Parfait Kouassi (président de la Brvm): ‘‘Les décisions du gouvernement sont vigoureuses et elles nous satisfont ’’

Parfait Kouassi, président de la Brvm et du Dcbr et 1er vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire. (DR)
Parfait Kouassi, président de la Brvm et du Dcbr et 1er vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire. (DR)
Parfait Kouassi, président de la Brvm et du Dcbr et 1er vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire. (DR)

Parfait Kouassi (président de la Brvm): ‘‘Les décisions du gouvernement sont vigoureuses et elles nous satisfont ’’

Le 27/04/20 à 07:28
modifié 27/04/20 à 07:28
Ex-président de l’Inter-Ordre des pharmaciens d’Afrique, Parfait Kouassi est actuellement le président de la Bourse régionale des valeurs mobilières (Brvm). Il jette un regard scientifique et économique sur la pandémie du Covid-19. Pour lui, plus rien ne sera comme avant.
Vous êtes pharmacien, vous étiez encore il n’y a pas très longtemps président de l’Ordre des pharmaciens de Côte d’Ivoire et président de l’Inter-Ordre des pharmaciens d’Afrique. Aujourd’hui, chef d’entreprise et homme d’affaires, vous êtes actuellement président de la Brvm et du Dcbr et 1er vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire. Qu’est-ce qui, selon vous, rend le Covid-19 aussi redoutable sur toute la planète ?

A mon sens, trois caractéristiques rendent le Covid-19 particulièrement difficile à combattre. Première caractéristique, ce virus est nouveau. Certes, on connaît depuis les années 30 l’existence des coronavirus. Certes, on savait que certains virus de cette famille des coronavirus, notamment les SARS-COV, étaient responsables de maladies chez l’homme, comme le SRAS ou le MERS. Mais le coronavirus actuel, lui, est apparu brutalement, surprenant le monde et la communauté scientifique qui, ne disposant pas de toutes les connaissances sur sa physiopathologie et de moyens pour le contrer, s’est mis à tâtonner, ce qui était plutôt logique. Mais comme grâce au développement des médias et des réseaux sociaux, tout cela se passe sous les regards du monde entier non scientifique, une grande psychose s’est rapidement installée.

Quelle est la deuxième caractéristique ?

C’est la rapidité de la propagation. Du fait d’une longue période d’incubation au cours de laquelle le patient est à 85% asymptomatique, le Covid-19 s’avère sournois et donc se propage très vite sans qu’on s’en rende véritablement compte.

D’où les gestes de distanciation sociale imposés par les gouvernements...

C’est justement la troisième caractéristique. Ce virus perturbe directement ou indirectement tous les fondements de notre modèle contemporain de vie. En imposant la distanciation physique entre les hommes et le confinement, il arrête la machine de production, réduit la consommation, supprime les loisirs et les déplacements, ce qui casse les liens sociaux, et pousse les hommes à l’isolement. Dans l’histoire de l’humanité, je ne connais pas beaucoup de chocs qui aient impacté ainsi, dans le même temps, l’ensemble de ces segments de notre mode de production, de consommation et de vie.

Comment en est-on arrivé à un tel désastre quand on connaît le niveau de développement de la technologie et surtout de la médecine ?

C’est une question fondamentale. Le développement technologique et médical dont vous parlez est-il la cause ou la conséquence? Je m’interroge. Cela doit nous amener à admettre définitivement que la nature aura toujours le dessus sur nous, simples humains. C’est une occasion pour les Hommes et surtout pour la communauté scientifique de savoir raison garder et de ne pas se permettre toutes les libertés dans la manipulation ou la transformation volontaire ou non des éléments que la nature nous a donnés dans un parfait équilibre; équilibre que nous ne cessons de rompre. Car de nombreux indices tendraient à prouver que ce nouveau virus n’est pas le résultat d’une mutation naturelle.

Le virus, dit-on est passé des animaux sauvages à l’homme?

Cela nous ramène à la question de l’environnement. Aujourd’hui, beaucoup d’animaux dont les habitats naturels et les ressources alimentaires sont détruits se retrouvent à partager le même environnement que les hommes et donc les virus qu’ils abritent. Le fait que nous soyons passés d’une épidémie localisée à une pandémie généralisée s’explique par les caractéristiques propres au virus évoquées plus haut, mais aussi et surtout par la grande interconnexion du monde grâce aux transports aériens. Cette fois-ci, le point de départ n’était pas un petit hameau perdu au milieu de la forêt africaine mais une mégalopole hyper connectée au reste du monde, Wuhan, capitale de la province du Hubei, qui compte plus de onze millions d’habitants.

Comment expliquez-vous l’attaque contre le dépistage de Yopougon BAE et la prise à partie du convoi de la Npsp (Nouvelle pharmacie de la santé publique) à Bangolo ?

Ces actes viennent de la psychose générale qui prévaut. Ces populations se sont imaginées que ce qui était fait allait leur porter préjudice. Ce qui était loin de la réalité.

Pensez-vous que l’Afrique devrait faire les essais vaccinaux du BCG comme l’ont envisagé les deux scientifiques français, Mira et Locht ?

