Anima Aka (Préfet de Sikensi): “Il n’y a pas eu d’affrontement entre les forces de l’ordre et la population”

Anima Aka, Préfet de Sikensi, a apaisé les uns et les autres. (DR)
Anima Aka, Préfet de Sikensi, a apaisé les uns et les autres. (DR)
Anima Aka, Préfet de Sikensi, a apaisé les uns et les autres. (DR)

Anima Aka (Préfet de Sikensi): “Il n’y a pas eu d’affrontement entre les forces de l’ordre et la population”

La fête du Dipri n’a pas eu lieu cette année, au mois d’avril, comme il est de coutume. Cela a donné lieu à des incompréhensions. Le préfet de Sikensi fait la lumière sur cette situation.
Pouvez-vous nous dire ce qui s’est passé exactement ?

Chaque année, au mois d’avril, se tient effectivement la fête du Dipri qui est l’essence même de l’existence du peuple Abidji. Mais vous n’ignorez pas que cette année le contexte est exceptionnel. En raison de la pandémie mondiale du Covid-19, l’Etat de Côte d’Ivoire a pris des mesures exceptionnelles afin de lutter efficacement contre cette pandémie et l’une d’elle interdit les grands rassemblements. Or, vous savez que le Dipri est un grand moment qui rassemble beaucoup de monde. Il n’était donc pas opportun pour nous de laisser se dérouler cette fête. Nous sommes allés en négociation et Dieu merci, les choses sont rentrées dans l’ordre. Je voudrais ici préciser que contrairement à ce qui a été relaté sur les réseaux sociaux, il n’y a pas eu d’affrontement entre les forces de l’ordre et les populations à Sikensi.

Avez vous fait preuve d’anticipation afin d’éviter cette situation ?

Nous avons bien évidemment fait preuve d’anticipation. Permettez-moi de vous faire la genèse de cette histoire. A l’approche de la date de la célébration du Dipri, le comité mis en place pour le suivi des mesures dans la lutte contre la Covid-19, que je préside, a tenu une réunion, le 14 avril, avec les chefs de village et de terre, les notables et les organisateurs du Dipri. Nous leur avons rappelé les décisions prises par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire que traverse le pays et aussi présenté le contexte actuel qui a fait que même les chrétiens, dont le fondement de la foi est la résurrection du Christ, n’ont pas célébré comme d’habitude la pâques. La grande messe a même été célébrée par le Pape sur une place St Paul de Rome vide. Chez les musulmans, la Mecque est fermée et le pèlerinage qui est un pilier important de l’Islam ne se déroulera pas. Par conséquent, nous les avons exhortés à surseoir la célébration du Dipri en attendant des jours meilleurs.

Et quelle été leur réaction ?

Nous avons obtenu la promesse ferme de surseoir à la célébration. Seulement, ils nous ont demandé l’autorisation de permettre aux initiés de faire un Dipri fermé qui se résumerait qu’à la libation à la rivière sans manifestation populaire. C’est donc sur cette décision prise de commun accord que nous nous sommes séparés. A notre grande surprise le 15 avril, donc le lendemain de la réunion, nous sommes informés qu’a Gomon, le fief même du Dipri, les jeunes ont commencé la célébration. Nous nous sommes donc rendus sur place et nous avons effectivement constaté les faits. Mais ce n’étaient que quelques jeunes en transe dans la rue. Nous avons fait appel au chef du village et au chef de terre, les notables et le chef du Dipri pour engager le dialogue, en leur faisant comprendre le danger pour eux- mêmes et pour les populations. Bien heureusement, le message est passé et la situation est revenue à la normale. Le chef de terre et le chef du village ont même menacé les jeunes de non-assistance s’ils s’obstinaient à continuer car lorsque le tam-tam sort et fait son entrée, les blessures de l’abdomen au couteau et autres démonstrations de puissances mystiques sont contrôlées par les initiés qui protègent les jeunes. Nous sommes donc repartis avec la promesse que seule la libation à la rivière sera faite et c’est ce qui a été fait.

Que s’est-il alors passé à Sikensi ?

Nous voulons bien le mettre sur le compte de l’incompréhension. Les chefs de l’organisation avec lesquels nous sommes entrés en négociation ont eu le courage de nous dire qu’ils n’avaient pas été informés des décisions arrêtées lors de notre réunion. Et que bien au contraire, certains vieux les exhortaient même à la célébration malgré l’interdiction du Gouvernement. Nous avons mis tout cela sur le compte d’un manque de communication et appelé les uns et les autres au calme.

Pouvez-vous revenir sur la journée du 16 avril ?

