Football ivoirien: Ces égos surdimensionnés qui tuent le jeu

Didier Drogba a dû s'armer de courage pour pouvoir s'imposer en sélection nationale (DR)
Didier Drogba a dû s'armer de courage pour pouvoir s'imposer en sélection nationale (DR)
Didier Drogba a dû s'armer de courage pour pouvoir s'imposer en sélection nationale (DR)

Football ivoirien: Ces égos surdimensionnés qui tuent le jeu

Le 20/07/20 à 18:07
modifié 20/07/20 à 18:07
La Côte d’Ivoire a toujours eu dans ses vestiaires des égos surdimensionnés. Cette guerre de leadership ne rend pas forcément service à la sélection nationale sur le terrain. L’histoire de parrainage de Didier Drogba, candidat à la présidence de la Fif, vient en effet d’édifier l’opinion. Depuis 2006, Drogba a porté le brassard des Éléphants jusqu’à sa retraite internationale. Avant lui, il y avait Cyril Domoraud. Justement, la succession entre les deux anciens joueurs de Marseille ne s’est pas faite sans heurts. « Le passage de brassard entre Cyril Domoraud et Didier Drogba, c’était au Caire je crois (en 2005 ndlr). Domoraud était blessé et le président Sidy Diallo a donné le brassard à Didier (Drogba). C’est aussi simple que cela. Le groupe n’a pas adhéré... ça ne s’est pas bien passé dans la forme et cela a eu des répercussions jusqu’à ce qu’on a vécu avec la génération actuelle », révèle Bonaventure Kalou. Rancuniers comme des Eléphants, Kalou, Domoraud, Zokora et les autres ont attendu quatorze ans pour avoir la peau de Didier Drogba.
14 ans pour se venger de Drogba !

Pourtant, l’ancien buteur des Blues de Chelsea n’avait pas demandé le brassard de capitaine. Mais, « Drogba devait rendre le bout de tissu après le retour de blessure de Cyril Domoraud. Visiblement, il le convoitait secrètement jusqu’à ce que l’occasion se présente », accuse le frère aîné de Salomon Kalou dans « La Grande Team », une émission sur une des nouvelles chaînes de télévision nationale.

Ancien joueur de Feyenoord Rotterdam (1997), de l’Aj Auxerre (2003-2005) et de Paris Saint Germain (2005-2007) Bonaventure Kalou, qui ne dévoile pas ses propres intentions à cette époque, reconnaît qu’il est normal qu’il y ait des affinités dans un vestiaire. En revanche, il estime que « cela ne doit pas se faire aux dépens de la vie du groupe et des résultats. Dans toutes les entreprises, il y a des affinités qui se créent. En sélection, les binationaux de façon logique vont se mettre ensemble, les joueurs d’un même club vont en faire autant et les anciens pareil... je n’appellerais pas cela des clans mais des groupes d’affinité. Ce qui a fait que ses rivalités ou ses guerres de positionnement se sont ressenties sur la sélection, c’est qu’au niveau de la fédération, on n’a pas réussi à mettre l’équipe au centre des débats. L’individu ne peut pas être au-dessus de l’équipe ». Un aveu de taille.

Du coups, Robert Nouzaret, Henry Michel, Gérard Gili, Sven Goran Erickson et tous les entraîneurs qui se sont succédé à la tête de l’équipe ont hérité d’un panier à crabes. Un effectif où il y avait d’un côté des Académiciens formés par Jean-Marc Guillou, de l’autre des joueurs sélectionnés dans d’autres clubs du championnat local. Sans oublier ces binationaux détectés en Europe. Trois groupes dans un seul !
Avouons-le, les déclarations de Bonaventure Kalou mettent à nu le principal problème qui mine l’équipe nationale. Des palabres de vestiaire toujours niés, mais tellement gros qu’on s’en aperçoit depuis l’extérieur. "Je n'ai jamais cru en eux (les Éléphants de Côte d’Ivoire). C’est le pays qui va toujours vous décevoir. Ils ont eu le meilleur attaquant d’Europe avec Didier Drogba, le meilleur milieu de terrain avec Yaya Touré, mais aussi un des meilleurs attaquants d’Angleterre avec Wilfried Bony. Mais il n'y a jamais eu de solidarité. Ils vont parler, rire et s'amuser ensemble, mais le moment venu, ils oublieront de faire leur travail. Comment se fait-il qu’en dix ans, cette génération dorée n’a pas gagné la Coupe d’Afrique des nations (CAN) ? Tout le monde voulait passer pour le héros et c'est ce qui tue la Côte d'Ivoire", crache l’attaquant international togolais Emmanuel Adebayor.
Depuis 2002 que ça dure

Pendant longtemps, de 2003 à 2014, le football ivoirien a dominé sur le continent. Première nation africaine au classement de la Fifa. Didier Drogba et ses équipiers portaient quelquefois tout l’espoir du continent noir à la Coupe du monde de la Fifa. C’était le cas en 2006 en Allemagne et en 2010 en Afrique du Sud. Il y avait tout dans l’effectif des Éléphants pour s’imposer au monde entier. A l’arrivée, il y a eu zéro pointé. A chaque campagne, on revenait avec un lot de palabres de vestiaire.

