L'éditorial de Venance Konan : Jusqu'à la dernière goutte du sang... des autres

Bedie

L'éditorial de Venance Konan : Jusqu'à la dernière goutte du sang... des autres

Le 23/09/20 à 11:36
modifié 23/09/20 à 11:36
M. Koffigoh avait été désigné Premier ministre par l’opposition à l’issue de la conférence nationale qui avait rogné une bonne partie des pouvoirs de M. Eyadema. Cette opposition voulait, à travers cette grève illimitée, obtenir tout le pouvoir et le départ d’Eyadema. Joseph Koffigoh : « Au départ, je me suis abstenu de condamner cette grève. Les camarades m’avaient dit que c’était juste pour quelques jours, afin d’amener Eyadema à accepter la discussion. Quand la grève a commencé avec un certain succès, je suis allé voir le Président Eyadema. Et au terme de plusieurs rencontres, il a accepté le principe d’une table-ronde qui permette de mettre tous les problèmes à plat et de discuter des solutions.

Ces efforts ont été vilipendés par l’opposition qui y a vu un acte de trahison, et on m’a traité de tous les noms. Et la grève a été comme un navire fou sur l’océan de notre processus démocratique. Plus personne ne savait où on allait. J’ai trouvé cela totalement irresponsable et suicidaire pour l’opposition, parce qu’en affaiblissant durablement la population, l’opposition affaiblissait sa propre base.

Jusqu’à ce jour, je n’ai pas encore trouvé de justificatif à cet acte-là. »

Pour Edem Kodjo également, qui était membre de l’opposition, ce fut là l’une des grandes erreurs de l’opposition togolaise. Et la grève a duré neuf longs mois, plongeant le peuple dans la misère la plus noire et mettant le pays à genoux. Eyadema a dû se débrouiller pour éviter que l’administration ne s’effondre totalement. Il a pris des militaires, généralement issus de sa région, que l’on a formés rapidement sur le tas qui ont remplacé les fonctionnaires grévistes. Lorsque la grève s’est arrêtée, ces militaires ont refusé de céder leurs places et bon nombre de ceux qu’ils avaient remplacés se sont retrouvés définitivement au chômage.

Notre opposition vient de lancer un mot d’ordre de désobéissance civile. Il semble que cela signifie quelque chose comme une défiance à l’autorité, aux lois. Par-ci, par-là, certaines personnes barrent des voies avec des troncs d’arbres. Je ne sais pas si cela ira jusqu’à la grève illimitée. Mais en tout état de cause, il est bon que chacun sache jusqu’où cela peut conduire. L’exemple de nos amis togolais est là pour nous éclairer.

Au bout de leur longue grève, Eyadema a récupéré tous les pouvoirs qu’il avait cédés à l’opposition et est resté au pouvoir pendant plusieurs autres années. Douze longues années, exactement. Et c’est son fils qui lui a succédé, avec le soutien de la fameuse « communauté internationale ». Jacques Chirac, qui était le président de la France à cette époque, avait pleuré Eyadema, « un ami », avait-il dit. Il est bon que tous ceux qui seraient tentés de suivre le mot d’ordre de l’opposition sachent que les enfants de ceux qui l’ont donné sont soit à l’étranger, soit très confortablement installés au cœur du pouvoir ivoirien actuel dont ils reçoivent des salaires tout aussi confortables, et ils ne semblent pas intéressés à désobéir civilement. Et cela me rappelle ce qu’avait écrit mon ami Ibrahim Sy Savané dans ce même journal, il y a une trentaine d’années : « Les Ivoiriens sont très courageux, ils sont prêts à se battre et à verser jusqu’à la dernière goutte du sang... des autres. »

Ils sont nombreux, ceux qui affirment dans des journaux et sur les radios étrangères qu’ils sont prêts à se battre jusqu’à la dernière goutte de leur sang. Cela tombe bien, parce qu’il y a des politiciens qui sont justement à la recherche de personnes prêtes à verser leur sang pour eux afin qu’ils satisfassent leur égo.

A votre avis, pourquoi cherche-t-on à revenir au pouvoir après l’avoir perdu dix ou vingt ans plus tôt, si ce n’est pour une question d’égo ? Mais l’on peut parier que ceux qui le disent attendent que ce soit les autres qui aillent verser leur sang à leur place. On peut être certain que les militants du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) attendent que ce soit leurs petits camarades du Front populaire ivoirien (Fpi) et les militants ou soldats de Guillaume Soro qui aillent le faire. Que ceux qui sont prêts à descendre dans la rue ou à faire la grève, illimitée ou non, sachent que tous les leaders politiques de notre opposition ont déjà exercé le pouvoir à divers niveaux. Que chacun se rappelle ce que ces pouvoirs lui ont concrètement apporté, ou ont apporté au pays, qui vaille la peine que l’on aille se sacrifier pour eux.

Cher Ivoirien, ce que ton pays te demande, c’est de le féconder avec ta sueur, et non ton sang. Le sang rend la terre stérile. La sueur, qui féconde, est celle du travail que tu dois fournir pour faire avancer ton pays.

Jusqu’à la dernière goutte du sang... des autres.


Le 23/09/20 à 11:36
modifié 23/09/20 à 11:36