Hommage : Giscard, le polytechnicien devenu Président, s’en va

Valerie Giscard d'Estaing, l'ex-président de France décédé le 2 décembre 2020. (DR)
Valerie Giscard d'Estaing, l'ex-président de France décédé le 2 décembre 2020. (DR)
Valerie Giscard d'Estaing, l'ex-président de France décédé le 2 décembre 2020. (DR)

Hommage : Giscard, le polytechnicien devenu Président, s’en va

Le 04/12/20 à 13:45
modifié 04/12/20 à 13:45
Hier, entouré des siens, Valerie Giscard d'Estaing, l'ex plus jeune Président de France, en 1974, à 42 ans, s'est éteint le 2 décembre à 94 ans, victime du coronavirus.
Au château de l’étoile, dans la commune d’Authon en France, Valérie Giscard d’Estaing, parvenu au pouvoir à 42 ans en 1974, a rendu l’âme mercredi dernier. Le nom de ce Président français résonnera comme un vague écho dans les mémoires des plus jeunes, puisqu’il y a 39 ans qu’il avait quitté le pouvoir au sommet, en 1981, battu par un politique intrépide, le socialiste François Mitterrand.

Après lui, vinrent quatre autres présidents : Jacques Chirac décédé le 26 septembre 2019 ; Nicolas Sarkozy évincé par le socialiste François Holland, et celui qui est considéré comme le plus jeune Président que la France ait eu, Emmanuel Macron, arrivé au sommet de l’État à 40 ans, le 16 mai 2017. Un peu comme celui que pleure la France aujourd’hui, dont hommage lui a été rendu hier, par celui qui dirige la France.

Vaste chorus

De Valérie Giscard d’Estaing, tout sera dit, et si bien dit, comme un vaste chorus qui portera l’essence même des hommages, comme en témoignent ces quelques extraits de la classe politique française et européenne. Il fut celui dont « le septennat transforma la France » (Emmanuel Macron) ; celui-là même qui aura marqué la politique culturelle française pour avoir transformé l’ancienne gare d’Orsay en Musée.

C’est « un geste patrimonial et architectural d’une grande audace » (la présidente de l’établissement public, Laurence des Cars) ; celui aussi « (d’un) homme libre qui a fait entrer la France dans la modernité» (Eric Dupond-Moretti, ministre de la Justice); «un grand réformateur, un grand européen, un homme d’État», Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Education nationale.

Pour Jean Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne, il aura «été à l’origine de mesures que les jeunes tiennent pour éternelles comme le droit au divorce, le droit de l’avortement... ou le TGV », etc.

Comme des principes

Moi, j’ai voulu feuilleter à nouveau son livre-confession, son autobiographie politique, Le pouvoir et la Vie, paru en livre de poche et m’en tenir à ce que lui-même dit de lui, de son expérience d’homme politique, ce qu’il en a tiré comme réflexion.

Le but de ce livre ? Faire partager ce qu’il a vécu au pouvoir et « réduire l’ignorance du public sur la réalité du pouvoir ». Il se lit comme un testament politique, un livre à lire pour découvrir les faces d’ombres et de lumières des allées du pouvoir pour comprendre : « Celui qui exerce le pouvoir reste un être humain bâti sur le même modèle que vous. L’exercice de la fonction modifie certaines habitudes ou crée certains réflexes, mais l’architecture de l’être, son système musculaire et nerveux, ses pulsations cardiaques, les ressources de sa mémoire demeurent identiques à ceux des autres femmes ou des autres hommes ». Il n’existe pas « un darwinisme fulgurant du pouvoir ». D’où, l’importance, chez lui, de ces trois points, essentiels.

De l’éthique et des promesses

D’abord, l’importance de l’éthique dans l’exercice de la fonction présidentielle, « c’est-à-dire, l’ensemble des règles écrites et non écrites qui encadrent les actes du pouvoir : le désintéressement financier, le respect de la dignité de la fonction, le refus des nominations complaisantes ou dictées par l’esprit de clan, la pratique de la tolérance et de la solidarité ».

Ensuite, la relation entre les promesses électorales et la réalité des décisions qui seront prises, une fois que le candidat sera installé au pouvoir. « Chacun le sait, qu’il existe une grande distance – calculable en années-lumière entre les promesses et les actes... Et pourtant, les « programmes » électoraux gardent un poids important dans le choix des électeurs, même s’ils sont appelés à se déclarer par la suite déçus ou trompés ». Et de dire : « Il convient de prendre les promesses électorales pour ce qu’elles sont : elles n’ont pas d’autres objets que de répondre aux demandes des électeurs, et de faciliter ainsi votre élection. Elles s’inscrivent dans la culture de la société de consommation(...) ».

Aussi ironise-t-il : « Lorsque j’ai entendu François Mitterrand déclarer, au cours d’un débat de la campagne de 1981 « Si je suis élu, je m’engage à créer dans la première année de mon septennat un million d’emplois pour les jeunes », j’en ai eu le souffle coupé... Pourquoi un million, et pas un million deux cent mille ou huit cent mille ? D’où venait ce chiffre ? Mystère. Et comment pouvait-il affirmer « je m’engage à créer... » ?

