Lutte contre la déforestation : De nouvelles techniques pour préserver la forêt ivoirienne

Le producteur est heureux du rendement de la nouvelle variété de cacao bio. (Dr)
Le producteur est heureux du rendement de la nouvelle variété de cacao bio. (Dr)
Le producteur est heureux du rendement de la nouvelle variété de cacao bio. (Dr)

Lutte contre la déforestation : De nouvelles techniques pour préserver la forêt ivoirienne

Le 21/10/20 à 18:26
modifié 21/10/20 à 18:26
La lutte contre la déforestation est au centre des actions des populations de la région de la Mé. Celles-ci ont opté pour de nouvelles pratiques de préservation de leur patrimoine forestier.
Chaussé de bottes, machette en main, Obou Herman David affiche ce matin un air joyeux. Sur sa parcelle d’un hectare, où nous l’avons rencontré le 14 septembre dernier, dans la forêt de Diasson, village situé à 27 km d’Adzopé, ce planteur respire la grande forme. C’est avec une certaine fierté qu’il parcourt du regard sa plantation qui a retrouvé un second souffle. Le rendement de la nouvelle variété de cacao bio, est visiblement satisfaisant.

Le planteur avait bien des raisons de se réjouir, car l’ancienne plantation qui perdait sa fécondité d’années en années, a fini, au bout d’un demi-siècle d’exploitation, par être ‘’ménopausée’’. Une centaine de kg à peine de fèves y sont récoltées sur cette propriété familiale de trois hectares. Alors, le septuagénaire et sa famille décident de s’infiltrer dans la réserve de Mabi Yaya, une forêt vierge de 65. 000 ha située à quelques encablures du village pour y implanter un nouveau verger.

Assis sur un tronc d’arbre et humant de l’air frais, le vieux cacaoculteur avoue regretter cette tentative : « Nous nous sommes infiltrés dans la forêt classée en vue d’y créer une plantation, car la terre y était très fertile. Les productions peuvent atteindre 600 kg /ha, mais le risque est qu’à tout moment, les agents de la Sodefor peuvent surgir et mettre fin aux activités agricoles interdites dans cette forêt ».

La valorisation des systèmes agroforestiers pour lutter contre la déforestation. (Dr)
La valorisation des systèmes agroforestiers pour lutter contre la déforestation. (Dr)



Obou Herman reconnaît que les activités agricoles dans cette forêt classée constituent la principale cause de la déforestation. « Tout le monde connaît, aujourd’hui, le rôle important que jouent les arbres dans la vie. Malheureusement, nous les avons détruits pour faire des plantations de cacao de 3 ha voire plus », confesse le vieux planteur.

Selon des témoignages recueillis dans ce village de 5000 habitants, la majorité des producteurs s’étaient installés dans les forêts classées où ils obtenaient des productions record : 5 à 40 tonnes de cacao par plantation. Ce sont ces plantations nichées dans la forêt de Mabi Yaya, qui provoquent sa rapide dégradation.

Achi Joseph, président de la mutuelle de Diasson déplore également cette déforestation, tout en donnant les raisons : « Les populations disposent de très peu de terres. Ce qui les contraint à investir les forêts classées à la recherche de superficies plus grandes et aux rendements meilleurs ».

« Agriculture Zéro déforestation », pour une gestion durable des forêts

Face à l’inquiétante dégradation des forêts, le secrétariat exécutif permanent de la Redd+ (Réduction des émissions provenant du déboisement et de la dégradation des forêts) a bénéficié d’un financement de 1,6 milliard de FCfa du Contrat de désendettement et de développement (Cd2). Cet appui a permis d’initier un projet-pilote dans la région de la Mé, lequel s’inscrit dans le cadre de « Agriculture Zéro déforestation » de la Stratégie nationale Redd+.

L’initiative vise à préserver les forêts de la région de la Mé afin d’améliorer les conditions de vie des populations riveraines. Le projet s’attaque aux facteurs et causes de la déforestation ; notamment l’exploitation agricole illégale, l’utilisation du bois comme source d’énergie. « Nous avons aidé des producteurs à régénérer leurs vieilles parcelles de cacao. Quant à ceux qui étaient installés dans les forêts classées, nous avons, à travers notre approche, réussi à les faire sortir de là et de reprendre en main leur plantation. Cette mesure permet d’apporter une plus-value au cacao bio », a fait savoir Ouattara Zana, point focal du Projet Redd+ de la Mé.

