Me Raux-Yao Athanase (président de la Commission juridique de la Fif): «Quoi que décide la Fifa, le comité exécutif se réunira et appréciera»

Me Raux-Yao Athanase, président de la Commission juridique de la Fif. (DR)
Me Raux-Yao Athanase, président de la Commission juridique de la Fif. (DR)
Me Raux-Yao Athanase, président de la Commission juridique de la Fif. (DR)

Me Raux-Yao Athanase (président de la Commission juridique de la Fif): «Quoi que décide la Fifa, le comité exécutif se réunira et appréciera»

Membre du Comité exécutif sortant de la Fédération ivoirienne de football, le juriste tente d'édifier l'opinion sur le grand brouillard qui entoure le processus électoral depuis le 8 août dernier.

Pouvez-vous expliquer le processus électoral de la Fif ?

L’élection du président de la Fédération ivoirienne de football (Fif) et de son comité exécutif a lieu tous les quatre ans. Le président sortant a décidé de ne pas briguer un troisième mandat, alors que les textes le lui permettent. Il n’y a pas de limitation de mandats à la Fif. Il y a seulement une limitation d’âge qui est de 70 ans. Il y a donc eu des candidatures déclarées. La durée du mandat de la commission électorale est également de quatre ans. Il fallait également renouveler son mandat et c’est ce que nous avons fait à l’assemblée générale du 4 juillet, à Yamoussoukro. Une commission électorale a été mise en place ainsi que la commission de recours qui est chargée de statuer en appel sur les recours faits par les candidats qui ne sont pas contents des décisions rendues.

Cette Commission a-t-elle commencé son travail ?

Cette Commission a débuté son travail par l’ouverture du dépôt des dossiers de candidature. Il y a eu quatre dossiers qui ont été déposés. Après, la Commission a examiné les dossiers pour voir si les critères d’éligibilité sont remplis, aussi bien pour le président que pour les membres du comité exécutif. Pour ce qui concerne le candidat à la présidence de la Fif, par exemple, il faut qu’il y ait huit parrainages qui lui sont donnés dans le cadre d’un collectif de huit membres actifs. A savoir, trois de Ligue1, deux en Ligue2, deux en D3 et un groupement d’intérêt.

Alors d’où vient le problème ?

Je pense que c’est parce que cette fois, il y a eu quelqu’un dont la personnalité fait beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux. Nous avons affaire à quelqu’un qui est dans un système de star-mania. C’est ce qui a focalisé l’attention de toute la communauté ivoirienne sur ces élections. Tout le débat se situe autour de la question du parrainage. Sinon, sur les autres points qui concernent la nationalité, la résidence, il n’y a pas de souci.

C’est ce qui, selon vous, justifie ce bruit autour du scrutin 2020...

Habituellement, il y a des élections à la Fédération ivoirienne de football et cela ne fait pas autant de bruit. On n’oublie même qu’il y a Kouadio Koffi Paul qui a aussi annoncé sa candidature. Son tort, c’est qu’il n’est pas une star. Sinon, ce n’est pas l’élection en elle-même, mais la présence de cette personne de notoriété publique qui a décidé de briguer la présidence et qui a entraîné dans son sillage toute sa communication sur les réseaux sociaux.

Est-ce mauvais ?

Non. Mais ce ne sont pas les réseaux sociaux qui votent. Le collège électoral de la Fif est très restreint. Ce ne sont que 81 membres actifs qui votent.

Ces agissements sur les réseaux ne perturbent-ils pas le processus, puisque la commission électorale a du mal à faire son travail ?

Le problème qu’il y a eu relativement à cette Commission n’est pas tant la pression des réseaux sociaux. Ce sont des individus à l’intérieur de cette commission électorale qui ont failli à leur mission. Ils n’ont pas respecté les dispositions du code électoral. Ils ont pris parti pour un candidat qu’ils ont voulu faire passer en force. La majorité des membres de la commission ont refusé.

