A’Salfo (lead vocal du groupe Magic System): ‘‘On ne fera pas le Femua cette année et on n’en mourra pas’’

Traoré Salif dit A'salfo, lead vocal du groupe Magic System. (DR)
Traoré Salif dit A'salfo, lead vocal du groupe Magic System. (DR)
Traoré Salif dit A'salfo, lead vocal du groupe Magic System. (DR)

A’Salfo (lead vocal du groupe Magic System): ‘‘On ne fera pas le Femua cette année et on n’en mourra pas’’

Le 07/05/20 à 14:22
modifié 07/05/20 à 14:22
Traoré Salif dit A’Salfo, leader du groupe Magic System, parle des impacts du Covid-19 sur leurs activités et dresse le bilan des premières phases de la chaîne de la solidarité que la Fondation Magic System a pilotées avec l’Union européenne et d’autres partenaires.
Le monde entier est à l’arrêt en raison de la pandémie du coronavirus qui sévit en ce moment. En tant qu’artiste et aussi leader d’opinion, comment vivez-vous ce contexte de crise sanitaire ?

Nous vivons cette crise sanitaire comme tout le monde sur la planète. Tout est à l’arrêt. Nous sommes des acteurs qui aimons bouger beaucoup, surtout quand on est dans le domaine de la musique. Toutes les tournées se sont arrêtées. On peut affirmer que c’est toute l’économie mondiale qui s’est arrêtée. C’est une pandémie inédite, une crise sans précédent. Nous essayons plus ou moins de nous adapter.

Vous bougez tout de même à travers une chaîne de solidarité en soutien aux familles démunies face au Covid-19 dont vous venez d’achever la deuxième phase. Que peut-on retenir de cette campagne ?

Nous avons toujours été aux côtés des familles démunies. C’est l’un de notre rôle de venir en aide à ces familles, quand nos moyens nous le permettent. Il faut le dire, avec l’Union européenne qui est notre partenaire principal, nous avons initié une tournée l’année dernière, qui était Ue-Magic tour, au cours de laquelle nous avons parlé des valeurs comme celle de la solidarité. Et nous avons estimé qu’il n’y a pas un moment mieux choisi comme cette crise à coronavirus pour mettre en exergue cette valeur de solidarité. C’est ensemble que nous avons initié cette caravane de la solidarité, rejointe plus tard par la Fondation Didier Drogba, l’entreprise Addoha, Total et d’autres entreprises que je ne pourrai citer tellement la liste est longue. Nous avons donc été aux côtés de ces populations qui en avaient besoin. Il y a beaucoup de familles vulnérables en Côte d’Ivoire. Et nous estimons que nous pouvons apporter notre maillon à cette chaîne de solidarité.

Combien de familles ont été touchées à la fin de ces deux phases ?

Nous avons touché près de 15 000 familles. Pour la troisième phase, je pense que nous allons pouvoir toucher plus de familles. L’objectif est d’atteindre le plus grand nombre de familles possibles. Et j’espère que nous pourrons le faire.

Ces 15 000 familles correspondent à combien de localités dans le Grand Abidjan ?

Le Grand Abidjan, c’est d’abord les 13 communes que nous connaissons tous. C’est-à-dire les communes de Songon, Bingerville et d’Anyama qui s’ajoutent aux 10 communes classiques que nous connaissons. Mais au-delà du Grand Abidjan, nous avons eu le temps de nous déplacer dans les communes de Jacqueville, Dabou et de Grand-Bassam qui ne font pas partie du département d’Abidjan. Nous sommes également allés à Adiaké, à Bonoua, donc Abidjan et sa grande périphérie pour atteindre le maximum de familles possibles. Je crois que nous n’avons pas terminé. Il y a encore à faire.

Au nombre des événements impactés par la crise à Coronavirus, on note le Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) organisé par le groupe Magic System. Nous sommes déjà au mois de mai; ce Festival pourra-t-il se tenir cette année ?

Le plus important, c’est d’être en vie. Le Femua ne fuit pas. C’est quand on est en vie qu’on organise des festivals. Dans un premier temps, nous avons reporté le Femua pour nous donner le temps de pouvoir accompagner les efforts de nos autorités dans la sensibilisation et dans les actions. Il faut être réaliste. Nous prions Dieu pour que la pandémie prenne fin le plus tôt possible et qu’on puisse se retrouver pour fêter. La fête peut venir à tout moment. Si cette année, un regroupement peut être dangereux ou peut créer une autre source de contamination, on ne fera pas le Femua et on n’en mourra pas. On pourra remettre le Femua à l’année prochaine. Tout est fonction de l’évolution de la pandémie. Pour le moment, nous n’avons pas choisi de nouvelles dates pour le Femua.

