnement (Ande). Ensuite, avant la mise en fonction des unités, les promoteurs devraient pouvoir faire leurs déclarations au Ciapol pour se faire délivrer leurs actes administratifs », explique le Professeur Yapo Ossey Bernard.

Mais l’expert en pollution convient que l’élément à la base de la pollution, à savoir la bretelle que les deux entreprises ont créée, « pourrait être quelque chose d’imprévu dans les investigations en vue de l’implantation des deux entreprises, mais qui crée plus d’impacts négatifs ». Qu’à cela ne tienne ! « Cela peut être corrigé ». Alors, le Ciapol a-t-il pouvoir d’arrêter ce scandale de la baie du Banco ?

La réponse du Professeur n’est pas très encourageante. « Si scandale il y a, le Ciapol devrait l’arrêter. Une procédure de mise en demeure pourrait être enclenchée. Mais tout dépend aussi des forces en présence. Les populations ou les Ong pour la protection de la forêt du Banco. Certaines choses peuvent échapper à l’autorité, mais peuvent être rattrapées suite à des plaintes récurrentes », déclare-t-il.

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Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?

Comment peut-on laisser des entreprises polluer aussi gravement l’environnement ? Qu’est-ce qui se passe ? Les sociétés Abeille Béton et Sibéton sont-elles si puissantes qu’on ne peut leur demander d’arrêter de jeter leurs effluents pleins de ciment et autres produits chimiques dans la lagune ? Nous croyons que non.

Il lui suffit d’exiger des responsables des deux entreprises qu’ils mettent du bitume sur le passage qu’ils ont créé. Cela permettra d’éviter que la lagune continue d’être polluée par les eaux chargées de ciment et autres produits chimiques divers.

A leur retour de livraison, les camions-toupies déversent les restes de béton sur la piste incriminée. (Photo : Julien Monsan)
A leur retour de livraison, les camions-toupies déversent les restes de béton sur la piste incriminée. (Photo : Julien Monsan)



Cela permettra aussi d’éviter qu’il y ait, un jour, un carambolage mortel à cause de la mauvaise visibilité à cet endroit du fait des nuages de poussière. Cela permettra encore d’éviter que les employés de la société d’enlèvement d’ordures, Eco Eburnie, inhalent le ciment. Car ce sont elles qui sont commises à l’enlèvement de l’épais dépôt de poudre de ciment, au balai manuel.

Inadmissible, n’est-ce pas, en ces temps modernes ! Et puis, demander à une entreprise, d’arrêter de polluer l’environnement, n’est-ce pas faire preuve de responsabilité en matière de développement durable ? Surtout que la Côte d’Ivoire a pris d’importants engagements sur le plan international en matière de protection de l’environnement.

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Un crime contre l’activité touristique

Dans un passé pas lointain, la baie du Banco rimait avec le tourisme. La visite aux légendaires lavandiers (Fanico) était en bonne place dans les circuits qu’offraient les tour-operators en Côte d’Ivoire, avec la bienveillance du département gouvernemental du tourisme.

Aujourd’hui, qui oserait envoyer des touristes étrangers regarder les lavandiers au Banco ? Non seulement ces derniers pataugent désormais dans la boue, mais aussi leur espace est couvert en permanence par la poussière de ciment. Pas sûr que les visiteurs de la Côte d’Ivoire acceptent « le tourisme de poussière ».

La rivière de la forêt du banco qui se jette, à ce niveau, dans la lagune, est malmenée par ses dangereux voisins que sont les deux entreprises productrices de béton prêt à l’emploi. Leurs effluents nocifs sont déversés directement dans la rivière et la lagune. De plus, la visite du parc national du Banco est devenue problématique.

A cause de la pollution, tout l’environnement immédiat de la baie du Banco est enveloppé de poussière. (Photo : Julien Monsan)
A cause de la pollution, tout l’environnement immédiat de la baie du Banco est enveloppé de poussière. (Photo : Julien Monsan)



En effet, les randonneurs déplorent la poussière qui est en permanence dans les airs au niveau de l’entrée principale. Ce site se trouve du côté de l’autoroute du Nord, au niveau de la station-service Shell. C’est un don du gouvernement japonais.

Le parking, la pelouse, les bâtiments et les autres aménagements de cet espace n’échappent pas à la poussière blanche. Les randonneurs qui viennent là les week-ends regardent cette fâcheuse pollution d’un mauvais œil. Bernard Gossé, la quarantaine, un habitué de la forêt du Banco, en fait partie. Sa désolation est grande. Son souhait est que le gouvernement mette fin à « ce crime ».

Pour Gossé, et pour nombre de visiteurs du parc national du Banco, le gouvernement doit protéger cette forêt contre toute forme d’agression. Notamment cette poussière de ciment. « Ce serait une bonne chose pour l’écotourisme », clame-t-il.



Le 05/01/21 à 17:29
modifié 05/01/21 à 17:29