Cette guerre des egos au sein de l’équipe nationale ne date pas de Didier Drogba. Ibrahima Bakayoko, entre 2000 et 2002, dit avoir été victime de ce positionnement au sein de l’équipe. « Il n’y avait pas de problème de capitanat. Guel Tchiressoa était le capitaine et j’étais son second. Après lui, le brassard me revenait. Mais cela a été confié à Cyril Domoraud, sans m’aviser. Je ne l’ai pas apprécié. La moindre des choses aurait été qu’on me prévienne », garde en travers de la gorge, Ibrahima Bakayoko. Ensuite, il a été éjecté de la sélection après le coup de force perpétré contre le président Dieng Ousseynou, en 2002. C’est là que Cyril Domoraud a été intronisé nouveau capitaine des Éléphants. « Dans toutes les équipes, c’est l’entraîneur qui choisit son capitaine, pas la Fédération. Je retiens aussi que Robert Nouzaret a failli », dénonce à son tour, l’ancien buteur de Montpellier et de Marseille.
Récemment, cette histoire de brassard a mis à mal la cohésion des Éléphants. Lorsque le Belge Marc Wilmots avait pris les rênes de l’équipe nationale en 2018, il n’avait pas hésité à bombarder Serge Aurier capitaine. Cela a créé un séisme dans le vestiaire. On a accusé Wilmots de n’avoir pas mis la manière en dépouillant Serey Dié de son pouvoir. Ensuite, il y a eu les cas Gervinho. Bref! Il va falloir trouver une formule plus consensuelle. C’est en cela qu’il y a quelques jours, toute la planète foot avait salué le geste de Yaya Touré, à l’endroit de Didier Drogba.
La hauteur d’esprit de Yaya Touré
Le frère cadet de Kolo Touré a posé un acte fort en direction de Didier Drogba, qui s’était lancé dans la course à la présidence de la Fédération ivoirienne de football (Fif). Il a pris à contre-pied les esprits malins qui prenaient plaisir à vouloir les opposer, en apportant son soutien à son ancien coéquipier Didier Drogba. «Didier, c’est mon grand frère, c’était mon capitaine. Les gens ont dit pas mal de choses sur lui et moi, mais on est toujours restés tranquilles, sages. On se connaît. Et puis Didier, c’est quelqu’un de battant. Il a un certain charisme. Il est vrai que lorsque je jouais contre lui, on ne se faisait pas de cadeau...Les gens ont interprété comme ils veulent. Que ce soit les fans, les politiques, la presse, mais il reste mon aîné. Il a un carnet d’adresses qui peut lui permettre d’aider le football ivoirien. Il faut qu’on lui donne sa chance », a indiqué Yaya Touré. Même quand l’Association des footballeurs ivoirien présidée par Cyril Domoraud a refusé de parrainer Drogba, c’est encore Yaya qui est monté au créneau pour attirer l’attention de Fifpro-Afrique afin de rétablir ce qu’il considérait comme une injustice. Une attitude toute à l’honneur du quadruple Joueur africain de l’année.
La guerre de leadership des dirigeants

Au-delà de la division des joueurs au titre de capitaine, il y a également la guerre de leadership, ces palabres des dirigeants qui sont mus par leur ego personnel, leur charisme au niveau des clubs qu'ils dirigent. Un halo de populisme projeté par le succès du club ou des matches disputés. Ce qui fait dire que l'ossature de l'équipe nationale est à base du club le plus outillé. Évidemment, un club comme l'Asec qui a fait les beaux jours de la sélection nationale à une période donnée (Académie Mimosifcom) estime que la fédération lui est redevable. Il y a que des dirigeants de club ont du mal à s’effacer, une fois, le président de la faîtière élu. Oubliant que la fédération est certes, l’émanation des clubs, mais qu’elle gère en toute indépendance les affaires du football.

De 2002 à 2020, en passant par 2011, les crises saisonnières entre l’Asec et les dirigeants fédéraux, jusqu’à l’avènement du GX, le football national en a souffert. Comment comprendre, par exemple, cet acharnement à descendre le président Dieng Ousseynou (paix à son âme), qui revenait de la Can 2002, au Mali. « A la CAN 2002 au Mali, j’ai senti qu’il n’y avait pas de solidarité autour de l’équipe. Les gens souhaitaient même que l’équipe n’aille pas loin. Cela leur permettrait de diriger la FIF. Et c’est ce qui s’est passé. Malheureusement... », dénonce Ibrahima Bakayoko, ancien capitaine des Éléphants, qui confirme que le président Dieng Ousseynou était dans l’obligation de démissionner après la CAN 2002 au Mali. « J’ai entendu beaucoup de choses. Beaucoup de personnes ne souhaitaient pas que les Éléphants gagnent sinon elles ne seraient pas arrivées à diriger le football ivoirien », révèle Ibrahima Bakayoko. Sans hésiter à pointer du doigt le président Jacques Anouma. « Vous le savez bien, Dieng Ousseynou était pourtant le meilleur ami de Jacques Anouma », a-t-il insisté.

Puis l’adage selon lequel, « quiconque règne par l’épée périt par l’épée » s’appliqua. M. Anouma est parti de la Fif dans les conditions semblables, et remplacé par un autre de ses meilleurs amis.

Aujourd’hui, c’est le même groupe d’amis, mais à des positions différentes, qui s’affrontent pour le contrôle de la faîtière. Qui de Sory Diabaté parrainé par Sidy Diallo et d’Idriss Diallo soutenu par Jacques Anouma prendra le dessus ? Wait and see!

PAUL BAGNINI

Le 20/07/20 à 18:07
modifié 20/07/20 à 18:07