Pouponnière de Dabou : Dans l’univers des enfants lourdement handicapés

La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)
La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)
La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)

Pouponnière de Dabou : Dans l’univers des enfants lourdement handicapés

Le 24/06/20 à 14:53
modifié 24/06/20 à 14:53
Comment se fait le suivi de ces innocentes créatures rejetées par leurs parents ? Reportage.
« Ils souffrent d’une infirmité motrice cérébrale lourde. Ils ne peuvent ni marcher, ni s’asseoir. Ils sont tout le temps couchés dans le berceau... ». C’est ainsi que Dr Kansaye Youssouf, médecin généraliste de la pouponnière de Dabou explique le grave handicap qui frappe ces enfants. C’est l’un d’eux que berçait ce jour dame Kouamé Marie Gisèle, substitut maternelle au sein de cette pouponnière. Vêtue d’une robe fleurie, elle faisait des allées et venues dans le couloir du bâtiment Eden de l’établissement.

Dans ses bras, elle tenait un de ces enfants ‘’mongoliens’ qui avait visiblement besoin de câlins. La serviette posée sur son épaule épongeait la bave qui s’épanchait continuellement de la bouche de cet enfant dont la tête peinait à tenir sur le cou. Cette dame affectueusement appelée ‘’maman’’, a de l’expérience à en revendre pour avoir totalisé une vingtaine d’années dans la prise en charge de ces enfants. Elle nous reçoit, avec le sourire qu’elle affiche au quotidien avec ces êtres fragiles.

Kouamé Marie Gisèle, substitut maternelle, heureuse d’être au service des enfants. (Photos : Sébastien Kouassi)
Kouamé Marie Gisèle, substitut maternelle, heureuse d’être au service des enfants. (Photos : Sébastien Kouassi)



La pouponnière de Dabou, où elle exerce se trouve en pays Adjoukrou, à 50 km d’Abidjan. Le centre est sous la tutelle du ministère de la Femme de la Famille et de l’Enfant. A l’entrée du centre, les visiteurs sont soumis comme partout depuis la survenue du coronavirus, au respect strict des mesures barrières contre la pandémie : lavage des mains, port du masque.

La structure ne reçoit que des enfants abandonnés par leurs parents du fait du mal dont ils souffrent. Nous avons visité les chambres où dorment ces pensionnaires dont l’âge varie entre 9 mois et 35 ans. La pouponnière accueille actuellement 97 pensionnaires (51 garçons et 46 filles), souffrant tous de graves déficiences psychiques : (autisme, troubles du comportement, microcéphalie, hydrocéphalie, épilepsie). 70% d’entre eux ne peuvent pas se déplacer pour avoir perdu l’usage de leurs jambes. Marie Kouassi Gisèle nous apprend que ces enfants ont été ‘’ramassés’’ dans des marchés, des caniveaux, des poubelles.

Ils sont tous abandonnés (après leur naissance) par celles qui les ont mis au monde et admis au centre pour une prise en charge psycho-sociale, affective et cognitive en vue de leur épanouissement. « Nous sommes là tous les jours aux services des enfants, à leurs petits soins car ils sont dépendants. Ils ne peuvent pas se contrôler, ils défèquent dans leurs vêtements. Leur suivi demande donc beaucoup d’amour, de temps et de patience », a-t-elle laissé entendre.

Si l’entretien d’un enfant normal est déjà une tâche difficile, qu’en sera-t-il alors d’un enfant handicapé ? S’interroge cette brave dame. C’est la raison principale de l’abandon et du rejet récurrent de ces enfants par leurs génitrices. D. Mikael, 3 ans, couchée dans son berceau du bâtiment Eden, souffre d’un retard psychomoteur est microcéphalie, en plus elle a des membres non fonctionnels.

La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)
La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)



A en croire celle qui représente aujourd’hui ''sa mère", elle a été découverte, une semaine après sa naissance, abandonnée au service pédiatrique à l’hôpital méthodiste de Dabou. Autour de son cou, était attachée une ficèle qui laissait pendre sur sa poitrine un écriteau sur lequel celle qui l’a portée pendant 9 mois, avait exprimé son ras-le-bol : « Je suis fatigué ! Je n’ai plus d’issue ! »

Pour Marie Gisèle Kouassi N’Guessan, l’attitude des parents peut s’expliquer par le manque de moyens ou la crainte du regard des autres (l'entourage) qui traitent souvent ces enfants de génies, de sorciers, de serpents, bref de rejetons porteurs de malheur.

Heureux, malgré tout

Sans parents biologiques, ils sont heureux d’être dans leur nouvel environnement, dans une ambiance conviviale, un cadre familial, entourés de substituts parentaux (papa, maman), d’assistantes sociales, de médecins, de maîtres d’éducation spécialisés, de kinésithérapeutes, etc.