Après les deux phases de la chaîne de solidarité Covid-19, quelles sont les perspectives ?

Les perspectives, elles sont plus dans la proximité. Dans un premier temps, nous avons contacté les mairies. Les mairies nous ont aidés à cordonner avec les familles. Dans un deuxième temps, vous savez qu’à Abidjan, il y a des quartiers précaires, comme Colombie, Gobélé, Anono, Boribana, Mossikro, Yaosséhi, etc., et de nombreux autres petits quartiers qui n’ont pas été touchés. Dans cette autre phase, nous allons être plus proches des familles de ces quartiers et sous-quartiers qui n’ont pas reçu de kits. Ceux qui n’ont pas vite compris nos actions ont tout de suite crié. On fait les choses par étape. Il y a une étape qui est plus organisée, plus administrative et qui est plus formelle avec les fichiers des mairies et il y a une autre étape où ce sont les Ong qui rentrent en ligne de compte pour être encore plus proche des familles. Ce sera une distribution de proximité. Nous allons choisir symboliquement une, deux, voire trois villes de l’intérieur, parce que cette troisième étape est l’étape de la proximité.

Dans vos tournées, on a constaté que les dons ont été remis aux différents responsables des localités, notamment les maires appuyés par certaines Ong. Comment savez-vous que les cibles ont été atteintes ou que les familles démunies ont reçu effectivement ces kits ?

On ne peut se rassurer en étant nous-mêmes des distributeurs. Les mairies sont des points d’appui pour la logistique pour les fichiers. Rassurez-vous, ces familles reçoivent leurs kits directement des mains des personnes que nous avons désignées. Ce sont des bénévoles qui travaillent avec nous qui sont dans les différentes mairies et qui sont chargés d’appeler ces familles. Ensuite, les enlèvements sont faits contre émargements. La mairie nous donne son local et les bénévoles qui sont des membres des fans clubs Magic System, assistés par les services sociaux des mairies et qui ont les numéros de toutes ces familles. Ceux-ci se chargent de les appeler pour venir réceptionner leurs kits contre émargements. Selon les rapports que nous avons reçus, 98% des familles ont reçu leurs vivres.

Qu’est-ce qu’une initiative de ce genre apporte réellement à la lutte contre la pandémie du coronavirus ?

Je pense que cette initiative contribue à mettre en place l’un des gestes barrières les plus importants qui est de demander aux populations de rester chez elles. Si nous avons pensé à envoyer des vivres aux populations, c’est parce que nous estimons que nous sommes dans un pays dont les populations sont dans l’informel à près de 75% à 80%. Pour permettre à ces familles qui vivent au jour le jour de rester à la maison sans se déplacer, il faut leur apporter des vivres. C’est cela notre contribution qui ne se limite pas seulement à donner des kits. Nous en profitons aussi pour véhiculer des messages de sensibilisation sur les gestes barrières pour faire prendre conscience à nos populations sur la dangerosité de la maladie à Coronavirus.

Écoles Magic System, arbres de Noël, Ue-Magic Tour, caravane de solidarité, la personnalité d’A’Salfo rime-t-elle désormais avec la philanthropie ?

Ce n’est pas fait exprès parce qu’aujourd’hui personne ne cherche forcément à attacher sa personnalité à la philanthropie. La philanthropie, c’est un cas de conscience. C’est quand on prend conscience que l’on doit aller chez les autres.

Pour ceux qui connaissent l’histoire de Magic System, on a cette petite vengeance à prendre sur la vie parce qu’on n’a pas pu bénéficier de cet élan de solidarité. Aujourd’hui, le Seigneur nous donne les moyens de secourir les autres et de promouvoir les valeurs de partage et de solidarité, on en est tout à fait heureux. Quand on est enfant du Ghetto, ces genres de gestes ne doivent pas surprendre les gens.

Cette image d’ambassadeur de la charité n’a-t-elle pas été écorchée par l’incident de l’Ijns?