De quoi s’agit-il exactement ?

Le président de la Commission a voulu user de sa carrure d’ancien ministre des Sports pour faire passer sa décision, ce que les autres ont refusé. Cette situation a créé un blocage au sein de la commission. Ce qui nous avait amené, en son temps, en ce qui concerne le comité exécutif, à prendre la décision de retourner à l’assemblée générale pour proposer une nouvelle commission. La Fifa n’ayant pas compris cela nous a demandé de laisser cette commission poursuivre son travail.

Ce recadrage de la Fifa n’a pourtant pas débloqué la situation...

En effet, lorsque la Commission a repris, cette même personne a voulu faire passer sa décision, au mépris des recommandations de la Fifa. L’instance du football mondiale a demandé de voter toutes les décisions, comme le recommande le code électoral. Ce qu’ont demandé les autres membres. Il a refusé et a claqué la porte. Dans cette commission, il y a de hauts magistrats. Il y a le président de la Chambre des notaires, des avocats qui ne se laissent pas influencer. Quand il est parti, les autres ont fait le constat par un procès-verbal et, conformément aux dispositions du code électoral, ils ont convoqué une autre réunion et l’ont fait remplacer par un suppléant. C’est ce que recommande le code électoral.

Combien sont-ils, les membres de cette Commission électorale ?

Ils sont sept dans cette commission, avec trois suppléants. Quand un membre est empêché, on le fait remplacer par un suppléant qui vient délibérer. C’est qu’ils ont fait pour avoir le nombre de sept. Ils ont ensuite voté en leur sein pour élire un nouveau président.

Que disent les textes sur cette situation ?

Les textes sont clairs à ce sujet. C’est la Commission électorale qui désigne son président et non l’assemblée générale, comme ont voulu faire croire certaines personnes. Sur la question, nous pensons que la Fifa s’est laissé berner. Puisque les éléments qu’elle nous demandent vont dans le sens des déclarations qui ont été faites sur une radio internationale par un membre du staff d’un candidat. L’article 5, alinéa 4 le précise : la Commission élit son président en son sein. Ce n’est donc pas l’assemblée générale qui le désigne, mais la Commission elle-même. Ils ont donc suivi la procédure régulière pour remplacer le président et ont procédé au vote des décisions.

Le président de la Commission électorale a-t-il réellement démissionné ?

Il avait rédigé une première lettre de démission le 6 août. C’est ce jour que tout a commencé. Quand ils ont fini de délibérer et qu’ils étaient tous d’accord, les membres lui ont demandé de signer. Mais il a refusé parce qu’il aurait reçu des menaces de mort. Il a donc demandé que la décision soit revue et qu’elle aille dans le sens de la cohésion sociale, selon lui, pour permettre à tout le monde de se présenter. Ce jour-là, les autres membres lui ont fait savoir que la cohésion sociale n’est pas prévue dans les textes. Il avait rédigé sa lettre de démission, mais les autres membres lui ont demandé de se ressaisir et que le vote soit reporté au samedi 8 août. Samedi, quand ils sont revenus, il a maintenu sa position. Il a ainsi convoqué une autre réunion le dimanche 9 août. C’est à ce moment qu’il a réussi à influencer trois membres de la commission. Ensemble, ils ont rédigé une décision que le secrétaire statutaire de la Commission a refusé de signer, parce que ce n’est pas la décision qui avait été votée le jeudi 6 août.

Mais il a fini par claquer la porte...

La deuxième, quand le président de la Commission a refusé de passer au vote, il a claqué la porte et a dit qu’il ne viendra plus à la commission. Les autres membres en ont pris acte et ont décidé de ne pas paralyser la Commission électorale. Si le président de la Commission avait été élu par l’Assemblée générale, cela aurait posé un véritable problème. On aurait été obligé de retourner devant l’Ag pour désigner un autre président.

