Afia Mala (Artiste chanteuse togolaise) : « ‘’Identité’’ est un appel au retour aux sources »

Afia Mala en concert à Abidjan. (DR)
Afia Mala en concert à Abidjan. (DR)
Afia Mala en concert à Abidjan. (DR)

Afia Mala (Artiste chanteuse togolaise) : « ‘’Identité’’ est un appel au retour aux sources »

Afia Mala, enfin, vous donnez de vos nouvelles
C’est avec beaucoup de plaisir que je me retrouve ce jour (Ndrl 10 décembre) à Fraternité Matin dont ma dernière visite remonte en 1987. Et bien Afia Mala est bien là, elle travaillait à sortir un nouvel album lorsque la pandémie du Coranavirus est venue tout arrêter. Je me suis donc occupé autrement à travers les activités de ma Fondation. J’ai donc mis à profit ce temps pour me rapprocher des enfants que trop souvent mes tournées ont éloigné de moi. Mais j'ai continué à travailler sur mon nouvel album qui sera accompagné par un film documentaire sur l’identité africaine qui sous-tend justement mon nouvel album baptisé ‘’Identité’. Je suis donc à Abidjan pour présenter cette œuvre à la Côte d’Ivoire qui a vu naitre véritablement ma carrière avec la chanson ‘’Es La Mana’’ arrangée par Boncana Maïga.

Votre album sort dans un contexte de Covid 19 toujours d’actualité. Étiez-vous impatiente de revenir au-devant de la scène musicale ?
Cette sortie est une sorte de résilience face à la pandémie. La Covid-19 est bien une réalité, mais elle ne doit pas nous empêcher de vivre. Désormais, nous devons apprendre à vivre avec ce mal. Par cette sortie, je voudrais dire qu’il faut garder espoir et continuer de sourire à la vie car demain sera forcément meilleur.

Que révèle ‘’Identité’’ votre nouvel album de 6 titres ?
Identité est tout simplement un appel au retour aux sources. Nous avons laissé depuis fort longtemps nos coutumes nos cultures. Notre façon de vivre en Afrique. Nous avons une histoire, nos héros, nos rois et reines. Il est temps que les Africains, plus particulièrement ceux de la nouvelle génération, s’approprient cette histoire et ses valeurs afin de construire demain. L’Afrique est riche de valeurs et de cultures. C’est à nous, Africains, de faire la promotion de toute cette richesse culturelle.

Quelle est la coloration musicale de cette nouvelle œuvre ?
L’Opus est une fusion de musique africaine qui s’ouvre sur des influences d’autres cultures musicales du monde. J’ai mis donc en avant plus d’instruments traditionnels. J’ai travaillé avec des jeunes artistes ainsi que d’expérimentés et talentueux musiciens comme Toumani Diabaté, virtuose de la Kora. Tu trouveras aussi des violonistes et de la contrebasse. C’est l’Afrique mélodieuse qui se retrouve dans un partage de cultures avec l’extérieur. Le message qui induit cette démarche est de dire que qu’on ne peut bâtir notre Afrique nouvelle tout seul. C’est ensemble, en s’ouvrant aussi sur l’extérieur que nous arrivons à bâtir une Afrique avec ses spécificités propres à elle. C’est donc cette identité que je prône à travers ‘’Identité’’.

Peut-on dire que ce brassage culturel est le fait des expériences tirées de vos voyages, notamment ce passage historique à Cuba avec l’Orquesta Aragon en 2008 ?
Effectivement. Vous savez, je suis partie jouer à Cuba en 2008 avec l’Orquesta Aragon. J’ai chanté en espagnol et les cubains ont chanté en Mina, ma langue maternelle. J’ai découvert un peuple qui a des similitudes culturelles avec l’Afrique sur le plan de l’organisation de la société, la famille, la religion et autres. Ce fut vraiment une expérience enrichissante. C’est pour vous dire que nous avons, avec beaucoup peuples, les mêmes racines. Ce brassage culturel se manifeste bien dans cet album où j’ai chanté en plusieurs langues : le mina, l’espagnol, le malinké et le soussou dans des titres comme Ena (Soussou) et Djarabi (Malinké) par exemple.