Dans la vie, les obstacles peuvent arriver à tout moment. Mais le plus important, c’est de savoir en tirer des leçons. Dans la vie, je dis toujours que nul n’est parfait. Il peut avoir des imperfections. Cet incident de l’Injs est un évènement malheureux. Parce que faire un auto-confinement en dehors de ce qui a été prescrit par les autorités, cela relève de l’irresponsabilité. C’est un fait qui est arrivé. Le plus important, c’est de pouvoir passer à autre chose et de ne pas être une source de propagation du virus. La famille a été auto-confinée. Tout le monde a fait ses tests pour éviter toute contamination. L’essentiel aujourd’hui, c’est de se mettre à la disposition de son pays pour aider les autres. On en a tiré beaucoup de leçons et on avance. J’ai toujours tiré des leçons dans ma vie. Je crois que c’est ce qui a forgé ma personne même. Parce que je n’ai jamais remis en cause mes erreurs. Il faut savoir tirer une leçon de ses erreurs pour mieux avancer.

A'salfo du groupe Magic System. (DR)
A'salfo du groupe Magic System. (DR)



Magic System est composé de quatre membres, mais on a constaté l’absence des trois autres du quatuor Magicien au cours de cette caravane de solidarité. Qu’est-ce qui explique leur absence ?

J’ai lu et entendu beaucoup de commentaires sur les réseaux sociaux. Vous savez, on ne peut pas répondre à tout. Mais lorsque l’occasion se présente, il faut le faire. Je peux vous répondre aujourd’hui pour dire que celui qui prône vraiment cette image de Magic System, c’est moi. Cette image du groupe qu’on voit, cette image de quatre jeunes d’Anoumabo qu’on voit, c’est parce qu’il y a un leader qui essaie d’ordonner le groupe. Mais ce n’est pas à toutes les occasions qu’on peut être quatre. Les raisons sont simples. Manadja n’est pas en Côte d’Ivoire, Goudé n’a pas fait toutes les étapes de l’Ue-Magic Tour, parce qu’il a des soucis de santé, il est en convalescence, donc est vulnérable. Or dans cette crise sanitaire, il est conseillé de protéger les personnes vulnérables. Aussi, la caravane de la solidarité a commencé le premier jour de l’hospitalisation de Tino. Il est également vulnérable. Qui voulez-vous à mes côtés? Moi, je suis leur grand-frère. Je représente tout le groupe. Tous les soirs, on se parle au téléphone pour faire le point. Il faut que les gens comprennent que je ne peux pas emmener les gens qui sont vulnérables dans une tournée. Ils ne sont donc pas mis à l’écart comme on le fait croire. Il n’y a aucune polémique à créer, Magic System reste toujours un groupe soudé.

Parlant de vos partenariats, vous avez été beaucoup soutenus par l’Union européenne dans vos initiatives récentes. Une caravane qui porte d’ailleurs le nom Ue-Magic Tour a organisé il y a quelques mois. Qu’est-ce qui vous lie à l’Union européenne ?

Ce qui nous lie, c’est la vision. Pour que deux partenaires travaillent ensemble, il faut qu’ils s’accordent sur la vision. Nous avons une vision qui est portée sur les valeurs avec les populations. Ces valeurs, je crois que l’Union européenne les partage avec nous. L’Union européenne a voulu que nous nous inscrivions ensemble dans la même vision pour promouvoir au mieux ces valeurs. Vous savez que la Fondation Magic System a pour but principal de contribuer au bien-être des populations. Chaque fois que l’occasion se présente de pourvoir approcher un partenaire qui vienne nous aider dans cette ligne de pouvoir aider les populations. Nous sommes tout de suite partants. C’est ce qui renforce notre lien avec l’Union européenne qui s’inscrit plutôt dans l’alliance des peuples que dans tout autre chose. Vous verrez que nos actions sont portées spécifiquement sur le bien-être des populations. Et cela doit continuer.

Au cours de cette caravane Ue-Magic Tour, vous avez longuement insisté sur la promotion de la paix. Vous avez même réussi à réunir sur un même podium des représentants de différents partis politiques à Yopougon-Ficgayo. On sait aussi que vous avez été nommé membre du Conseil économique, social, environnemental et culturel (Cesec). A’Salfo s’intéresse-t-il désormais à la politique ?