Le secrétaire statutaire avait-il le droit de bloquer cette décision ?

Le rôle du secrétaire statutaire qui est en même temps le directeur exécutif de la Fif au sein de la Commission, c’est de veiller au respect des textes. Il a une voix consultative et non délibérative. Il ne prend pas part aux délibérations. Quand les membres de la Commission électorale, qui ne font pas partie de la Fif, ont des doutes sur certaines parties de nos textes, c’est à lui qu’ils s’adressent. C’est ce qu’il a fait et s’est opposé. Il y a donc la première à la suite de laquelle ils se sont séparés en queue de poisson, sans pouvoir rendre de décision. C’est ce qui a motivé l’intervention du comité exécutif.

Avez-vous été surpris par l’intervention de la Fifa face au nouveau blocage ?

Nous avons été surpris en ce sens qu’on la trouve un peu prématurée. Car, chaque fin de semaine, le secrétaire statutaire de la commission leur fait le point ; et il s’apprêtait à le faire. Mais dès que la commission a rendu les décisions définitives et que celles-ci ont été notifiées aux différentes parties que la Fifa est intervenue. Et elle ne parle pas des différentes décisions qui ont été rendues, mais nous ramène en arrière en demandant le procès-verbal du samedi 8 août. La Fifa également nous apprend qu’elle aurait entendu que la Commission a été empêchée de travailler. Mais la commission n’a pas été empêchée de travailler puisqu’elle a rendu une décision. La Fifa aurait dû s’en tenir aux décisions qui ont été rendues au lieu de nous ramener en arrière et nous demander des documents qu’on allait leur transmettre en tout état de cause.

Que disent les textes sur l’intervention de la Fifa dans l’élection d’une association membre ?

La Fifa supervise toutes les élections de ses associations membres, parce qu’elle a des principes. La Fifa ne reconnaît que les dirigeants de fédération qui ont été élus selon ses principes. Principes démocratiques, dans des conditions régulières, sans interventions et ingérences des gouvernants. Donc à chaque fois qu’il y a une élection dans une fédération, la Fifa suit et vous avez l’obligation de leur rendre compte. Si elle se rend compte que les dirigeants n’ont pas été élus de façon démocratique, elle bloque tout et ne vous reconnaît pas. Pour ce faire, chaque fin de semaine, le secrétaire de la Commission fait le point qu’il achemine à la Fifa. Mais cette fois, alors que la fin de semaine n’est pas arrivée, la Fifa nous balance un courrier pour nous faire part des rumeurs quelle a entendues. C’est dommage ! Mais nous savons d’où viennent ces rumeurs.

Qu’avez-vous répondu au courrier de la Fifa ?

Toute la journée de vendredi, nous avons réuni les documents demandés par la Fifa qu’on a fait partir. Nous sommes donc dans l’attente de leur décision.

Avez-vous l’impression que la Fifa ne joue pas franc jeu dans cette élection ?

Je laisse chacun apprécier. Il y a des éléments évocateurs, donc je préfère laisser chacun apprécier. Mais ce que je voudrais dire, c’est qu’on ne peut pas leur reprocher ce droit d’intervenir parce qu’ils sont dans leur rôle. Seulement, ce qu’on a déploré au niveau de la Fédération, c’est que les fédérations sont les interlocutrices privilégiées de la Fifa. Quand les dirigeants de la Fifa apprennent des rumeurs, avant de prendre des décisions ils doivent nous approcher. Mais là, cela n’a pas été le cas. C’est sur la base de rumeurs qu’ils ont réagi.

Pensez-vous qu’il y a une lecture différente des textes de la fédération par la Fifa ?

