L’Editorial de Venance Konan: Ô peuple sans mémoire...

L’Editorial de Venance Konan: Ô peuple sans mémoire...

Le 26/08/20 à 10:59
modifié 26/08/20 à 10:59
Demain, après-demain, chacun de nous pourrait se retrouver piégé dans une manifestation dont il n’avait pas eu connaissance et y perdre la vie, comme cela est arrivé à des gens piégés dans une rue inondée par une pluie torrentielle.

Des personnes qui se croient protégées par les réseaux sociaux lancent des appels au massacre de certaines populations. Et des esprits faibles les écoutent avec attention et passent même à l’action. Ô peuple de Côte d’Ivoire, as-tu perdu la mémoire à ce point ? As-tu oublié ton histoire ? Combien de fois te répéterais-je que celui qui ne tire aucune leçon de son histoire se condamne à la revivre ? Veux-tu revivre les horreurs que tu as vécues il y a à peine dix ans ?

En 1990, à la naissance du Front populaire ivoirien (Fpi) de Laurent Gbagbo, son adversaire irréductible était le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci) d’Houphouët-Boigny. Il y eut des affrontements meurtriers entre les jeunesses de ces deux partis. On se souvient du meurtre par lapidation du jeune Thierry Zébié. Aujourd’hui, le meilleur allié du Pdci est le Fpi. Et toi, jeune Ivoirien, tu es encore prêt à brûler, tuer ou prendre le risque de te faire tuer pour l’un de ces partis ? En 1995, il y eut le boycott actif. Le Rdr d’Alassane Ouattara et le Fpi étaient les meilleurs alliés et ils se battaient contre le Pdci d’Henri Konan Bédié. Il y eut des morts, des blessés, des réalisations chèrement acquises détruites. Qui a été indemnisé ? Et toi jeune Ivoirien, tu es encore prêt, en 2020, à prendre le risque de tuer ou de te faire tuer pour un de ces partis ?

En décembre 1999, jeune Ivoirien, tu as marché pour applaudir la chute d’Henri Konan Bédié, puis, en 2000, tu as à nouveau marché pour faire partir Robert Guéi et pour que Alassane Ouattara soit ou ne soit pas candidat à l’élection présidentielle d’alors. Te souviens-tu de tous tes camarades qui sont tombés au cours de toutes ces marches ? Te souviens-tu des morts du charnier de la forêt du Banco ? Te souviens-tu des femmes violées à l’école de police en 2001 ? La Côte d’Ivoire, elle, les a oubliés depuis longtemps.

En 2002, 2003, 2004, tu as marché pour ou contre les rebelles, pour ou contre les « Jeunes patriotes », pour ou contre l’application des accords de Linas-Marcoussis, pour ou contre la France... Il y eut plusieurs morts, plusieurs blessés. Te souviens-tu d’eux ? Les a-t-on, un jour, honorés ? A-t-on, un jour, allumé une bougie de 50 francs en leur mémoire ? As-tu entendu dire que les blessés ont été pris en charge ? As-tu entendu dire que ceux qui ont perdu des biens ont été dédommagés ? En 2010-2011, ce sont officiellement 3000 personnes qui sont mortes. Certaines brûlées vives dans leurs voitures. Je ne te parle pas des blessés et des biens perdus. Et en 2020, tu as oublié tout cela ? Tu veux recommencer ? Qui es-tu donc, jeune Ivoirien ? Tu vas encore marcher, barrer des voies, mettre le feu à des pneus, lancer des cailloux ou des cocktails Molotov à des policiers ou à des personnes qui ne t’ont rien fait; brûler des maisons, des commerces, des véhicules pour empêcher quelqu’un d’être candidat ? Retiens, jeune Ivoirien qui n’a pas de mémoire, que chacun des trois principaux partis que sont le Rhdp, le Pdci et le Fpi s’est déjà allié à un autre contre un troisième.

Petit frère, petite sœur, la haine que l’on est en train de t’inoculer ne consumera que toi seul. Ceux qui te demandent de prendre une machette ou un fusil contre ton voisin vivent en sécurité dans des maisons solidement clôturées et gardées ou dans des pays occidentaux. Ils te prennent tout simplement pour un idiot lorsqu’ils te demandent cela. Et tu serais vraiment un idiot si tu te saisissais de leur haine pour être leur bras armé et commettre des crimes à leur place. Et c’est toi que la justice, qu’elle soit humaine ou divine, frappera, parce que, retiens-le bien, aucun crime commis sur cette terre ne reste jamais impuni.

Petit frère, petite sœur, grand frère, grande sœur, retiens surtout que lorsque tu auras fini de manifester et de détruire tes propres biens, lorsque plusieurs de tes connaissances seront tombées, mortes ou blessées, les partis politiques s’assiéront autour d’une table et discuteront.

Et à la fin de ces discussions, ils trouveront un accord qu’ils signeront en s’embrassant. Aucun mot ne sera dit de toi. Alors, mon ami, si tu as vraiment envie de te faire entendre, va le faire dans les urnes.


Le 26/08/20 à 10:59
modifié 26/08/20 à 10:59