Non ! Mais si la politique s’intéresse plutôt aux actions d’A’Salfo, je crois que cela peut être une plateforme pour promouvoir ce que nous mettons en place. Aujourd’hui au Conseil économique, social, environnemental et culturel, il n’y a pas que des politiciens. Comme le nom le dit, c’est économique, social, environnemental et culturel. Sur les quatre dénominations que vous entendez, je me retrouve dans trois. C’est ce qui fait d’ailleurs que cette présence dans cette institution me permet davantage d’apporter ma contribution dans ce sens. Promouvoir la paix, c’est notre rôle. Parce que nous avons la chance de faire une activité qui rassemble tous les Ivoiriens sans barrière et sans distinction ni de race. Sans barrière de religion et d’ethnie. Je crois que quand on est dans ce canevas, on profite pour promouvoir tout ce qui peut conduire à l’union des gens, la solidarité et la fraternité entre les populations. Pour moi, c’est très important de pouvoir être ambassadeur de la paix avec le groupe Magic System. Les disques d’or, les millions de disques vendus, les droits d’auteurs seuls ne peuvent pas nous permettre de bâtir notre carrière. La carrière d’un artiste est soutenue par beaucoup d’autres paramètres. Il y a des artistes qui ne vendent pas de millions d’albums mais qui sont utiles à leur pays, de par leurs actions. Il y en a aussi qui peuvent avoir des millions et dormir sur leurs lauriers et continuer leur carrière comme il se doit. Nous, nous avons décidé d’être un groupe engagé. Cela date de plus de vingt ans et nous y sommes jusqu’au aujourd’hui. Parce que nous sommes des gens en qui le peuple croit, la population croit. Nous allons continuer de représenter cette population à travers nos chansons et nos actions.

Une candidature à une élection municipale ne vous aiderait-elle pas à être plus proche de la population pour l’entendre, l’écouter et l’aider ?

Être candidat à une élection vous amène à faire des actions avec des arrières pensées. Ces actions ne seront plus peut-être des actions objectives. Mais des actions subjectives. C’est là la différence entre celui qui fait quelque chose sans rien attendre en retour et celui qui fait quelque chose en attendant quelque chose en retour. Nous menons aujourd’hui des actions, où nous voulons quand nous le voulons et avec qui nous le voulons, sans être candidats. Être candidat à une élection va nous amener forcément à faire des choses parce qu’on a besoin d’électeurs, on a besoin d’être bien vu et qu’on a besoin de passer des messages politiques. Je crois que cette liberté que nous avons de faire nos actions là où nous voulons n’a pas de prix. Aujourd’hui, si je suis candidat à une élection municipale, cela va m’amener à axer toutes mes actions dans une seule commune. Ce qui ne pourra pas faire bénéficier à tous les Ivoiriens. Or aujourd’hui, on va partout en Côte d’Ivoire. Et partout en Côte d’Ivoire où nous arriverons, nous serons accueillis à bras ouverts parce que derrière nos actions, il n’y a pas de visées politiques. Ce que nous avons fait est beaucoup trop pour être candidat à une élection municipale. On n’a pas besoin de dépenser autant pour être candidat à une élection municipale. On ne dépense pas pendant quinze ans pour être candidat. Nous sommes sur le terrain à tout moment. Vous n’allez pas me dire qu’on a envie d’être maire de Séguéla en y construisant une école. C’est pour vous dire qu’on est plus à l’aise comme ça. Ceux qui croient que nous avons des ambitions politiques, qu’ils se détrompent. Nous faisons des actions qui sont liées à notre propre vie. Nous venons d’un quartier pauvre. On se dit que nous devons à ces populations là parce que nous faisons partie des leurs. L’heure est si grave, c’est pourquoi, je voudrais dire à tous les Ivoiriens que nous vivons une crise sans précédent. On n’avait pas donné cher la peau du continent Africain sur cette pandémie. Je ne dis pas qu’on a évité le pire. Je veux dire que certaines valeurs nous ont permis de réduire et de minimiser beaucoup de choses. Notre solidarité, notre respect mutuel entre nous, notre union et notre fraternité ont été plus forts pour une meilleure mise en œuvre de toutes les mesures prises par les autorités. Continuons dans ces valeurs et respectons les mesures barrières pour que demain nous puissions montrer à la face du monde entier que l’Afrique a relevé le défi là où le monde ne s’attendait pas à elle. Nous devons sortir vainqueurs. Pour sortir victorieux de cette crise sanitaire, ce sont les règles barrières qu’il faut respecter en les accompagnant de nos valeurs cardinales.

Interview réalisée par

Germaine Boni,

Edouard Koudou et

Jean Bavane Kouika



Le 07/05/20 à 14:22
modifié 07/05/20 à 14:22