Je me suis beaucoup interrogé quand j’ai entendu ces propos. Pour tout vous dire, afin d’être sûr de ce que je devais en penser, j’ai pris la précaution de visionner la séquence de l’interview dans son entièreté. Et là, J’ai acquis la conviction que c’était une plaisanterie qui avait mal tourné. Une plaisanterie de très mauvais goût, sur un sujet hyper sensible, mais une plaisanterie tout de même. Donc, je ne lui donne pas plus de signification que ça. Je sais que beaucoup pourraient m’accuser de naïveté angélique, mais je ne puis me convaincre que des scientifiques de ce rang soient aussi bêtes pour exposer à la face du monde, avec la désinvolture qu’on a vue, dans un média de grande audience, une pratique non éthique, dont ils ne peuvent ignorer que l’évocation leur vaudrait la réprobation et la condamnation générale. Je n’ignore pas qu’il est déjà arrivé que des essais mal encadrés et conduits sans les précautions réglementaires et scientifiques idoines aient conduit à des accidents en Afrique, notamment au Nigeria. Mais cela est aussi arrivé en Europe et aux États-Unis. C’est pourquoi je suis plutôt réservé sur les théories du complot anti-Africain ou anti-Noir.

Croyez-vous que le continent doit procéder à des essais vaccinaux du BCG ?

Avant de donner ma position, je voudrais rappeler l’idée selon laquelle l’Africain serait plus résistant au Covid-19. Et comme aucune étude scientifique n’a pour le moment formellement confirmé cette idée, il me paraît intellectuellement compréhensible que la communauté scientifique soit intéressée à étudier cette situation. Car on ne peut ignorer que les Africains, tout comme tous les autres peuples et races d’ailleurs, ont des particularités raciales, biologiques, génétiques et environnementales qu’ils sont seuls à avoir. Ceci expliquerait-il cela ? Seuls des tests pourraient permettre de répondre. Faire les tests sur les autres peuples seulement ne peut suffire à apporter toutes les réponses. Le problème de fond ici, me semble-t-il, c’est que nous faisons face à une crise de confiance. Les Africains se méfient de l’industrie pharmaceutique. Ce ne sont d’ailleurs pas les seuls. Les Africains se méfient des dirigeants occidentaux et parfois même de leurs propres dirigeants comme le montrent les cas de Yopougon BAE et Bangolo. Je pense donc que les tests sont une nécessité mais avant, il faut rétablir la confiance et surtout respecter toutes les précautions et règles de procédure pour sauvegarder l’intégrité des personnes testées.

Maintenant que la prescription de la chloroquine est autorisée, quelles sont les capacités de l’industrie pharmaceutique nationale à produire ce produit ?

Actuellement, nous ne sommes pas en mesure de produire de la chloroquine en Côte d’Ivoire. Car même si les machines sont toujours là, il n’y a pas de matières premières. C’est-à-dire les principes actifs et excipients qu’il faut d’abord importer de Chine ou de l’Inde. La chloroquine n’étant plus utilisée. Je précise tout de même que, dans le cas du Covid-19, c’est de l’hydroxychloroquine qu’il est question et non la chloroquine. Ce sont deux produits voisins mais différents.

Sur le plan économique, le baril de pétrole, baromètre de la santé de l’économie, ne cesse de dégringoler. Vous êtes Pca de la Brvm et vice-président de la Chambre de commerce et d’industrie de Côte d’Ivoire, comment voyez-vous la situation de l’économie africaine et plus spécifiquement de notre pays ?

Que ce soit au niveau du monde, de l’Afrique ou de notre pays, la situation économique s’est fortement dégradée, du fait du ralentissement brutal de la production, de la commercialisation et de la consommation. Comme vous pouvez le constater, contrairement à la crise de 2008, qui était une crise de spéculation (économie virtuelle), ici, on touche à l’économie réelle par tous ses bouts et en même temps. Le monde va connaître donc une récession drastique (on parle de –3%). Dans notre pays, les prévisions de croissance ont été revues à la baisse. D’abord de moitié, de +7.2 à +3.6%. Ensuite mercredi lors de la dernière rencontre du secteur privé avec le Premier ministre, ces prévisions ont été abaissées à 2.7%. Mais personne ne pouvant prévoir ni la durée ni l’ampleur finale de cette pandémie, il n’est pas exclu que ces prévisions soient de nouveau corrigées en hausse ou en baisse en fonction de l’évolution de la pandémie.

On cite souvent l’hôtellerie, la restauration et l’industrie du spectacle, quand on évoque l’impact économique de cette crise. Qu’en est-il réellement ?

Les secteurs que vous évoquez sont effectivement les plus durement touchés. Ils sont surtout les premiers à être touchés. Si vous regardez bien, vous noterez que ce sont des activités de fortes interactions sociales. Or, la lutte contre le covid-19 a imposé la distanciation sociale comme la première des mesures barrières. Il s’ensuit que tous les business model qui impliquent des interactions sociales fortes sont pénalisés. Il en est de même pour le secteur du transport, notamment aérien, qui est quasiment à l’arrêt du fait de la fermeture des frontières aux déplacements humains.

