L'éditorial de Venance Konan: Ouellé!

L'éditorial de Venance Konan: Ouellé!

Le 17/09/20 à 10:13
modifié 17/09/20 à 10:13
A mon ami de toujours, N’Zi Kouamé Antoine, maire de Ouellé. Ouellé ! Je me souviens de cette grande bâtisse coloniale, bureau et résidence du dernier commandant de cercle français, pleine de secrets, de pièces cachées, et même d’une cellule où l’on emprisonnait les méchants, nous disait-on. Le vieux Comoé y travaillait, passant ses journées à écrire dans de gros et mystérieux registres. C’était là que nous habitions, ma mère et moi, lorsque nous sommes arrivés dans cette ville, au moment où notre pays devenait indépendant. J’avais deux ans et nous étions venus de Bocanda où j’avais vu le jour, pour que ma mère travaille à la maternité. Mon père, originaire de M’batto et qui travaillait pour l’administration coloniale, devint sous-préfet au moment de l’indépendance et fut affecté ailleurs. Je restai avec ma mère. La ville de Ouellé était alors prospère. Avant l’indépendance, elle rayonnait sur Daoukro, la ville voisine. Relative prospérité cependant, avouons-le. Il n’y avait ni électricité, ni eau courante, ni rues bitumées. Il y avait à la sortie de la ville, peu avant le carrefour de Prikro et le puits où nous allions chaque matin chercher de l’eau, la grande maison d’un Français du nom de Bougarel, qui devint plus tard la gendarmerie. Il y avait aussi des Syriens, que l’on appela plus tard des Libano-Syriens, puis Libanais. L’un d’eux, Hassan, construisit la première boulangerie de la ville. Il y avait également des gens venus d’autres régions de la Côte d’Ivoire, de la Haute-Volta, de Guinée, du Mali, du Nigeria, du Ghana...Une des grandes familles de Ouellé était la famille Sakanoko, venue de Kong, et dont les filles faisaient tourner la tête à tous les jeunes gens. La ville se trouvait alors en plein milieu de la fameuse boucle du cacao et l’argent y circulait. On trouvait même parfois de l’or dans les rigoles lorsqu’il pleuvait.

Je me souviens de la poliomyélite qui me cloua au sol à quatre ans, et de tous les efforts fournis pour retrouver progressivement l’usage de mes jambes. J’allai à l’école primaire quelque temps après, lorsque je pus me déplacer grâce à une canne, à la mission catholique avec le père Michaux, vrai père fouettard qui tenait à nous faire éviter les affres de l’enfer. Gare à ceux qui ne venaient pas à la messe le dimanche et gare aux garçons et filles qui voulaient jouer à papa et maman avant l’heure. La punition était publique. Nous le redoutions, le père Michaux. Nous le détestions même. Nous lui rendîmes cependant hommage des années plus tard, lorsque nous qui avions grandi à Ouellé décidâmes d’y célébrer ensemble nos cinquante ans. Oui, nous lui devions en grande partie de n’avoir pas échoué dans nos vies. Pendant notre enfance, le chef des chrétiens qui traduisait les paroles du prêtre en baoulé s’appelait Karim Traoré. à Ouellé, il ne faut pas se fier au nom pour catégoriser les gens. En classe de CP1 je me liai d’amitié à un petit gros du nom d’Antoine. Nous nous séparâmes après l’école primaire et nous nous retrouvâmes à l’université, lui en sciences économiques, moi en droit.

Dans la ville voisine de Daoukro, un fils devint ministre de l’économie et des Finances de notre pays. Et Daoukro commença à prospérer pendant que Ouellé stagnait et déclinait. Elle finit cependant par avoir son sous-préfet, Yoman N’dri, qui périt tragiquement dans un accident de voiture. Il fut remplacé par Atteh-Tanoh qui rasa la maison coloniale dans laquelle j’avais grandi. Après lui vint Albert Slanfet. Ah Ouellé des premiers frémissements d’adolescent, des premières boums, des clubs rivaux et des premières amours. Nous avions aussi notre troupe théâtrale qui sillonnait les villages. Ce fut un évènement lorsque François Lougah, Wédji Ped et les Djinn’s Music s’arrêtèrent un jour à Ouellé. On se bouscula pour les voir. Il n’y avait ni collège ni lycée à Ouellé. Je me retrouvai au lycée de Daoukro après le CEG de M’bahiakro et une année au lycée de Dimbokro pour reprendre ma classe de troisième. J’avais été renvoyé du CEG de M’bahiakro pour faiblesse en mathématiques et mauvaise conduite. Les égarements de l’adolescence.

C’est lorsque j’entrai à l’université que ma mère se fit affecter à Daoukro pour se rapprocher de sa mère à elle, vieillissante, et dont le village, Amoroki, bien que rattaché administrativement à Bocanda, était géographiquement plus proche de Daoukro. Mon cœur est à jamais resté à Ouellé. Ouelléba, je fus, Ouelléba je demeurerai. Antoine, le petit gros avec qui je nouai une amitié depuis la classe de CP1 est toujours gros et toujours mon ami. Il est aujourd’hui le maire de sa localité. Et je sais le combat qu’il a mené pour que Ouellé devienne un département.

La ville vient donc d’être érigée en chef-lieu de département par le Chef de l’état, et c’était là la blessure intime de Ouellé. Ses habitants avaient le sentiment d’avoir été victime d’une profonde injustice. D’autant que plusieurs villages qui leur étaient rattachés avaient été érigés en sous-préfectures. Et le Chef de l’État l’a bien souligné lors de sa déclaration. Merci Monsieur le Président de la République. Ouellé


Le 17/09/20 à 10:13
modifié 17/09/20 à 10:13