Wenceslas Assohou (Pca de l'Ong Acat- Ci): «Nous travaillons avec les autorités pour donner un visage humain à nos prisons»

Wenceslas Assohou, Pca de l'Ong Acat- Ci. (DR)
Wenceslas Assohou, Pca de l'Ong Acat- Ci. (DR)
Wenceslas Assohou, Pca de l'Ong Acat- Ci. (DR)

Wenceslas Assohou (Pca de l'Ong Acat- Ci): «Nous travaillons avec les autorités pour donner un visage humain à nos prisons»

Le 01/10/20 à 23:56
modifié 01/10/20 à 23:56
Les conditions de détention des prisonniers préoccupent de plus en plus les organisations de la société civile dont Acat-ci. Son Pca nous en parle dans cet entretien.
Depuis plus de 7 ans, vous vous évertuez à apporter secours aux prisonniers. Dans quelles conditions ces personnes vulnérables vivent-elles leur détention ?

Les conditions de vie dans nos prisons sont difficiles. Plus de 20 000 prisonniers vivent dans les 34 Maisons d’arrêt et de correction du pays ; pour une capacité totale de 7438 détenus, soit environ 250%. Vous comprenez qu'il y a surpopulation carcérale. Conséquence, les cellules ne respectent pas les standards internationaux selon les Règles Mandela en la matière. Des régisseurs déplorent que le budget prévu pour la ration journalière de chaque détenu n'est pas respecté malgré les efforts de l'État qui consent 2400 F par détenu et par jour sur les budgets alloués aux Maisons d’arrêts de correction). D’ailleurs, le budget total alloué aux établissements pénitentiaires, en 2019, était de 2 milliards 696 millions 794 mille 024 FCFA. Seuls les régisseurs qui ont de l'espace faire du jardinage parviennent à donner régulièrement de la nourriture à leurs pensionnaires. Les détenus souffrent de la promiscuité, de l'humidité. Dans certaines prisons, à plus de 60 sur moins de 4 mètres carrés, ils sont obligés de se relayer pour dormir.

Pouvez-vous être plus explicite quand vous parlez de surpopulation carcérale ?

Des prisons comme celle de Grand-Bassam datent de 1900 et ne sont pas adaptées aux donnes actuelles. Celle d'Aboisso, un ancien dépôt de café-cacao, n'est prison que de nom. Quant à celles de Sassandra et de Soubré, elles accueillent plus de trois fois leur capacité. Cette surpopulation carcérale est en partie due au fait que le nouveau Code de procédure pénale n'est pas entièrement appliqué. Résultat, des procédures judiciaires qui traînent depuis longtemps auraient dû trouver solutions si elles étaient traitées. Alors qu'en principe, au-delà de 18 mois pour un délit et de 24 mois pour un crime, sans jugement, le détenu devrait être automatiquement libéré. Une autre raison de la surpopulation carcérale est liée au fait que les tribunaux criminels créés pour remplacer les Cours d’assises tardent à fonctionner véritablement. Je le dis parce que le pénitentiaire est le pendant du judiciaire.

Dans de telles conditions, les détenus bénéficient-ils de soins de santé ?

Au plan sanitaire, la plupart des Maisons d'arrêt et de correction ont des infirmiers uniquement, mais pas de médecins. En outre, le plateau technique des infirmeries est peu reluisant, la plupart des médicaments sont des produits de première nécessité et il est souvent difficile de procéder à des évacuations sanitaires pour les pathologies graves. Tenez-vous bien, la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan (Maca) où vivent plus de 7000 détenus n'a plus d'ambulance ! Dans le cadre de notre lutte contre la Covid-19 avec un financement de la délégation de l’Union européenne (Ue) en Côte d’Ivoire (du notre principal bailleur) nous avons parcouru toutes les prisons du pays. Nous y avons remarqué qu'il était urgent non seulement de renforcer leurs plateaux techniques, mais aussi de procéder à un audit sanitaire du milieu carcéral et d'ouvrir des centres médicaux dans les prisons qui n'en disposent pas. Les bénévoles Acat Ci et La Balle aux prisonniers (LaBap) dans le cadre du projet « Eviter la propagation de la pandémie Covid-19 dans les Mac et les Com de Côte d’Ivoire » ont visité 33 Mac et les 3 Com. La plupart de ces centres ne répondent pas aux exigences sanitaires et souffrent de maux comme l’absence ou l’insuffisance de médicaments (les dépôts de médicaments ne sont pas régulièrement ravitaillés) ; l’insuffisance du matériel pour les actes médicaux ; manque de salles d’isolement en cas d'épidémie ou de pandémie comme celle de la Covid-19, excepté la Maca ou le Comité international de la croix a installé des stands qui servent de salle d’isolement. Le hic est qu'à la Maca, le personnel médical est en nombre insuffisant (2 médecins et 8 infirmiers). En outre, plusieurs de ces centres sont confrontés au manque de personnel qualifié, quand parfois ce sont des agents communautaires (bénévoles) qui jouent le personnel médical. Par ailleurs, tous les agents de santé rencontrés disent être confrontés à des maladies récurrentes qu’il ne peut soigner, faute de moyens. Ce sont : paludisme, dermatose, problème respiratoire (infections respiratoires aiguës, ulcère, VIH, gale, diarrhée...)

Quelles sont les dispositions prises pour secourir les femmes en travail ?

Les parturientes bénéficient d'un bon de sortie pour des centres de santé adéquats. Elles peuvent aisément être accompagnées pour leurs visites et examens, sous la surveillance de gardes. Mais après l'accouchement, elles retournent en cellule avec le bébé et suivie par un l'infirmier. L'année dernière, nous avons pu faire libérer une ressortissante d'un pays voisin. Sa fille, née en détention, avait 3 ans au moment de sa sortie.