A l'ombre des arbres, au cœur du centre, certains, notamment les plus grands, exécutent, à cœur joie, des pas de danse au rythme des morceaux de Serge Beynaud, de Kedjevara Dj. « Tous les matins, nous faisons plusieurs activités, avec les enfants : le langage, la compréhension, tout ce qui est la base de la vie quotidienne, accompagnés d’activités manuelles, sportives. Ils sont contents, ils s’amusent, les plus grands sont déjà habitués », nous a confié Agouassey Danho Olga, cheffe du service éducation spécialisée.

La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)
La pouponnière de Dabou accueille des pensionnaires abandonnés souffrant de graves déficiences psychiques. (Photos : Sébastien Kouassi)



Et la directrice de la pouponnière, Ouattara Korotoumou, d’ajouter que tous les enfants du centre vivent les différents stades de développement avec leurs nouveaux parents. « Celui qui a 35 ans est là depuis l’âge de deux ans. Ils viennent bébés et vivent toutes leurs vies avec nous, la poussée des dents, les quatre pattes, les crises de préadolescences, leur transformation physique des enfants est vécue avec nous. Ils ont tous la joie de vivre avec nous ».

A l’en croire, la prise en charge est gratuite car l’Etat de Côte d’Ivoire leur alloue un budget qui prend tout en compte (assistance médicale, alimentaire, nutritionnelle, vestimentaire). Les kinésithérapeutes se sont organisés pour un meilleur suivi des enfants, la rééducation physique de ceux qui sont en situation d’infirmité motrice cérébrale. En somme, tout est mis en œuvre pour l’épanouissement des enfants.

D’autres pathologies enregistrées

Tous ces handicaps des enfants sont dus, selon Dr Kansaye Youssouf, médecin généraliste de la pouponnière, à des maladies génétiques, infectieuses, un mauvais suivi de la grossesse. « Une femme en grossesse doit avoir les moyens pour suivre son évolution. Si la grossesse n’est pas suivie, on assiste à ce genre de situation. D'où la nécessité pour la femme enceinte de fréquenter les centres de santé (maternités, hôpitaux) pour suivre sa grossesse », a-t-il souhaité.

En plus de leurs handicaps, ces enfants ont des pathologies infectieuses, comme des maladies virales, bactériennes, parasitaires, paludisme, fièvre typhoïde. Hélas, des décès sont également enregistrés. Dr Kansaye Youssouf souhaite que le centre dispose de plus de psychologues, neurologues, psychiatres d’autant plus que les pathologies que les enfants développent demandent une prise en charge plus spécifique et adaptée à leur situation. Composée d'un médecin généraliste, de deux infirmiers et de deux aides-soignantes, l'équipe médicale est apparemment insuffisante face à l'ampleur de la tâche.

Kansaye Youssouf, médecin généraliste de la pouponnière de Dabou. (Photos : Sébastien Kouassi)
Kansaye Youssouf, médecin généraliste de la pouponnière de Dabou. (Photos : Sébastien Kouassi)



L’admission à la pouponnière

L’admission des enfants handicapés suit une démarche bien précise. Selon Allépo Delphine, assistante sociale, lorsque que quelqu'un récupère un enfant abandonné, il l’envoie soit dans un commissariat ou le centre social le plus proche. Quand le centre social le réceptionne, il se donne 48 heures de recherches pour voir si l’enfant n’est pas égaré. Après quoi, il s'adresse au directeur de la Protection de l’enfant. Il se charge aussitôt de le protéger. Mais, si c’est un enfant handicapé, il l’envoie à la pouponnière de Dabou. C’est le directeur de la Protection de l’enfant qui délivre le papier d’admission au centre. A la pouponnière, un matricule lui est attribué.

L’accueil des êtres fragiles est un véritable motif de satisfaction pour les assistantes sociales, dit-elle. « C’est une mission, un amour partagé de les recevoir ; qui ne s’explique pas. Certaines personnes ne supportent pas ces enfants ; il arrive même que des fonctionnaires refusent de travailler à la pouponnière. Nous aimons ces enfants, sans discrimination. Entre eux et nous, c’est une affection mère- enfant ».

Elle a saisi cette occasion pour lancer un appel aux parents. « L’enfant doit évoluer dans le cadre familial. Certes, élever ou suivre un enfant handicapé n'est pas aisé ; c'est presque un sacerdoce, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut démissionner. Je demande aux parents de ne pas abandonner leurs enfants ; quelle que soit leur situation. L’enfant a besoin du parent pour s’épanouir », a-t-elle conseillé.

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Quelle insertion professionnelle ?