Grâce à cette initiative, plusieurs producteurs ont quitté la forêt classée pour reprendre leurs vieilles plantations. En accompagnant le producteur dans la régénération de sa parcelle pour une plus-value, le projet contribue à le maintenir sur sa parcelle. Cette politique met logiquement un frein à la déforestation dans la région, soutient le coordonnateur. Par ailleurs dans la mise en œuvre de ce projet, les planteurs bénéficient de mesures incitatives, notamment une prime d’agroforesterie pour les systèmes agro forestiers (prime bio de 400 FCfa/kg pour le planteur et une prime agroforesterie de 100 FCfa/kg pour toute culture cacaoyère de plus de 30% de couvert forestier).

La mesure est bien appréciée par les producteurs. C’est le cas de Kouassi Kouassi Jean, de la coopérative des producteurs de cacao bio de la région de la Mé, section Diasson, qui s’en félicite : « Nous avons été formés à l’agriculture biologique. Nous sommes satisfaits de l’augmentation de la production de nos champs. Nous avons repris courage, grâce à la formation reçue de la Redd+. Nos champs ont pris de nouvelles allures ».

Plusieurs producteurs ont quitté la forêt classée pour reprendre leurs vieilles plantations. (Dr)
Plusieurs producteurs ont quitté la forêt classée pour reprendre leurs vieilles plantations. (Dr)



Techniques de reboisement

La valorisation des systèmes agro forestiers n’est pas le seul moyen de lutte contre la déforestation. Par le truchement de la Redd+, plus de 2600 producteurs ont bénéficié de plus de 370 ha de reboisement. C’est le cas de Kouadio Etienne qui a relancé sa parcelle créée il y a plus de 10 ans et momentanément laissée à l’abandon. « Je suis heureux d’avoir bénéficié d’une replantation forestière d’un ha dans le cadre de la composante reboisement et gestion durable des forêts », a-t-il dit.

Don Mathieu, du service reboisement et aménagement forestier de Tropical Bois, se félicite également de ce projet salutaire initié pour freiner l’inquiétante dégradation de la forêt. Il appelle chacun à préserver le peu de forêts qui reste et surtout à en créer de nouvelles pour les générations futures. « Si rien n’est fait, nous allons nous retrouver dans un pays désertique. Nous devons donc redonner vie à la forêt ivoirienne, la ressusciter d’autant plus que nous en tirons des ressources financières. Le site était en jachère, nous l’avons recolonisé. Il faut à présent planter pour valoriser les forêts dans l’avenir », a expliqué l’agent.

Promotion de nouvelles sources d’énergie domestique durable

La lutte contre la déforestation est de plus en plus une préoccupation pour les producteurs de la Mé, notamment à Affery situé à 27km d’Adzopé. C’est pourquoi ils ont décidé de contribuer, à leur manière, à la réhabilitation des forêts, par la valorisation des résidus organiques. Il est 16 h, ce 13 septembre 2020, lorsque nous nous retrouvons sur le site de l’unité de production de charbon bio, à partir des cabosses de cacao. On y produit du charbon bio, pour freiner l’utilisation abusive du bois de chauffe, principale source d’énergie utilisée par les populations pour leurs besoins culinaires et autres.

A Affery, les populations s’adonnent à la production du charbon bio pour freiner l’utilisation abusive du bois de chauffe. (Dr)
A Affery, les populations s’adonnent à la production du charbon bio pour freiner l’utilisation abusive du bois de chauffe. (Dr)



Coné Gaoussou, secrétaire général de l’association des Propriétaires de Forêts Naturelles et Plantations d’Afféry en explique le processus de fabrication : « C’est une source d’énergie pour produire du charbon. Nous allons dans les plantations recueillir les cabosses laissées en puits perdu, parfois comme source d’émission de méthane une fois qu’elles se décomposent à l’air libre. Nous les récupérons pour les faire sécher sur notre site. Nous les enfouissons après, dans notre unité de production, pour en faire du charbon bio ».

Les populations d’Affery et celles des localités environnantes ont adhéré à cette nouvelle méthode de lutte contre la déforestation, qu’est la cuisson des aliments sans coupe de bois. Clarisse Kouamé, une restauratrice venue passer sa commande sur le site, témoigne : « Depuis que j’utilise le charbon bio, je suis à l’aise. Il présente beaucoup d’avantages. Une petite quantité en effet suffit pour faire toute ma cuisson. En plus, il n’est pas salissant, il est durable (le sac dure environ deux semaines). Il est surtout économique, contrairement au charbon de bois ».

