L’Editorial de Venance Konan : L’heure du choix

L’Editorial de Venance Konan : L’heure du choix

Le 13/08/20 à 12:39
modifié 13/08/20 à 12:39
Depuis l’annonce par le Président de la République de sa candidature à la prochaine élection présidentielle, une bonne partie des Ivoiriens s’est transformée en érudits du droit constitutionnel. Et chacun se prononce, ou convoque en renfort les spécialistes de son choix pour appuyer ses argumentations, essentiellement en fonction de considérations politiques que juridiques.

La question est de savoir si le président de la République a le droit de se porter candidat ou non. Si tous ces débats peuvent contribuer à alimenter les conversations et se faire remarquer, cela ne nous avance guère, puisque l’institution qui doit trancher en dernier ressort est le Conseil Constitutionnel.

C’est lui qui dispose des compétences et des pouvoirs pour nous dire qui peut être candidat ou non. Aussi, pour ma part, je préfère attendre son verdict avant de faire des commentaires. En attendant, je ne peux qu’inviter mes compatriotes à se départir des passions qui peuvent être meurtrières et à envisager la situation avec un peu plus de discernement et de responsabilité. Au moment où j’écris ces lignes, la ville de Daoukro est en ébullition, et l’on y assiste à de violents affrontements intercommunautaires. Le débat est donc sorti de son cadre juridique pour emprunter un sentier très dangereux pour la cohésion nationale.

Au-delà des personnes pour lesquelles nous nous battons, nous devons réfléchir sur la Côte d’Ivoire de demain que nous voulons.

Depuis 2011, lorsque les partis ayant formé la coalition gagnante de l’élection de 2010 dirigeaient ensemble le pays, la Côte d’Ivoire a connu des années de croissance continue dont la réalité ne peut être niée par aucune personne de bonne foi. La Côte d’Ivoire qui sortait véritablement du trou s’est reconstruite. Elle a retrouvé sa place dans le concert des nations, et son rôle de leader dans la région.

On a reproché au pouvoir d’avoir fait plus dans la construction des infrastructures que dans le social. Cela a été corrigé ces dernières années par le programme social du gouvernement qui a pris en compte toutes les personnes vulnérables. On a aussi reproché au pouvoir d’avoir plus favorisé ses militants qui se recrutaient beaucoup plus dans une région du pays au niveau des nominations. On ne peut nier cela, mais lorsqu’un parti a lutté pendant vingt ans avant d’arriver au pouvoir, que ses militants ont payé cette lutte au prix le plus fort, la tentation hégémonique est très forte.

C’est justement pour avoir perçu cela et pour y remédier qu’un appel fut lancé en septembre 2014 pour la création d’un grand parti unifié qui regrouperait toutes les régions du pays, afin que dorénavant plus personne ne puisse se targuer d’avoir mené la lutte tout seul. Cette décision fut chaudement applaudie avant que le choc des ambitions des uns et des autres ne la remette en cause. Mais même si certains sont partis, la grande idée du rassemblement qui transcende tous les régionalismes demeure toujours.

Nous avons donc d’un côté cette Côte d’Ivoire qui a réussi à se reconstruire en peu de temps, qui aspire à corriger ses erreurs pour s’améliorer afin de se donner les moyens d’affronter tous les défis de la modernité et répondre aux aspirations de toute sa population, et de l’autre côté, une Côte d’Ivoire qui est restée dans ses rancœurs d’il y a plus de vingt ans, qui a réveillé ses vieux démons qui avaient failli consumer ce pays.

Actuellement la ville de Daoukro où les populations ont toujours vécu dans la plus parfaite entente est au bord d’un chaos savamment orchestré. Le sang a commencé à couler. Tout est en train d’être mis en place pour que ce genre d’affrontements se multiplie dans tout le pays. Evidemment personne n’en sortira vainqueur, et nous passerons les prochaines années à chercher à réparer ce que nous sommes en train de détruire aujourd’hui.

C’est la fatalité qui frappe ce pays voué à un éternellement recommencement, comme Sisyphe poussant indéfiniment son rocher jusqu’en haut de la montagne pour la regarder dégringoler par la suite. Apparemment les neuf années de paix, de tranquillité et de développement continu que nous venons de connaître nous semblent trop longues, et nous n’avons pas pu résister aux chants des sirènes de la haine, du tribalisme et de la xénophobie.

Nous avons retrouvé nos discours haineux d’antan, nos appels au meurtre, à l’exclusion, nos délits de patronyme et de faciès. Certains se délectent de ces chants, croyant naïvement qu’ils pourront accéder au pouvoir sur leurs mélodies. Et en toute inconscience, nous nous préparons à revivre les pages les plus sombres de notre histoire récente. Mais n’oublions pas que juste de l’autre côté de la frontière, peut-être même à l’intérieur de ces frontières, l’hydre terroriste est là, à nous observer, n’attendant que notre division, nos affrontements et notre manque de vigilance pour fondre sur nous.

Venance Konan


Le 13/08/20 à 12:39
modifié 13/08/20 à 12:39