Certes la pouponnière de Dabou est chargée d’assurer la prise en charge psycho-sociale, éducative, rééducative des enfants abandonnés et handicapés, mais au finish, elle prévoit des activités surtout pour les plus grands, question de les insérer dans la vie active. Notamment, l’élevage de poulets, de lapins, la culture du manioc, de haricots. Toute chose qui va leur permettre d’assurer leur autonomie financière.

L’élevage de poulets et de lapins, pour l’insertion professionnelle des plus grands. (Photo : Sébastien Kouassi)
L’élevage de poulets et de lapins, pour l’insertion professionnelle des plus grands. (Photo : Sébastien Kouassi)



Ainsi, âgé de 13 ans et souffrant d’une infirmité motrice cérébrale, O. K a déjà réalisé des prouesses dans ce sens. Il a pu s’offrir un portable, grâce à sa ferme de poulets qu'il commercialise. « La sélection se fait au service éducatif. Nous tenons compte de certaines aptitudes. Pour des problèmes d'autisme ou de certaines pathologies, des enfants ne peuvent pas faire des activités ici. Tous les enfants que nous avons sur le site sont des Imc. Ils sont sélectionnés en tenant compte de l’âge. La sélection se fait depuis le service éducatif. Il y a des activités pour socialiser les enfants. Si, sur le plan psychomoteur, ils sont capables d’interagir avec leur milieu, nous les choisissons », a expliqué Mian Dimitri, sous-chef du service éducatif.

Elle reconnait que les résultats ne sont pas toujours immédiats. Ils sont alors formés et suivis sur le terrain par un technicien. « Le technicien forme les enfants ; il apprend les noms du matériel à l’enfant et le geste à faire. Il en est ainsi le spécialiste. Ils font des plants de manioc, sous leur direction. Sous la conduite des personnes qu’il faut, ces enfants peuvent réaliser des choses qui surprennent le commun des mortels. Le handicap n’est pas une fatalité », a-t-il tranché.

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De la nécessité d’un centre de santé spécialisé

« L’infirmerie ne répond plus aux normes de ces enfants, les partenaires peuvent aider l’Etat dans son projet de construction d’un centre spécialisé pour une meilleure prise en charge des enfants ». C’est le cri de cœur lancé par la directrice de la pouponnière de Dabou, Ouattara Korotoumou.

Ouattara Korotoumou, la directrice de la pouponière de Dabou. (Photo : Sébastien Kouassi)
Ouattara Korotoumou, la directrice de la pouponière de Dabou. (Photo : Sébastien Kouassi)



Se félicitant du travail abattu par l’équipe médicale de sa structure, elle déplore que malgré tout, elle est souvent obligée de faire orienter des enfants vers des hôpitaux, cliniques, ou autres centres de santé spécialisés pour une meilleure prise en charge. « Le plateau technique actuel du centre n’est, en effet, plus adapté au traitement des diverses pathologies des enfants. Par ailleurs, la spécificité de leur état nécessite des soins plus appropriés et des examens plus approfondis ».

D’où l’appel pressant de Ouattara Korotoumou aux partenaires et personnes de bonne volonté pour accompagner l’Etat dans l’aboutissement de ce projet. « Il est donc urgent de construire un centre de santé qui comprendra un laboratoire, un équipement médical adéquat, des lits d’hospitalisations, des services spécialisés pour une prise en charge plus adaptée aux handicaps des enfants », a-t-elle fait savoir.

Autre préoccupation évoquée pour la première responsable de la pouponnière, le manque d’une ambulance médicalisée pour le transport des enfants. « La structure ne dispose pas de véhicule pour le transport des enfants vers les centres de santé spécialisés. Ils sont conduits dans un véhicule offert par une institution bancaire. Il serait bon d’acquérir ce type de véhicule qui minimiserait les complications lors du transport des malades », a-t-elle plaidé.

Par ailleurs, elle a précisé que des pensionnaires du centre ont des aptitudes dans des domaines comme la peinture, la musique, la danse, le sport. « Ces activités sont une thérapie et concourent à leur épanouissement. C’est pourquoi, il faut nouer des partenariats avec des structures, Ong, associations et autres qui œuvrent dans ce domaine afin d’accompagner les poupons à réaliser leur performance », a-t-elle souhaité.

Ouattara Korotoumou n’a pas manqué de remercier le Premier ministre, chef du gouvernement Amadou Gon Coulibaly, qui a offert du matériel médical et des matelas à la pouponnière. Elle a aussi remercié la ministre de la Femme, de la Famille, et de l’Enfant, professeur Bakayoko Ly-Ramata et les partenaires qui n’ont de cesse d’avoir un regard particulier sur le fonctionnement des établissements de remplacement.



Le 24/06/20 à 14:53
modifié 24/06/20 à 14:53