Il faut dire que la situation était calme jusqu’à 10h00 lorsqu’on nous a informés que des jeunes célébraient le Dipri. Sur place, avec les forces de l’ordre, nous avons constaté des jeunes en transe et un attroupement qui commençait à grossir. Très vite, nous sommes entrés en contact avec les acteurs les plus actifs pour engager la négociation. Ensemble, nous nous sommes rendus chez le chef de terre. Les négociations se sont bien déroulées et, sur le champ, ils sont allés chercher les tam-tams pour les ranger chez le chef de terre, preuve qu’ils n’allaient pas continuer. Voici la réalité des faits. Encore une fois je le dis, il n’y a pas eu d’affrontement à Sikensi. Nous avions d’ailleurs donné instruction aux forces de l’ordre de ne pas intervenir pour ne pas envenimer la situation. Et, je voudrais ici saluer leur sang-froid. Malgré les jets d’œufs, ils sont restés sereins et ont réussi à éviter toute confrontation. C’est le dialogue qui a triomphé.

Quel est aujourd’hui le point sur la situation ?

Ce matin (Ndrl 17 avril) j’ai appelé tous mes collaborateurs pour faire le point sur la situation et je puis vous rassurer que le calme est revenu. Mais comme il reste encore trois villages qui doivent eux aussi célébrer le Dipri, nous avons pris la résolution d’aller à leur rencontre pour leur expliquer davantage la situation. Nous restons donc convaincus qu’après le malentendu de Sikensi, la situation ne se reproduira pas à Badasso, Elibou et Sahué, les trois villages restants. Ce matin encore, les autorités traditionnelles de Gomon et de Sikensi sont venues à notre rencontre pour présenter les excuses de la communauté et nous rassurer que le calme est définitivement revenu à Sikensi. Au niveau du respect des mesures sanitaires et de sécurité, comme tout début, nous avons rencontré quelques difficultés. Il a fallu que nous intervenions sur le terrain pour fermer certains restaurants, maquis et boîtes de nuit et aussi faire respecter le couvre-feu et les mesures barrières. Aujourd’hui, on peut dire que les populations se sont accommodées aux mesures sanitaires et sécuritaires.

Quelles sont les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?

A Sikensi, on peut dire que nous avons les moyens nécessaires pour mener la lutte. Le Conseil régional nous a offert des kits de denrées alimentaires et de produits hygiéniques pour faire des dons à 13 villages, aux populations, aux forces de l’ordre et au corps médical. Il faut également ajouter les contributions du maire, des commerçants et du corps préfectoral. Tous ces dons seront remis ce lundi (Ndlr aujourd’hui). A l’entrée de la ville, nous avons aménagé un bâtiment pour parer à toute éventualité de contamination. C’est une salle de 12 lits très bien aménagée, avec des bureaux pour les médecins. Comme vous pouvez le constater, nous sommes bien équipés mais cela n’empêche pas d’éventuelles aides car la lutte continue. C’est pourquoi je voudrais appeler les cadres de Sikensi à la mobilisation comme cela se fait partout ailleurs.

Sikensi est aussi touchée par le phénomène des passeurs qui contournent la mesure de confinement du Grand Abidjan. Quelles sont les dispositions que vous avez prises ?

Vous savez, Sikensi est un grand carrefour. La situation n’est pas à 100% maîtrisée, mais il faut dire que les forces de l’ordre font un travail remarquable. Nous sommes nous-même allée sur le terrain pour nous faire une idée de la situation ; cela nous a permis d’interpeller certains passeurs et confisquer des motos. Aujourd’hui, nous connaissons leur mode opératoire. Des passeurs à moto ou taxi convoient les populations jusqu’au péage. Avant d’atteindre le barrage des forces de l’ordre, les passagers descendent et le contournent par la broussaille pour rejoindre un autre passeur à charge de les convoyer à Abidjan ; et cela se fait dans les deux sens. La ville de Dabou qui est dans le Grand Abidjan confiné, est aussi un grand centre de transit. Les indélicats passent par là pour venir à Sikensi tout comme à Elibou. Sur des motos, ils viennent jusqu’à la limite de Sikensi et font le reste du parcours à pied jusqu’ Abiehou, notre dernier village. A partir de là, ils peuvent rallier Abidjan ou l’intérieur du pays.

Ce réseau est-il toujours opérationnel ?

Ce réseau a été plus ou moins démantelé d’où l’arrestation récemment de 300 individus à Elibou. Des barrages sont érigés sur le parcours. Les taxis et motos sont interdits sur l’axe mais nous avons ouvert une sorte de couloir humanitaire pour permettre aux villages de s’approvisionner, trois fois dans la semaine en vivres et en non vivres. Pour mieux renforcer la surveillance, c’est un cargo de la mairie qui va les chercher de leur village et les ramener après leurs emplettes. Mieux, aujourd’hui, il y a une brigade mixte installée entre Sikensi et Dabou. Je voudrais ici dire aux populations ivoiriennes que face à cet ennemi invisible qu’est le Covid-19, notre seule arme, c’est la discipline. Il faut se conformer aux mesures édictées par l’État qui déploie des efforts énormes pour le bien-être des populations. Le taux de guérison que nous observons aujourd’hui nous laisse croire qu’il y a de l’espoir ; alors, soyons tous disciplinés pour vaincre le Covid-19.

Interview réalisée à Sikensi par SERGES N’GUESSANT