C’est effectivement une question d’interprétation. Mais nous sommes en Côte d’Ivoire et nous connaissons mieux nos textes parce que nous les pratiquons au quotidien. La Fifa peut donc se tromper. A chaque fois qu’elle se trompe dans son interprétation, nous nous devons de lui rappeler que sur tel aspect elle n’a pas bien interprété parce qu’elle n’a pas tenu compte de telle disposition. C’est ce que nous avons fait en réponse à son courrier du 21 août. Ce sont des gens à Zurich et qui peuvent se tromper dans l’interprétation des textes. Et c’est le devoir de la Fédération de leur rappeler qu’ils se sont trompés.

Redoutez-vous une mise sous tutelle de la Fif via un Comité de normalisation ?

La Fifa peut, selon le cas, suspendre ou annuler la procédure électorale et ou désigner une administration provisoire au sein de la Fifa pour conduire le processus. Quoi que décide la Fifa, le comité exécutif se réunira et appréciera.

Est-ce à dire que la Fif pourrait saisir le Tribunal arbitral du Sport ?

On peut décider d’aller au Tas ou laisser cette administration provisoire. Cela dépendra de la mission assignée à cette administration provisoire. Si on nous dit qu’elle a deux semaines pour conduire le processus électoral à son terme, qu’irons-nous faire au Tas où on serait parti pour deux ou trois mois.

Quel objectif vise le Comité exécutif sortant ?

Notre objectif aujourd’hui, c’est de vite en finir avec ces élections. Le président Sidy Diallo avait la possibilité, en s’appuyant sur la pandémie du coronavirus, de traîner. Puisque les recommandations de la Fifa ont été de respecter les décisions prises par les autorités gouvernementales par rapport à la pandémie. Il y a eu un moment où on ne pouvait pas se réunir. C’est nous qui avons forcé pour organiser ces élections parce que nous sommes pressés de partir. Il y a des échéances pour les éliminatoires de la Can 2021, il faut que la nouvelle équipe se mette rapidement au travail pour les préparer. Ce n’est donc pas dans notre intérêt de faire traîner ces élections. Mais pas à n’importe quel prix.

Après tous les éléments que vous avez présentés, est-il encore envisageable de voir tous les trois candidats aller aux élections ?

Tout est une question de texte. Il faut qu’on apprenne en Afrique et plus particulièrement en Côte d’Ivoire, à respecter les textes. Ce n’est pas que nous avons un problème avec la candidature de telle ou telle personne. Si les candidatures respectent les textes, on passe. Si elles ne respectent pas les textes, qu’on ne nous demande pas de faire l’impasse sur les textes. Parce que demain, d’autres personnes vont réclamer cela. Qu’on ne nous dise pas comme il s’agit d’un tel, laissez son dossier passer. Kouadio Koffi Paul a vu son dossier recalé, pourquoi ne plaide-t-on pas pour lui sur les réseaux sociaux. Cela ne fait pas sérieux et il faut qu’on apprenne à respecter nos textes. A la Fifa par exemple, on n’acceptera jamais que quelqu’un qui ne respecte pas les textes voit son dossier passer. A la Fifa, le double parrainage est interdit. Cela ne sert à rien de se doter des textes, si on n’apprend pas à les respecter.

D’aucuns disent que le candidat Sory Diabaté devait rendre sa démission avant de briguer le poste de président de la Fif...

Il y a eu plusieurs présidents de la Fif avant le président Sidy Diallo qui ont rempilé pour deux mandats. A aucun moment, ils n’ont démissionné quand ils se représentaient. Cela n’existe nulle part dans les textes. Pourquoi aujourd’hui- c’est parce qu’il s’agit de Sory Diabaté -on lui demande de démissionner alors que ceux qui le disent étaient à l’époque vice-président de Jacques Anouma. A l’époque, avaient-ils démissionné ? Aujourd’hui, certains estiment que le fait que Sory Diabaté soit vice-président, cela lui donne l’avantage par rapport aux autres candidats, ce n’est pas vrai. Les clubs sont suffisamment matures pour apprécier. Cela ne repose sur aucun texte.

Interview réalissée par

Paul Bagnini et Céleste Kolia