Lutte contre la Covid-19/Marwane Ben Yahmed : « Les autorités ivoiriennes ont pris des mesures assez efficaces »

Marwane Ben Yahmed, Directeur de publication de Jeune Afrique (DR)
Marwane Ben Yahmed, Directeur de publication de Jeune Afrique (DR)
Marwane Ben Yahmed, Directeur de publication de Jeune Afrique (DR)

Lutte contre la Covid-19/Marwane Ben Yahmed : « Les autorités ivoiriennes ont pris des mesures assez efficaces »

Le 30/05/20 à 06:04
modifié 30/05/20 à 06:04

Après huit semaines d’absence des kiosques en raison des dispositifs de confinement en France, pays siège, le magazine panafricain revient en kiosque ce 31 mai avec une enquête sur la Covid-19 en Afrique. Marwane Ben Yahmed, Directeur de publication de Jeune Afrique, dans son avis à propos de la lutte contre la Covid-19

Dans sa parution en kiosque le 31 mai, Jeune Afrique consacre une vingtaine de pages à une enquête sur la Covid-19 intitulée "Et si l'Afrique en sortait renforcée". En quoi le continent a-t-il changé avec cette crise ?

La crise sanitaire qui s’est subitement abattue sur nos têtes, faisant voler en éclats nos certitudes, nos habitudes et nos repères, a mis en lumière un fait nouveau, source d’espoir : contrairement à ce qu'on nous annonçait en Occident, qui n’aime rien tant que prévoir le pire pour l’Afrique, notre continent s’est illustré positivement dans bien des domaines. Il a fait preuve d’une résilience incontestable et d’une réactivité que nous ne lui connaissions guère. À l’exception de l’Asie, il s’en tire mieux sur le plan sanitaire que la plupart de ses prospères partenaires internationaux. Et tout le monde a pu constater que, une fois n’est pas coutume, l’Afrique a su se mobiliser tout entière pour parler d’une même voix, faire preuve de solidarité, explorer ses solutions, ouvrir le débat, y compris sur des sujets jusqu’ici tabous, comme celui, par exemple, de la dette. Sans oublier l’implication inédite de nos experts et de nos intellectuels. Qui n’ont de cesse de remettre en question les dogmes jusqu’ici en vigueur et de pousser nos dirigeants à chercher des réponses sur le continent, sans attendre que le reste du monde nous vienne en aide. Tous les sujets sont sur la table, de la démocratie au rôle des femmes, de l’apport des nouvelles technologies à l'élaboration d'un modèle de développement qui nous soit propre. Cette « Afrique d’après » qui s’esquisse sous nos yeux semble riche de promesses, même si l'épidémie est loin d'être vaincue et que rien ne garantit que cet état d'esprit perdure. Il nous a cependant semblé indispensable, notamment pour que cette dynamique se poursuive et s’étende à d’autres champs, de lui consacrer une large part de ce numéro de reprise.

Quels sont les pays couverts par l’enquête ? Et à quelles conclusions êtes-vous parvenu ?

Cette enquête est transversale et se penche sur les situations ou les initiatives de la grande majorité des pays du continent, au sud comme au nord du Sahara. Tous nos journalistes et tous nos correspondants, de Casablanca à Antananarivo, en passant par Abidjan, Dakar, Conakry, Douala, Kinshasa ou Le Cap, ont été mis à contribution. Nous avons également sollicité les meilleurs experts, dans de nombreux domaines et pas seulement celui de la santé, pour nourrir cette réflexion, analyser les différents comportements auxquels nous avons assisté et se projeter dans l'avenir. La conclusion, nous en avons parlé, c'est qu'il ne faudra pas décevoir le vent d'optimisme né de la gestion de cette crise. Puisque nous avons prouvé nos capacités à nous prendre en main, à faire preuve de solidarité et de réactivité, à explorer nos propres ressources, il serait aberrant de s'arrêter en si bon chemin.

Qu'apprend-on de la situation de la Covid-19 en Côte d'Ivoire?

La Côte d'Ivoire n'a pas échappé à ce fléau. Elle enregistre un nombre de cas relativement conséquent, à l'échelle de l'Afrique en tout cas, mais fait partie des meilleurs élèves en matière de taux de létalité, c'est-à-dire le pourcentage de décès par rapport au nombre de malades, ou de guérisons. Les autorités ont réagi rapidement, pris des mesures de précautions ou d'accompagnement assez efficaces. Mais, comme partout ailleurs, il faudra attendre pour mesurer réellement l'ampleur des conséquences économiques.

Un peu partout sur le continent, la médecine traditionnelle s'est activée pour apporter des réponses thérapeutiques souvent moquées à l'extérieur mais bien reçues par des malades. Votre enquête aborde-t-elle cette problématique?

Evidemment. La pharmacopée africaine est riche, sa médecine traditionnelle également. L'exemple le plus symptomatique, que nous abordons dans notre enquête, se trouve à Madagascar, avec le Covid Organics, cette tisane à base d'Artemisia et d'autres plantes tenues secrètes, que le président Rajoelina promeut avec un certain talent. L'artémisia est utilisée depuis 2 000 ans, notamment pour lutter contre les effets du paludisme. Si son efficacité reste à prouver face au Covid-19, il aura tout de même fallu attendre cette crise pour que des chercheurs de premier plan commencent à s'y intéresser.

La pandémie a mis en exergue l'étendue des efforts infrastructurels et humains à fournir pour avoir des systèmes de santé plus efficaces. Pensez-vous que la crise actuelle servira de détonateur à la mise en oeuvre de vraies politiques de santé en Afrique ?

Je l'espère en tout cas, et pas seulement en Afrique d'ailleurs. Cette pandémie a mis en lumière de trop nombreux paradoxes. Dans un monde qui sait envoyer des hommes sur la lune, nous ne pourrions soigner décemment la majorité d'entre nous ni même être en mesure de fabriquer rapidement des masques pour se prémunir d'un virus qui n'a pourtant rien d'un "tueur en série" ? En matière d'équipements de santé ou de ressources humaines comme en matière de recherche scientifique, prions pour que nous tirions toutes conclusions de cette extraordinaire expérience.

Selon vous, qu’il est-ce aura un avant et un après-Covid 19 en Afrique et Pourquoi ?

Il y aura évidemment un après, forcément différent. La question, c'est qu'en ferons-nous ? Saurons-nous infléchir le cours de notre Histoire et repenser nos sociétés ? Nous préoccuper enfin d'un meilleur partage des richesses, de préserver notre planète ? Ou alors, sitôt la pandémie éradiquée, recommencerons-nous comme avant, à ne nous soucier que de nous-mêmes dans un aveuglement suicidaire ? J'ose espérer en tout cas que cette crise nous aura ouvert les yeux...

Propos recueillis par Valentin Mbougueng

Le 30/05/20 à 06:04
modifié 30/05/20 à 06:04