Restaurateurs, chauffeurs, rabatteurs... : Dur, dur la reconversion à Bongouanou et Daoukro

A l'image de tous ces véhicules à l'arrêt, ce sont les activités des chauffeurs et apprentis qui sont en berne. (DR)
A l'image de tous ces véhicules à l'arrêt, ce sont les activités des chauffeurs et apprentis qui sont en berne. (DR)
A l'image de tous ces véhicules à l'arrêt, ce sont les activités des chauffeurs et apprentis qui sont en berne. (DR)

Restaurateurs, chauffeurs, rabatteurs... : Dur, dur la reconversion à Bongouanou et Daoukro

Le 20/04/20 à 06:58
modifié 20/04/20 à 06:58
L’une des premières grandes décisions gouvernementales, pour freiner la propagation de la maladie à coronavirus, a été la fermeture des bars, boîte de nuit, maquis et restaurants, plongeant gérants, tenanciers, serveuses et Dj dans le désarroi. La mesure d’isolement du grand Abidjan, qui a suivi, a, quant à elle, « sevré » chauffeurs et apprentis de cars, de leurs pitances quotidiennes. Une situation inattendue qui bouleverse leur vie.

Comme dans la plupart des villes de l’intérieur, la vie tourne au ralenti à Bongouanou et Daoukro. Les artisans de la vitalité de ces deux chefs-lieux de région, respectivement le Moronou et l’Iffou sont muets ces temps-ci. En effet, depuis la fermeture des bars, boîte de nuit, maquis, restaurants, ainsi que l’isolement du grand Abidjan, tous ceux qui exerçaient dans ou autour de ces activités, sont dans une grande galère. Comment arrivent-ils à survivre face à cette situation qui s’est imposé à eux?

Le système «D» et la mendicité chez les hommes.

Pour subvenir à leurs besoins, vu les énormes charges familiales qui existent, plusieurs hommes de ces différents secteurs d’activités se sont mis à la mode du système «D». Ceux qui ont été ingénieux dans cette situation sont les chauffeurs de véhicules communément appelés « Massa». Soit ils ont changé de ligne de transport, soit ils ont affrété leurs véhicules à d’autres besoins. Yoro Emmanuel, chauffeur de ce type de véhicule, rencontré à la gare Dominique Ouattara de Daoukro, nous en dit plus : « Je faisais la ligne Daoukro - Abidjan. Après l’isolement du grand Abidjan et vu qu’on nous interdit de prendre des passagers pour cette destination, j’ai décidé d’enlever tous les sièges arrières du « Massa», pour le transformer en véhicule de transport de vivrier. Mais à cause des tracasseries routières, puisque mon véhicule n’est pas à l’origine spécifique pour le transport de marchandises, je ne gagne que 5 000 à 10 000 F Cfa; ce qui me permet au moins d’entretenir ma famille». Puis, de signaler que cela ne peut se faire tous les jours, à cause du couvre-feu, et du voyage retour sur Daoukro qui s’effectue avec la voiture vide, car il n’y a pas de marchandises à emporter. Une situation qui a découragé plusieurs de ses collègues.

Outre le transport de marchandises, Yoro Emmanuel dira que certains ont opté pour le changement de ligne : « Au lieu de faire Daoukro - Abidjan, ils choisissent la liaison vers une autre ville de l’intérieur du pays. Mais là, avec les mesures de distanciation à observer et le manque de clients, ils travaillent à perte. Il faut dire que nos apprentis nous suivent dans nos prises de décision». Et de préciser que ce genre de gymnastique n’est possible que si le chauffeur est propriétaire du camion : « Malheureusement, comme cela n’est pas le cas, plusieurs d’entre nous, se retrouvent sans activité».

Les chauffeurs des cars de transport sont également dans ce cas. L’un des gérants de la seule compagnie de transport de Daoukro, Coulibaly Karim, tout comme son collègue, Idrissa Koné, de l’unique compagnie de Bongouanou, sont unanimes à ce sujet : «Dès l’arrêt des cars, nos chauffeurs et leurs apprentis se sont retrouvés à la rue sans savoir quoi faire».

Ky François, le secrétaire général de la Mutuelle des chauffeurs de l’Iffou ( Mugeci ) soulignera que l’isolement du grand Abidjan et les mesures de distanciation à observer dans les véhicules, qui causent un énorme manque à gagner, font que 90% des chauffeurs de cette région, ainsi que leurs apprentis ont arrêté leurs activités. Ce qui les pousse à demander régulièrement de l’aide à certaines personnes de bonnes volontés, pour avoir de quoi subvenir à leurs besoins. Une mendicité qui ne dit pas son nom et que l’on retrouve chez la plupart des tenanciers, Dj ou serveurs dans les maquis, restaurants, boîtes de nuit et bars.

N’ayant en général aucune formation de base dans divers autres domaines, ils sont livrés à eux-mêmes actuellement. Koua Raoul, le Dj d’un bar à Bongouanou, l’avouera : « Qu’est-ce que vous voulez que je fasse. Je ne sais faire que ce métier de Dj et mon bar est fermé, je suis donc obligé de demander de l’aide à toutes mes connaissances, particulièrement ceux que j’ai fait danser dans le bar».

