Santé sexuelle/Gaby Kasongo, Conseillère technique à Psi Côte d’Ivoire: «La majorité des jeunes filles sont sexuellement actives»

Gaby Kasongo conseillère technique (Psi) Mad
Gaby Kasongo conseillère technique (Psi) Mad
Gaby Kasongo conseillère technique (Psi) Mad

Santé sexuelle/Gaby Kasongo, Conseillère technique à Psi Côte d’Ivoire: «La majorité des jeunes filles sont sexuellement actives»

Le 04/10/20 à 07:58
modifié 04/10/20 à 07:58
Le projet Maverick veut donner aux jeunes filles de 15 à 19 ans, les moyens d’améliorer leurs connaissances en santé sexuelle et reproductive. Qu’est-ce qui a suscité sa mise en œuvre ?
C’est le besoin en matière de santé de la reproduction auprès des jeunes. Cette tranche d’âge est très représentative en Côte d’Ivoire. Avec les besoins en matière de santé qui sont très criants, très peu de partenaires essaient de constituer une réponse leur permettant d’avoir les informations appropriées, afin d’avoir une santé de la reproduction ferme et une sexualité responsable. Nous avons vu les chiffres alarmants au niveau du ministère de la santé qui méritent que nous puissions leur apporter une réponse appropriée. La méthode que Psi (Population services international) utilise pour essayer de résoudre ces questions des jeunes filles, c’est essentiellement la communication.
Quel type de communication avez-vous expérimenté ?
Une communication interpersonnelle. Ce sont les canaux que nous avons utilisés pour leur faire parvenir les messages adéquats pour leurs droits en matière de santé sexuelle. L’autre pilier a consisté à les orienter vers les services de santé. C’est bien de se préparer à avoir la connaissance, mais si les besoins se font sentir parce que la majorité des filles sont sexuellement actives, il faut également les mettre en contact avec un centre de santé afin qu’elles puissent accéder aux services. Accéder au service ne veut pas dire que la jeune fille va aussitôt commencer à utiliser les préservatifs. Mais elle aura plutôt accès à un encadrement de proximité avec la sage-femme. Ce sera un acquis qui leur permettra de continuer à approfondir leur connaissance et se préserver contre tous les maux liés à la sexualité.
Quand vous faites allusion à leurs droits en matière de santé sexuelle, que voulez-vous dire ?
Le droit à l’information, le droit à la fréquentation des services de santé, comme toutes les autres personnes parce qu’elles ont les mêmes besoins que les adultes. Pour ces jeunes-là, leurs besoins sont très criants, parce qu’ils cherchent à faire l’expérience sexuelle. Alors s’ils ne sont pas suffisamment encadrés, ce sera le dérapage. Ce qui est dommage dans la vie sexuelle.
Selon les statistiques 4471 cas de grossesses ont été enregistrées en milieu scolaire au cours de l’année 2016-2017, même si les filles sont précoces, est-ce qu’il faut les encourager à y aller ? Ne faut-il pas au contraire trouver un moyen de les dissuader ?
La majorité des grossesses que nous avons révélées sont des cas de grossesses en milieu scolaire. Une jeune fille enceinte en milieu scolaire, met en cause sa scolarité, contrairement au garçon. Le garçon lui enceinte, mais ce n’est pas lui qui porte la grossesse. Il va poursuivre ses études, tandis que la fille sera gênée, et ce sera l’abandon. C’est la raison pour laquelle nous sommes en train de présenter cette stratégie pour que les jeunes filles puissent prendre conscience des dangers qui les guettent en cas de grossesse en milieu scolaire.
Comment comptez-vous-y arriver dans une société où on fait la promotion des stars du sexe sur les réseaux sociaux, une société dans laquelle nous constatons une grande dépravation des mœurs ?
Ces statistiques sont partagées avec les partenaires de mise en œuvre pour qu’ils puissent voir les dangers qui guettent les jeunes filles, aujourd’hui si nous les adultes, nous ne savons pas leur apporter une assistance appropriée au niveau de l’éducation de base à la maison. Le point de départ, c’est là-bas.
Avec le projet Maverick, nous avons compris qu’associer les parents était très important dans l’éducation des jeunes filles et des jeunes garçons. Nous avons intégré l’approche parentale pour essayer d’encourager les parents à initier, ou à renforcer le dialogue avec les enfants, autour de la sexualité, de la santé sexuelle, de la santé sexuelle et reproductive.
Nous le disons parce que l’éducation des parents commencent dès le bas âge. Les parents n'échangent pas suffisamment sur le sujet de la sexualité avec leurs enfants. J'en fais partie. Nous sommes en train de simuler cette approche de l’éducation parentale à différents niveaux.
Les parents n’en parlent certainement pas parce qu’ils préfèrent donner un modèle de vie à leurs enfants. Plutôt que de parler de méthodes de préventions ?
Aujourd’hui, on ne peut plus arrêter la force des médias sociaux. C’est à nous de nous poser des questions sur notre rôle de parents. Je ne dis pas que nous ne sommes pas en train de bien faire, mais nous ne faisons pas assez pour soutenir nos jeunes enfants en ce qui concerne les thématiques autour de la sexualité.
Nos parents et arrières parents, eux faisaient quand même l’éducation sexuelle. Une éducation selon laquelle la jeune fille devait garder sa virginité jusqu’au mariage, mais aujourd’hui, nous constatons la précocité des rapports sexuels. Les jeunes filles commencent tôt. A dix ans, onze ans, les filles ont déjà des rapports sexuels.
Nous pensons qu'il faut repenser cette valeur culturelle et discuter avec les jeunes au niveau parental. Dans le cas contraire, ces jeunes apprendrons dans la rue.
Dans cette perspective, cela pourrait laisser penser que les parents ont démissionné.
C’est pour cela que le projet Maverick cherche à redynamiser cet engagement parental afin que les parents puissent revoir le rôle qu’ils ont à jouer concernant l’éducation sexuelle des jeunes.
Cependant, nous constatons que le nombre de parents que vous avez rencontré durant la sensibilisation est très maigre. 2707 contre 11 553 jeunes filles sensibilisées dans la même période.