Quel traitement devrait-on réserver aux prisonniers malgré les infractions avilissantes commises ?

Les détenus sont, comme tout le monde, des êtres humains dont le seul tort est d'avoir commis une infraction ou délit. Plusieurs instruments internationaux sont clairs à ce sujet. Ainsi, selon l’article 1er de la Déclaration universelle des Droits de l'homme "tous les hommes naissent libres et égaux en dignité et en droits"; l'article 5 ajoute que "nul ne doit être soumis à des traitements cruels, inhumains ou dégradants". Notons également que l'article 10 alinéa 1 du Pacte international aux droits civils et politiques ( Pidcp) auquel la Côte d’Ivoire est partie prenante, stipule: : « Toute personne privée de sa liberté est traitée avec humanité et avec le respect de sa dignité inhérente à la personne humaine ». Cette disposition est reprise dans la Constitution du 8 novembre 2016 en son article 7 alinéa 2 qui dit: « Toute personne arrêtée ou détenue a droit à un traitement humain qui préserve sa dignité. ». De tout ce qui précède, tout détenu doit bénéficier d'un traitement minimum adéquat selon les Règles Mandela.

Quelles dispositions le législateur a-t-il prévues en vue de la future réinsertion des ex-détenus ?

C'est un peu le talon d'Achille de notre administration judiciaire et pénitentiaire. Le ministère de la Justice étant mal logé dans le budget de l'Etat, la Direction de l'administration pénitentiaire (Dap) semble ne pas disposer de ligne budgétaire ou du moins de budget conséquent pour la resocialisation c’est-à-dire, la réinsertion, l'accompagnement et un suivi post-réinsertion des pensionnaires. Nous souhaitons connaître la politique de réinsertion avec ses différentes déclinaisons afin de contribuer à sa mise en œuvre. Cela nécessitera bien entendu beaucoup de moyens. En France, le Service pénitentiaire d'insertion et de probation (Spip) exige 5 agents pour une personne. Lors de la journée du détenu dite Journée Mandela organisée le 18 juillet à la Maison d'arrêt et de correction d'Abidjan (Maca), les participants ont plaidé pour une politique de réinsertion avec un budget approprié, un partenariat public-privé pour la réinsertion des détenus, et la remise en fonction de la ferme agro- pastorale de Saliakro (Dimbokro). Cependant, il y a de l'existant sur lequel l'on pourrait s'appuyer : organiser des ateliers dans les prisons avec les moyens pour les accompagner. Parce qu'un détenu non réinséré devient la risée de la société et n'a pour ultime recours que le retour en prison, au mieux des cas ; sinon c'est la déliquescence tous azimuts dans la société.

Un ancien prisonnier est vu comme une personne différente dans la société. Quel regard doit-on porter sur lui ?

Un ex-prisonnier devrait être vu comme un autre nous-mêmes. Tout homme en liberté est un prisonnier en sursis, ne l'oublions pas ! Je vais vous conter une anecdote à ce sujet. Dans un pays limitrophe du nôtre, un ex-ministre en charge de l'administration pénitentiaire, refusait de parler des problèmes de prison et d'y trouver des solutions. Un jour, il se retrouve en prison et sollicite l'appui des Ong car pour lui, il y vivait dans des conditions exécrables. Un bénévole d'Ong l'ayant reconnu, lui a rappelé que s'il avait accordé de l'attention aux détenus en créant des conditions de détention idoines quand il en avait la responsabilité, il en aurait bénéficié, aujourd'hui ; en détention. Ne désespérons pas de l’homme ; au contraire, tendons la main à celui qui est tombé car demain, nous pourrons ensemble emprunter le chemin de l’espérance.

Parlez-nous, pour finir, de votre Ong ! Quelles actions menez-vous pour le respect des droits des détenus ?

L'Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (l'Acat-Ci) intervient dans le grand moule du respect des Droits de l'homme avec pour thématiques fondamentales la lutte contre la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants, la peine de mort, les arrestations arbitraires, les disparitions forcées. Nous intervenons en détention depuis sept ans à travers un programme de lutte contre la Détention préventive injustifiée, sur financement de la délégation de l’Ue. Pour ce faire, nous parcourons les prisons afin d'y relever les cas de détention de longue durée sans jugement ; en connaître les raisons, rencontrer les juridictions concernées en compagnie d'avocats référents pour finalement accélérer les procédures à l’endroit des prévenus et qu'ils puissent connaître leurs sorts. Nous avons mené une étude scientifique en partenariat avec l'Université de Grenoble (France) sur les conditions de détention en Côte d'Ivoire, également produit plusieurs supports tels que le Guide du détenu afin qu’ils connaissent leurs droits, un film sur le parcours judiciaire du détenu, un Guide simplifié sur les dispositions du Code de procédure pénale avec une mise en exergue des dispositions encadrant la garde-à-vue et la détention préventive. Le nouveau volet de notre action est d'arriver à faire réinsérer 80 % des détenus vulnérables (femmes et mineurs) des prisons d'Abidjan, de Man, d'Aboisso, de Sassandra, d'Adzopé, de Bouna et bientôt, Daloa et Bouaké. Nous envisageons une étude scientifique sur ce point. De juin à septembre, nous avons visité toutes les prisons du pays ; par deux fois. Dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, nous y avons offert des produits alimentaires, d'hygiène et sanitaires d'environ 80 million de FCfa. Offrir des bibliothèques aux prisons pour une meilleure éducation des détenus fait aussi partie de nos activités. Nous sommes un interlocuteur des autorités afin de trouver des moyens d'offrir un visage humain à nos prisons.


Le 01/10/20 à 23:56
modifié 01/10/20 à 23:56