Quid des autres secteurs ?

Les autres secteurs sont également touchés, je ne dirai pas à un degré moindre, mais plutôt à un degré décalé. Aujourd’hui, l’économie est tellement intégrée que lorsqu’un secteur est en crise, cela crée pratiquement un effet domino. Par exemple, le restaurant qui ferme, ce sont des personnes qui, en perdant leur emploi, perdent du pouvoir d’achat, et donc sont autant de consommateurs en moins pour les autres secteurs. Des avions qui ne décollent plus et ce sont les secteurs de l’hôtellerie, du tourisme, et par ricochet, de l’artisanat, de la restauration qui en pâtissent. Bref, aucun secteur ne sort indemne de cette secousse du Covid-19.

L’État a décidé, en plus des arrangements au niveau fiscal, d’apporter une aide financière aux entreprises les plus durement frappées par cette crise. Qui en bénéficie et dans quelle proportion ?

Vous me donnez l’occasion de saluer les décisions prises par le gouvernement pour soutenir les entreprises dans le contexte difficile du moment. Ces décisions sont vigoureuses et elles nous satisfont parce qu’elles touchent tous les secteurs d’activité sans distinction, et toutes les catégories d’entreprises : les grandes (100 milliards), les PME (150 milliards) et mêmes les informelles bénéficieront de dispositifs de prêt (100 milliards) ainsi que les entreprises du secteur agricole pour 300 milliards.

Tout cela, dans le cadre d’un vaste plan de sauvegarde de notre économie et des emplois, évalué à 1 700 milliards de FCfa. C’est un effort conséquent et nous en remercions vivement le gouvernement. Le président Touré Faman l’a dit dans plusieurs de ses interventions, des équipes de travail sont à l’œuvre actuellement pour définir concrètement les modalités de mise en œuvre de l’ensemble des dispositifs. Nous attendons donc avec beaucoup d’espoir les conclusions des travaux pour situer le monde économique.

Comment imaginez-vous l’après Covid-19 ?

Il y aura forcément un AVANT et un APRES Covid. L’après Covid pourrait même ressembler à un AVEC Covid. Quand un événement bouleverse à ce point les fondements de la société, ses règles de vie, ses perspectives, on est obligé de marquer une pause pour réfléchir à la façon de se prémunir des prochaines menaces analogues.Car il serait illusoire de penser que c’est la dernière fois que l’humanité connaît une telle secousse. Cela m’inspire un certain nombre de réflexions.

Lesquelles ?

Sur le plan sanitaire, la question de la souveraineté médicale et pharmaceutique devra être désormais sérieusement prise en compte. Pour les pays développés qui ont abusivement délocalisé leur savoir-faire en Chine et en Inde, ce fut une douloureuse claque que de se voir en train de courir après la Chine pour avoir quelques masques, gants ou appareils respiratoires. Même la grande Amérique a dû jouer les pirates en détournant la cargaison de masques d’autres pays à coup de surenchère de dollars. Je n’ose pas imaginer que ces grands pays se laissent avoir une seconde fois. J’entrevois donc qu’on assistera immanquablement à une évolution des paradigmes économiques. L’optimisation à outrance des moyens et des coûts de production, base des délocalisations d’usines, risque de faire place à un retour de balancier avec relocalisation massive d’usines de certains secteurs majeurs comme le secteur de la santé. Au niveau de notre pays, la problématique est sensiblement la même, à quelques nuances près. Si nous n’avons pas délocalisé de savoir-faire que nous n’avions pas, nous nous sommes complus dans une facilité : celle de quasiment tout importer en matière de matériel et de médicament. La faiblesse de nos capacités de production médico-pharmaceutique, la désuétude persistante de nos plateaux techniques, l’absence de stocks de sécurité pour les matériels et médicaments essentiels et l’inculture de notre population face aux problématiques de santé, méritent qu’une sérieuse remise en cause soit faite et que les corrections nécessaires soient apportées.D’un point de vue plus global, la Chine et l’Inde, usines du monde, cela risque de changer. Les déplacements humains risquent aussi de se complexifier. Je ne serais pas étonné que l’idée d’un passeport médical, déjà brandi comme une des décisions préalables de l’ouverture des frontières, devienne la norme, un peu comme les fouilles au corps dans les aéroports, depuis les attentats du 11 septembre 2001. J’entrevois aussi une accélération de la migration numérique des entreprises et le développement du télétravail. Pour finir, j’ai un certain nombre d’interrogations pour lesquelles je n’ai pas encore de réponses :

- Les relations humaines résisteront-elles à la distanciation imposée par le Covid-19 ?

- Les accolades, les poignées de main et autres embrassades reviendront-elles comme avant ?

- L’organisation des arrivées et départs dans les aéroports restera-t-elle la même ?

Bref, à l’analyse de tout ça, je suis tenté de penser qu’au-delà d’un AVANT et d’un APRES Covid, il s’agira surtout désormais d’un AVEC COVID.


Le 27/04/20 à 07:28
modifié 27/04/20 à 07:28