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Colonel Tondossama Adama (Directeur général de l’Oipr) : « Nous assurons la protection de l’espace forestier »

Colonel Tondossama Adama, directeur général de l’Oipr. (Dr)
Colonel Tondossama Adama, directeur général de l’Oipr. (Dr)



L’installation des populations dans les forêts classées de Mabi Yaya ne laisse pas les acteurs du monde forestier indifférents. Le colonel Tondossama Adama, Directeur général de l’Office ivoirien des parcs et réserves (Oipr), assure que le projet Redd+ a permis la conduite de plusieurs actions ; ces quatre dernières années : notamment la sensibilisation des populations à la conservation de ces deux forêts classées et surtout à utiliser les meilleures pratiques en termes d’exploitation culturale.

« Au terme de ce projet, une nouvelle délimitation a été faite. Pour ce qui est de la partie protégée de Mabi et Yaya, nous l’avons transformée en une réserve naturelle après une nouvelle délimitation. L’Oipr ne gère que les réserves, mais utilise des systèmes de gestion pour la protection de cet espace forestier. C’est pourquoi nous y avons déployé des agents afin de savoir ce qui se passe à l’intérieur. En outre, ils sont chargés de collecter toutes les informations relatives aux espèces végétales et animales s’y trouvant », a-t-il expliqué.

Le Directeur général reconnait que cette réserve forestière est gérée avec l’implication des populations car, fait-il savoir, dans cette zone, il y a beaucoup de plantations de café et de cacao. « Pour aider les populations à quitter ces espaces, nous leurs apportons des appuis financiers pour la conduite des projets. Ces projets portent sur la confection de foyers améliorés, l’équipement d’écoles, de nouvelles pratiques d’agroforesterie. C’est en 2020, donc cette année, que l’Oipr a pris possession de cet espace », a-t-il précisé, tout en déplorant que la forêt classée de Yaya subit, aujourd’hui, une dégradation très forte.

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Les populations invitées à adhérer à la politique de conservation de la biodiversité

Ernest Ahoulou Kouamé, coordonnateur, secrétaire exécutif permanent de la Redd+ Côte d’Ivoire. (Dr)
Ernest Ahoulou Kouamé, coordonnateur, secrétaire exécutif permanent de la Redd+ Côte d’Ivoire. (Dr)



« Le mécanisme de Réduction des émissions de gaz à effet de serre issues de la déforestation et de la dégradation des forêts en abrégé Redd+ est une opportunité pour notre pays en matière d’harmonisation des politiques. Toutes les parties prenantes sont indispensables pour l’atteinte des objectifs fixés. C’est pourquoi, nous invitons la population et toutes les parties prenantes à adhérer à la politique de conservation de la biodiversité et à la nouvelle politique forestière. C’est un instrument au service de tous ». C’est l’invitation faite par Ernest Ahoulou Kouamé, coordonnateur, secrétaire exécutif permanent de la Redd+ (Côte d’Ivoire).

S’agissant du bilan du projet dans la région de la Mé, depuis sa mise en œuvre, le coordonnateur a indiqué qu’il a permis d’élaborer 7 Plans de développement locaux (Pdl) dans les 7 villages d’intervention du projet (Aboisso Comoé, Allosso 1, Bieby, Diasson, Kossandji, Mébifon et Mopodji), d’accompagner techniquement plus de 2600 exploitations agricoles familiales sur plus de 5000 hectares avec diverses mesures d’accompagnement dont la production de cacao bio, de reboiser plus de 360 hectares, de mettre en œuvre 5 projets d’énergie domestique durable (production de biogaz, fabrication du bio charbon, construction de fours améliorés) au profit des artisans et des femmes de la région de la Mé, et de sécuriser plus 3500 hectares à travers la délivrance de certificat foncier. « Ce projet a permis de renforcer le dialogue entre les populations, l’administration et le secteur privé sur la thématique de la déforestation dans cette région qui regorge d’importantes reliques forestières mais qui est confrontée à une forte déforestation. A l’appréciation de tous, ce projet est un succès », a-t-il soutenu.

Poursuivant, il a souligné que de façon générale, la Côte d’Ivoire a réussi à mobiliser d’importants financements pour la mise en œuvre de projets et initiatives Redd+ dans plusieurs régions. Ce, à travers le projet d’investissement forestier qui couvre les régions de la Nawa, du Cavally, de San Pedro, du Guemon, de l’Iffou, du N’Zi, du Moronou et de Gbêkê, et qui accompagnent les communautés dans le changement d’approche en matière de planification et d’utilisation de leur territoire ; la diversification de leur système de production ; la promotion de nouvelles sources d’énergie domestique durable ; le reboisement de bois d’œuvre et de bois d’énergie.



Le 21/10/20 à 18:26
modifié 21/10/20 à 18:26