Les chiffres qui se trouvent dans la plaquette doivent être comparés aux objectifs. Pour les parents, nous nous sommes basés sur les regroupements qui existent dans les communautés. Nous n’avions que 9 parents mobilisateurs, dont le rôle était d’aller vers les autres parents pour les sensibiliser. Par contre, les causeries éducatives dans le milieu des jeunes filles étaient animées par plus de 30 personnes.
Les parents étaient ils réfractaires ?

Beaucoup.
Quels sont les arguments évoqués qui justifieraient leur attitude ?
Ils estiment que nous apprenons la sexualité à leurs enfants de façon précoce.
Alors qu’il n’en était pas question. Quand on regarde le contenu des messages que nous donnons aux enfants, il porte sur la contraception. Oui bien sûr, sur la sexualité responsable, comment éviter les grossesses non désirées. Comment garder sa virginité, comment gérer son cycle mensuel. Il y avait une panoplie d’informations que nous leur donnons sans leur dire quelle est la position pour avoir des rapports sexuels.
Lors des échanges, lorsque les parents découvraient qu’il s’agissait de permettre à leurs filles d’accéder au droit à l’information en matière de la sexualité, ils étaient heureux et prêts à nous soutenir.
En regardant le documentaire que vous avez présenté, à la cérémonie de clôture on avait l’impression que vous mettiez beaucoup plus l’accent sur les méthodes contraceptive.
Cela concerne les jeunes filles qui sont déjà sexuellement actives. Celles qui ne le sont pas nous leur montrons comment faire le bain intime, comment se comporter pendant les règles. Celles qui sont sexuellement actives, la voie obligée, est de leur montrer la contraception pour éviter les grossesses non désirées. Aujourd’hui, si la jeune fille a une grossesse non désirée, en Côte d’Ivoire, la loi n’autorise pas l’interruption des grossesses évolutives. La jeune fille ira faire son avortement à l’insu de ses parents. Généralement ce sont des avortements qui se font dans des conditions malsaines, à hauts risques. Ce qui fait augmenter le nombre de complications liées aux avortements « derrière nos maisons ». Il est préférable pour ces jeunes filles qui ne veulent pas tomber enceinte qu’on leur apprenne les méthodes contraceptives.
Est-ce qu'il n'est pas envisageable de donner des conseils aux jeunes filles afin de les encourager à s’abstenir avant le mariage ?
C’est pour cela que nous avons ciblé les 15 à 19 ans. Parmi elles, certaines ne sont pas encore sexuellement actives. Le message que nous leur donnons est de se préserver jusqu’au mariage.
Les religieux sont-ils associés à vos activités ?
Les religieux ont un rôle capital à jouer. Psi collabore avec un réseau de religieux catholiques, protestants, musulmans. Ils se sont regroupés autour des textes coraniques et bibliques qui nous aident à l’édification les jeunes filles. Nous travaillons aussi avec certaines catégories de la population qui sont très influentes.
A Abidjan, vous êtes présents à Abobo et Adjamé, pourquoi le choix de ces deux communes ?
C’était lié au besoin de santé en cette période. Psi n’est pas seul à choisir les sites. Nous impliquons toujours l’autorité de tutelle qui est le ministère de la santé. Qui à travers ses services spécialisés nous accompagne dans l’orientation sur une base de données fiables.
Associez-vous à votre mission la question de la dépravation des mœurs dans le milieu des jeunes.
Je pense que Psi ne peut pas tout faire. Nous nous associons à d’autres organisations locales, qui sont déjà actives dans la lutte contre la dépravation des mœurs pour voir ce que nous pouvons faire pour améliorer le statut social de la jeune fille.

Interview réalisée par Marie-Adèle Djidjé

Le 04/10/20 à 07:58
modifié 04/10/20 à 07:58