Quelles sont les thèmes que vous développez autour de l’identité africaine dans cet album ?
Je développe les quatre éléments de la vie : l’eau, l’air, sans lesquelles nul ne peut vivre, la terre, notre divine mère nourricière et le feu en référence à nos héros, nos cavaliers, nos forgerons qui façonnent par l’action du feu. Toutes ces images gravitent autour du thème principal qui est le retour aux sources pour s’approprier le vécu passé de l’Afrique et construire l’Afrique d’aujourd’hui. Il y a eu l’esclavage et la colonisation qui ont emporté toutes nos valeurs ancestrales. Aujourd’hui encore, cette colonisation nous est imposée sous diverses formes, politique, économique et culturelle. Il nous appartient, nous les anciens, d’enseigner ces valeurs et les sauvegarder pour les générations futures.

La salsa, votre musique de prédilection, n’est pour autant pas abandonnée ?
Effectivement. A travers la Salsa, je réalise de vieux rêves. Je ne voudrais pas faire un cours d’histoire, mais on peut dire que de par l’histoire, nos aïeux ont connu une bonne part de la culture latino-américaine. La Salsa vient justement de là-bas. Quand on se réfère un peu à la musique togolaise, on retrouve ces pas, ces rythmes latino-américains. J’ai quitté mon pays; je suis partie à la rencontre de ces gens qui ont créé ces rythmes. Mon répertoire s’inspire de ces traditions. Et c’est évidemment Cuba qui est la Mecque de la Salsa. Un pays où je passe beaucoup de temps et qui possède les meilleurs musiciens et les studios de production les plus performants.

Vous êtes considérée comme une pionnière de la musique togolaise moderne. Quel regard jetez-vous sur cette musique et, de façon générale, sur la musique africaine ?
J’ai fait ma part pour mon pays. Si on le pense ainsi je l’accepte avec fierté et je suis heureuse d’avoir contribué à faire connaitre la musique togolaise partout dans le monde. Aujourd’hui cette musique, tout comme la musique africaine, a beaucoup évolué grâce à de nouveaux talents, tous très jeunes. Les plus anciens ont quitté la scène certainement à cause de l’absence de producteurs et d’éditeurs et la piraterie qui handicapent de nombreux artistes. Il faut de tout pour faire un monde. On ne peut pas rejeter du revers de la main les nouvelles tendances musicales. Cependant, j’exhorte la nouvelle génération au travail, à s’inspirer de ce qui a été fait par le passé pour tracer sereinement leur chemin.

Afia Mala c’est aussi plus de 40 ans de carrière
On a fait du chemin. De l’Afrique aux Caraïbes en passant par l’Asie et l’Europe, j’ai beaucoup tourné, avec au bout, 9 albums dans ma carrière qui a débuté en 1974 et matérialisé en 1979 avec la sortie de mon premier album ‘’Djalélé’’. Ensuite suivront ‘’Lonlon Viye (1981), ‘’Desir (1984), Es La Mañana (1987), ‘’Prophétie’’ (1995), ‘’Angelina’’ (1997), ‘’Plaisir’’ (2003), ‘’Afia à Cuba’’ (2008) et aujourd’hui après une pose, pour m’occuper de ma famille et ma fondation ‘’Vie et Vivre’’ que j’ai créée en 2004. Nous œuvrons dans le social et l’humanitaire (construction d’écoles, bibliothèques et assistance aux couches défavorisées et vulnérables de la société). Aujourd’hui, je suis de retour sur la scène musicale avec ‘’Identité’’. Qui est une suite logique de mon engament pour la promotion de l'Afrique, de ses valeurs, sa culture, son histoire et sa diversité.

Avez-vous aujourd’hui le sentiment du devoir accompli ?
J’ai fait beaucoup de choses, j’ai sillonné beaucoup de pays et j’ai rencontré beaucoup de personnalités grâce à ce métier. Si je regarde dans le rétroviseur pour revoir mes débuts, les difficultés, les angoisses de ce métier, je peux dire que oui, j’ai beaucoup évolué. Mais on ne peut pas encore dire mission accomplie. Je pense qu’il me reste encore beaucoup de choses à faire et à donner.

La retraite n’est donc pas pour demain ?
Malgré les difficultés, il ne faut pas se décourager. Aujourd’hui, je suis comblé par le chemin artistique que j’ai pris. Je chanterai jusqu'à la fin de ma vie. Je voudrais dire à mes frères et sœurs de tenir bon. D’aller toujours de l’avant, car demain sera certainement meilleur. Mon vœu le plus cher est que 2020 parte avec son corollaire de malheurs et que 2021 s’ouvre sur le meilleur pour chacun de nous.

Interview réalisée par SERGES N’GUESSANT