Face à la fermeture des maquis, tenanciers et serveuses s’adonnent à d’autres activités pour survivre. (DR)
Face à la fermeture des maquis, tenanciers et serveuses s’adonnent à d’autres activités pour survivre. (DR)



Par contre, d’autres tenanciers ou serveurs refusent de s’abandonner dans cette posture, qui n’honore pas et préfèrent se lancer dans des activités différentes. C’est le cas de N’Goran Édouard, serveur dans un maquis de Daoukro, qui a choisi d’aller au champ. « La saison des pluies a commencé et c’est le temps des grandes semences. Les paysans ont besoin d’aide pour défricher ou planter des produits. Au lieu de mendier et en attendant que la situation se régularise, je vais les soutenir moyennant un peu de moyens, qui me permettent de survivre. Plusieurs collègues font la même chose que moi», nous indiquera-t-il.

Changement d’activité, vie de couple et dépendance chez les femmes

La situation n’est pas reluisante chez les femmes. Elles également, dans leur majorité, sentent l’odeur de la galère. Exerçant comme tenancière ou serveuse dans les maquis, restaurants, bars et boîtes de nuit, elles connaissent des fortunes diverses. Il y a certaines qui, avec un peu de moyens économisés, ont changé d’activités pour se mettre à leur propre compte. C’est le cas de Kouakou Angèle qui, une fois le maquis dans lequel elle travaillait a fermé, a trouvé une place en bordure de la route principale de Daoukro, pour vendre des sandwiches.

«Pour avoir un peu d’argent, je me suis lancé dans ce petit commerce. Je ne gagne pas gros, mais c’est mieux que de rester les bras croisés et attendre l’appui d’un éventuel homme», nous a-t-elle souligné. L’appui d’un éventuel homme, les plus chanceuses l’ont. Il s’agit de celles qui vivent en couple et qui profitent de ce moment pour s’occuper de leur homme. « Mon chéri a une activité professionnelle, qui n’est pas trop rentable. Pour le soutenir dans les dépenses de la maison, j’ai décidé de servir dans un restaurant. Mon occupation journalière m’empêche d’être à ses petits soins. Comme le restaurant est fermé, je préfère être disponible pour lui et profiter pour me reposer en attendant la reprise», soutiendra Koné Rokia, une résidente de Daoukro.

Une autre catégorie de femmes vit aux crochets des bonnes volontés. Mettant en avant leurs atouts féminins, elles arrivent à soutirer de l’argent à des connaissances, souvent des clients, qui sont passés dans leur lieu de travail. N’Zi Louise, serveuse dans un maquis de Bongouanou, ne se gênera pas pour l’affirmer : «J’ai un loyer à payer, tout comme des factures. Je dois nourrir mon fils et moi. Je n’étais que serveuse dans un maquis, qui est fermé momentanément à cause du Coronavirus. Je ne suis pas originaire de Bongouanou, pour dire que j’y ai des parents. Que faire pour avoir de l’argent pour mes besoins si ce n’est m’accrocher à certaines connaissances que j’ai côtoyés dans le maquis, pour qu’elles me viennent en aide».

Dans plusieurs localités voisines de Bongouanou et Daoukro, la situation actuelle a favorisé le développement de certains vices. D’ailleurs, dans ces deux chefs-lieux de région, des personnes nous ont interpellé sur le fait que la petite délinquance est en train de prendre forme.

A Daoukro précisément, un responsable des syndicats de transport nous a signalé qu’un de ses amis a pu éviter le vol de sa moto en plein couvre-feu grâce à sa vigilance. Et que cette situation d’insécurité prend de l’ampleur. Le commissaire de police, Coulibaly Kikoun Aimé, que nous avons rencontré s’est montré rassurant : « Effectivement, l’on nous rapporte que la petite délinquance veut prendre forme dans la ville. Mais à ma connaissance, ce n’est pas encore le cas, puisque nous n’avons pas encore eu de plainte. Ce qui est sûr, mes collaborateurs et moi sommes en alerte maximale et nous n’allons pas laisser prospérer la petite délinquance ici ».

Il reconnaît cependant que la situation difficile de crise financière que vivent plusieurs personnes est favorable à cela. C’est donc le moment, pour toutes les forces de l’ordre basées dans ces régions d’être vigilantes afin que les populations vivent dans la quiétude et ne soient pas perturbées par un autre fléau qui viendrait s’ajouter à leurs difficultés quotidiennes. Outre la petite délinquance, c’est la prostitution qui est en train de prendre des proportions inquiétantes.

A Bongouanou, un confrère nous a montré sur whatsapp, la nouvelle manière des prostituées d’approcher leurs cibles. Et les filles de cette région n’y sont pas étrangères. D’ailleurs, lorsque nous avons échangé avec plusieurs d’entre elles, sans activité en ce moment, elles ont été incapables de nous dire la source de leurs revenus. « En tant que filles, on se débrouille pour avoir de quoi manger», répondront-elles. Une réponse qui en dit long sur leurs activités.

Attention au développement de la petite délinquance et à la dépravation des mœurs



Le 20/04/20 à 06:58
modifié 20/04/20 à 06:58