Un président de la République n’a guère le moyen de créer des emplois, à moins de gonfler les effectifs de la Garde républicaine, ou d’inviter le gouvernement à se lancer dans un programme non financé de création d’emplois publics... Peu importe : la promesse était là, et elle a sans doute joué un rôle dans le résultat de l’élection. Mais l’année suivante, en dépit d’elle, le nombre des chômeurs a augmenté ». Moralité : « Ce ne sont pas les promesses électorales qui ont valeur d’engagement, mais elles s’inscrivent dans une tendance, ou une préférence personnelle. Et c’est cette tendance qui, le moment arrivé, prendra la place de la promesse ».

Et c’est ce qui lui fait dire : « En analysant la longue litanie des promesses, les électeurs doivent s’efforcer de détecter si celles-ci sont conformes à la pente sur laquelle se situe le candidat. S’il est élu, aucune des promesses faites à contre-courant ne sera tenue. C’est pourquoi l’inclination, la « pente personnelle » du candidat, a davantage valeur d’engagement que ses annonces ».

Pour bien choisir

Derniers principes : la recherche du caractère intime de la personne, de la manière dont le candidat élu vivra l’exercice futur de la fonction ; ce qu’est « l’emploi » du président de la République. Ayant travaillé aux côtés du général De Gaulle, il remarqua ceci : « J’ai pu observer sa force d’âme, son courage inébranlable, mais aussi assister à ses moments d’émotion, lors de la mort de son frère, et même déceler... les poussées de timidité qui faisaient battre ses paupières... Vous ne l’observez pas seulement en train de parader dans les manifestations officielles, lisant des textes souvent écrits par d’autres, maquillé pour ses apparitions à la télévision, ou encore multipliant les poignées de main, vous le découvrirez dans ses moments de doute, de solitude, parfois de fatigue physique ; au moment où il s’interroge sur les décisions à prendre, en se ressourçant à la lecture des mémoires de ses prédécesseurs... »

Ses conseils au public, alors : « En pensant à celle ou celui que vous aurez à désigner, vous devrez prendre en compte l’art et la manière dont il poursuivra sa vie réelle, une fois installé au pouvoir, car c’est ce qui déterminera sa véritable aptitude à remplir la fonction et sa capacité à faire face aux situations de crise ». Aussi terminera-t-il sur ces mots qui donnent à réfléchir : « En identifiant la personnalité intime du candidat, en relativisant la portée de ses promesses et en vous préoccupant du contenu de son éthique, vous pourrez, je crois, mieux le choisir ; je veux dire : bien le choisir. »

Son séjour en Côte d’Ivoire

Dans ce livre de souvenirs, qui retrace son vécu du pouvoir, dans cette « biographie écrite au futur » pour le public, « sans rancune et sans retenue », il évoque son voyage en Côte d’Ivoire, du 11 au 15 janvier 1978, à l’invitation de Félix Houphouët-Boigny : l’accueil triomphal, « une véritable apothéose ».

Aux critiques de l’Afrique, ces piques : « Á ceux qui ont une vision critique et simplificatrice de l’Afrique, je dirai que l’organisation de cette manifestation était parfaite, presque méticuleuse... Le président Houphouët-Boigny vivait un moment de bonheur intense ».

Une anecdote à mourir de rire : « En venant à Yamoussoukro, cette ville que le président Houphouët-Boigny appelait son village et dont les urbanistes avaient fait une cité moderne aux avenues largement percées, je caressais l’idée que le président accepterait de me faire découvrir le site authentique de son origine, l’endroit où il avait passé son enfance, où étaient ensevelis ses proches, et où, comme il me l’avait raconté, ceux-ci continuaient de vivre dans un monde souterrain, à deux mètres environ au sous le sol, entourés des soins des serviteurs qui les avaient accompagnés, et qui avaient librement accepté pour cela - aidés par une forte dose de boissons alcoolisées - d’être sacrifiés...

Le président Houphouët-Boigny, avec l’intuition des Africains, avait perçu ma curiosité mais était décidé à ne pas lui donner suite. Il répondait à ma demande par un sourire figé, le rideau de ses paupières à demi rabaissé sur les yeux : « Je serai heureux de vous montrer les tombes de mes ancêtres. Mais c’est un peu loin d’ici. Cela nous prendrait trop de temps. Il faudra revenir, et je vous y conduirai... ».

De ce séjour en Côte d’Ivoire, je me rappelle encore, vaguement, la conférence de presse de Valérie Giscard d’Estaing avec la presse nationale qui fut écourtée, à cause des questions à son hôte jugées inopportunes par Houphouët-Boigny. Il fut même raconté aussi que plus tard, un journaliste ivoirien, ayant osé le nommer de ses initiales VGE, comme le faisaient ses confrères occidentaux, fut bien sermonné par FHB.

Valérie Giscard D’Estaing, le polytechnicien devenu président, s’en va. Avec sa face de lumière et d’ombre, notamment sur les fameux diamants de Bokassa, à propos desquels, interrogé dit-on par un journaliste, il aurait répondu en ces termes : « Il faut laisser les choses basses mourir de leur propre poison ».

Ainsi meurent aussi les grands hommes, qui ont façonné à leur manière le monde.


Le 04/12/20 à 13:45
modifié 04/12/20 à 13:45