L’Editorial de Venance Konan : Décolonisation

L’Editorial de Venance Konan : Décolonisation

Le 26/06/20 à 12:38
modifié 26/06/20 à 12:38
Depuis quelque temps, l’on assiste en Europe et aux États-Unis à des mouvements qui demandent que l’on déboulonne les statues de certaines personnes qui, dans l’histoire, ont joué un rôle dans l’esclavage des peuples africains ou dans la colonisation de leur continent. Quelques Africains participent à ces mouvements en Europe.

Je crois que ces derniers ne doivent pas se tromper de combat, et devraient laisser les Européens et Américains régler tous seuls leurs comptes avec leur passé. Ces Africains doivent savoir que chaque pays a son histoire et honore les personnes qu’il pense avoir contribué à sa grandeur. Ils doivent savoir que l’esclavage de leurs ancêtres et la colonisation de leurs terres ont beaucoup contribué à la grandeur de bon nombre de pays européens. Si aujourd’hui l’Église catholique a fait sa repentance par rapport à la traite négrière, il ne faut pas oublier qu’au XVe siècle, c’est le pape de cette Église, alors la plus haute autorité religieuse et morale de l’Europe, qui bénit en quelque sorte l’esclavage des Noirs. Plus tard, les plus grands penseurs européens, dont Montesquieu ou Hegel, pour ne citer que ces ceux-là, apportèrent une caution intellectuelle à l’esclavage des Noirs qui enrichit considérablement l’Europe.

Pendant des siècles, la traite négrière n’émut personne. La France inventa même un « code noir » pour donner un vernis légal à ce commerce d’êtres humains et aux traite- ments inhumains infligés aux Africains. Ce n’est que récemment que l’on a commencé à reconnaître en Europe que l’esclavage fut un crime contre l’humanité. Mais en Afrique même, l’esclavage n’est pas encore vu comme une grande tragédie pour le continent. En témoigne le fait que pratiquement aucun pays africain ne commémore cela et n’en parle.

En Côte d’Ivoire, le ministre de la Culture, Zadi Zaourou, érigea en son temps un monument dans la commune de Cocody pour illustrer la fin de l’esclavage.

Un maire vint et détruisit ce monument pour dresser à sa place une statue de Saint Jean, l’apôtre de Jésus.

Concernant la colonisation, jusqu’à ce jour, de nombreux hommes et femmes politiques français, pour parler des Européens que nous connaissons le mieux, considèrent que ce fut une bonne chose, puisqu’elle apporta la « civilisation » à des peuples qui en étaient dépourvus. Tout en enrichissant leur pays. Citons le général Charles de Gaulle que les Français et de nombreux Africains vé- nèrent presque comme un dieu, qui déclara lors d’une conférence de presse le 10 novembre 1959 : « Il est vrai que pendant longtemps, l’humanité a admis - je crois qu’elle avait raison - que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, de par les obstacles de la nature ou leurs propres caractères, il était nécessaire qu’il y eut pénétration de la part de l’Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties. »

Pour le général de Gaulle, les meurtres, l’avilissement de l’homme noir et la destruction de sa civilisation n’étaient que de « fâcheuses péripéties ». Jacques Chirac, que l’on présentait comme l’ami de l’Afrique, tenta de faire adopter une loi qui stipulait que « la Nation exprime sa reconnaissance aux femmes et aux hommes qui ont participé à l’œuvre accomplie par la France dans les anciens départements français d’Algérie, au Maroc, en Tunisie et en Indochine ainsi que dans les territoires placés antérieurement sous la souveraineté française... les programmes scolaires reconnaissent en particulier le rôle positif de la présence française outre-mer... » Devant le tollé que provoqua ce projet de loi, il fut retiré. Le 28 août 2016, François Fillon, ancien Premier ministre français, déclara : « Non, la France n’est pas coupable d’avoir voulu faire partager sa culture aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord. »

Le 26 juillet 2007, Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, déclara à Dakar : « Le colonisateur a pris, mais je veux dire avec respect qu’il a aussi donné. Il a construit des ponts, des routes, des hôpitaux, des écoles. Il a rendu fécondes des terres vierges, il a donné sa peine, son travail, son savoir. » Le 15 février 2017, alors qu’il était candidat à la présidence de son pays, Emmanuel Macron déclara à Alger que la colonisation était un crime contre l’humanité. Une partie de la classe politique française s’éleva avec véhémence contre ces propos et Macron dut les nuancer pour ne pas perdre des voix.

Ces rappels pour montrer que l’esclavage et la colonisa- tion ne sont pas perçus de la même façon selon que l’on est Africain ou Européen. Mais je crois que le vrai combat des Africains devrait être de décoloniser leurs propres pays avant de chercher à décoloniser l’Europe. Il est étonnant que ceux qui veulent déboulonner des statues en Europe n’aient pas remarqué les noms et les statues des anciens colonisateurs, dont certains furent de vrais bourreaux, qui ornent la plupart des rues, écoles, casernes militaires, boulevards et places dans leurs pays, indépendants pour la plupart depuis soixante ans. Il est étonnant qu’aucun d’eux n’ait réagi lorsque le président du Congo a érigé une statue de l’explorateur Savorgnan de Brazza, qu’ils n’aient pas remarqué que la capitale du Congo porte le nom de ce colon qui asservit ce pays.

La Côte d’Ivoire porte toujours le nom que le colon a bien voulu lui donner lorsqu’il y a mis les pieds, même si l’on ne trouve plus beaucoup d’ivoires sur ses terres. Les rues du quartier des affaires de sa plus importante ville portent toutes des noms d’anciens colons, ses plus belles avenues et l’un de ses plus majestueux ponts portent les noms de trois présidents français, à savoir de Gaulle, Giscard d’Estaing et François Mitterrand.

Á l’évidence, la vision que l’on a de la colonisation dans certains pays africains n’est pas différente de celle qu’avaient les colonisateurs, à savoir qu’elle a apporté la « civilisation » à des peuples qui n’en avaient pas. Il est donc normal que l’on soit reconnaissant envers ceux qui ont risqué leurs vies à apporter cette civilisation aux pauvres sauvages que nous étions. Plutôt que de chercher à donner des leçons aux autres peuples et leur dire qui ils doivent honorer, certains Africains gagneraient à commencer à balayer devant leurs propres portes. Car ce sont les esprits des Africains qui restent encore à être décolonisés.



Le 26/06/20 à 12:38
modifié 26/06/20 à 12:38